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*** 5 idées reçues sur l’innovation

En matière d’innovation, de nombreuses idées ont la vie dure, y compris au sein des directions dédiées. Voici un florilège de ces a priori qui méritent explication et décodage.

Au cours de missions de conseil en innovation pour les entreprises, ou à l’occasion d’échanges, les experts ont l’habitude d’entendre des idées reçues sur l’innovation.

 

  … Ceci est un article de Sylvain POISSON pour CHEF D’ENTREPRISE

 

Les entreprises  » classiques  » n’innovent pas…

De façon intuitive, on se dit que les innovations technologiques, de modèles d’affaires et l’adoption de nouveaux usages arrivent par les start-up, que l’accélération de la diffusion des tendances vient de nouveaux médias…Ce n’est pas faux.

Mais si ces acteurs innovants, start-up, médias et leurs acolytes que sont les influenceurs et producteurs de contenus associés, proposent des innovations, ce sont les grands groupes qui imposent la massification des nouveaux usages : les « Gafam » sont les 5 premières capitalisations mondiales, autrement dit de bien vieilles start-up.

Raisonnons par les usages, aboutissement et réalisation de la technologie.

Imaginons une start-up issue de la recherche universitaire et qui développe une molécule révolutionnaire. Nul doute que, sans le soutien d’un laboratoire pharmaceutique, elle ne pourra en assurer l’industrialisation, la distribution et financer les dernières phases d’essais cliniques. Elle peut aussi passer par des levées de fonds massives, pour, in fine, être rachetée par un laboratoire pharmaceutique installé.

Une start-up propose un dispositif connecté qui permet d’alerter en cas de micro-crevaison ou d’usure. Quelle sera l’adoption de cette innovation sans déploiement dans les lignes de Michelin, Goodyear ou Bridgestone ?

En quelque sorte, les entreprises traditionnelles n’innovent dans la rupture que si c’est dans leur ADN, comme les « Gafam », ou que si elles sont soumises à des durées de vie de produits constamment challengées (comme par exemple dans la pharmacie, les SSII/ESN, les entreprises du logiciel, etc.).

Celles, installées, qui se disent innovantes, sont pourtant presque embourgeoisées : elles innovent de façon forcée en sélectionnant le plus en avance possible, une technologie, des modèles ou des tendances qu’elles digéreront pour créer de nouveaux avantages compétitifs et les industrialiser.

Les autres, pour rester compétitives, innovent à leur manière, avec humilité, de façon incrémentale, au contact de la technologie et des besoins de leurs clients.

Donc, « les entreprises  » classiques  » n’innovent pas… », n’est pas exact : elles se risquent à innover, ou diluent ce risque en s’appropriant une innovation industrialisable, en la perfectionnant.

Il faut faire comme les start-up…

Un avis répandu dans les bureaux des directeurs innovation ou R & D. Pourquoi est-ce une mauvaise idée ?

La première raison, c’est qu’après avoir décodé l’idée reçue précédente, on se rend compte qu’une entreprise établie n’est plus/pas une start-up, et que sa structure est l’inverse d’une start-up – les collaborateurs sont là pour générer une marge dans une organisation, etc.

Certes, les start-up ont, par le succès fulgurant d’une infime part d’entre elles, introduit des méthodes comme celles inspirées du « Design Thinking » et du « Lean start-up ». Mais de là à les déployer massivement dans les entreprises, « comme les start-up », il existe des précédents d’échecs retentissants ! Parlez-en chez GE…

La seconde est qu’ils le font déjà.

Les innovateurs, dans les entreprises instituées, ont un comportement entrepreneurial, propre aussi aux start-up en émergence. En effet, porteur de leur innovation, ils adoptent cette fameuse démarche « effectuale » (mise en lumière par Saras Sarasvathy et portée en France par Philippe Silberzahn). Ces quasi entrepreneurs vont  » pitcher  » leur idée de la machine à café au bureau d’étude ou de R & D en passant par le contrôle de gestion, et à leurs clients, partenaires. Ils confrontent et améliorent leur idée et ses débouchés marché, en les priorisant, en cherchant des ressources à leurs apports…

Souvent les dirigeants et les managers ne se rendent pas compte qu’ils portent l’innovation dans l’entreprise avec les mêmes ressorts qu’une start-up… et qu’ils doivent mettre en place les bons process, inspirés du  » Lean start-up « . Ils sont certes agiles, mais surtout ancrés dans leur culture et leur esprit. Donc, oui, on peut faire « comme les start-up », mais pas avec n’importe qui et n’importe quelle méthode.

L’innovation doit être à tous les étages de l’entreprise…

Ce n’est pas tant l’intention qui interpelle, ni la sensation qu’on frôle l’hubris (sorte de démesure dans la Grèce antique), mais le biais qui existe entre l’intention et la réalité de l’entreprise en question.

Les entreprises qui affichent ces valeurs le font souvent de manière incantatoire : personne n’est dupe, mais personne ne le fait remarquer. Le roi est nu !

En effet, une entreprise qui innove, ça se sait. Elle sort de nouvelles offres, gagne des parts de marché, parfois subit des échecs, mais il y a un « roll out » permanent qui positionne l’entreprise comme moteur de son segment, par son dynamisme, son leadership.

Ce n’est pas forcément la plus performante, la plus rentable, mais son ADN d’innovateur est connu. Bien souvent, ça transparaît tellement qu’il est inutile de le communiquer, ou que cela se fait avec un tel naturel qu’il n’y a pas de débat. Ce n’est pas forcément celle qui a le plus gros budget innovation, non plus… En revanche, une forte part de son chiffre d’affaires est consacrée à l’innovation et à la recherche.

A l’inverse, les entreprises qui innovent « à tous les étages », cherchent des idées, alignent les tests, les PoC, occupent les équipes, sans parfois réellement sortir de nouvelles offres, sans se transformer, ni elle ni sa gamme au contact des innovations des start-up et d’autres acteurs.

Aller de l’idée au PoC…

C’est une volonté récurrente : « on veut passer plus vite de l’idée au PoC »… Qui oeuvrant près de l’innovation n’a jamais entendu cette proposition ?

La plupart du temps, l’accélération du process d’innovation se fait au détriment du « cconcept ». Pourtant, il faut prendre le temps pour poser ce concept, le créer : en fait, donner une définition, le catégoriser.

Les idées sont brutes, émanent d’un besoin, d’une sensation, d’un rêve… Éventuellement, elles portent les prémices d’un concept, mais sont-ce de bonnes idées ? Quelle existence tangible doit-on leur donner ? Par exemple, à l’idée d’un objet pour s’asseoir, on a le concept le plus simple d’une sellette à 3 pieds, le tabouret. Mais lui fait écho celui du fauteuil Louis XVI (quatre pieds, un dossier, des repose-bras, le tout sculpté et tapissé, etc.).

Cet exemple simpliste est transposable aux idées qui arrivent dans les portefeuilles des responsables innovation.

Sans ce raffinement intellectuel, comment concevoir, comment mener une preuve de concept tant technique que de marché ? L’utilisation, par exemple, de la méthode C-K, permet de faire émerger des concepts du plus farfelu au plus clair.

D’un autre côté, les méthodes de prototypage rapide type design sprint, dont les premières étapes sont d’ailleurs de comprendre et de dessiner, aident à raffiner ces intuitions.

Sans prise en compte des facteurs clés de succès, d’adoption, inhérents à un concept, et appairés aux idées, on arrive à faire avancer dans les process projets des absurdités qui ne respectent ni la culture de l’entreprise, ni la faisabilité, ni les usages et besoins clients. Surtout, on se permet de commettre des innovations qui ne sont pas dans l’esprit de la structure porteuse !

Ces idées doivent être affinées et précisées, devenir des concepts qui seront testés à de plus en plus grande échelle. Sans définition claire, ni choix entre plusieurs concepts, aux facteurs clés de succès ou d’adoption connus, respectant un cadrage contextuel, la preuve de concept reposera souvent sur un concept, creux…

La première est simple : que ferais-je d’une innovation de rupture dans mon organisation actuelle ? Le cas du spécialiste du photocopieur inventant l’impression jets d’encre est proverbial : sa structure de vente orientée  » grands comptes  » s’est retrouvée comme  » une poule devant un couteau « .

Comment se transformer, que « pitcher » à mes salariés, à mes actionnaires ? Comment leur vendre un risque pris alors que l’entreprise est rentable ? Vont-ils accepter ? Pas sûr… Il y a de forte chance que l’innovation de rupture soit morte-née.

Une seconde raison est une question de définition… Tout le monde ne met pas la même définition à innovation de rupture : pour certains, c’est un nouveau produit proposant un saut générationnel, pour d’autres, c’est un produit qui remplace tous les autres, sorte de « juge de paix » du segment. Les plus savants adoptent la définition de Clayton Christen de la disruptive innovation. De quoi parle-ton ?

La troisième est une raison tactique, de communication : annoncer la rupture est une des meilleures manières de supprimer l’effet de surprise et de se défaire de l’avantage compétitif de sortir du bois le premier… Se couper du « One more thing », où là, on attendait (souvent) de véritables ruptures !

Alors, ne parlons pas d’innovation de rupture tant que nous n’en tenons pas une dans nos lignes… Prête à être déployée de façon fine avec une structure annexe à celle de votre entreprise, pour d’autres clients, avec d’autres équipes, mais bien comprise par vos actionnaires !

 

  • Auteur de l’article : Sylvain POISSON? directeur département stratégie et management de l’innovation d’Ayming. Tribune rédigée  » à 10 mains  » par une partie du département stratégie et management de l’innovation d’Ayming : Gwénaëlle Gilbert, ingénieure-docteur, manager ; Cécilia Tatu, ingénieur et diplômée de l’EM Lyon, consultante ; Laëtitia Prioux, diplômée de Skema, consultante ; Guillaume Lamarque, PhD., Senior Manager ; et dirigée Sylvain Poisson, Essec, directeur du département.
  • Source de l’article : https://www.chefdentreprise.com/
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