Ici, un éco-quartier solidaire et collaboratif. Là, un ancien couvent réhabilité en laboratoire d’économie circulaire. Ailleurs, une épicerie en vrac ambulante pour recréer du lien… À Lille, capitale mondiale du design 2020, on repense le monde en faisant collaborer des designers avec de « vrais gens ». À la clé, plus de 600 projets en germe pour convaincre les élus.
Comment réhabiliter un bâtiment historique sans le couper de son histoire ? Comment en faire un lieu de vie collaboratif plus écologique ? Dans le quartier de l’Hommelet à Roubaix, le Couvent de la Visitation est au cœur d’un projet immobilier atypique. Occupé par des religieuses pendant près d’un siècle avant d’accueillir des logements sociaux jusqu’en 2010, l’ancien lieu de culte est en train de reprendre vie grâce à un projet « designé » autour de ses valeurs ancestrales : habiter, manger, se soigner, se divertir, apprendre, partager, communiquer, s’élever…
Déposé cette année, le permis de construire devrait ainsi transformer le parloir en brasserie, le cellier en marché, le scriptorium en lieu de formation, la salle capitulaire en coworking, le réfectoire en restaurant et le dortoir en co-living. À l’année, on devrait aussi trouver des logements sociaux gérés par de jeunes travailleurs ainsi que des logements pour travailleurs handicapés. Ici, rien ne se perd, tout se recycle : comme les eaux de pluie ou encore la chaleur issue du brassage de la bière. Et comme à l’époque, les ressources et les ateliers des uns devront servir aux activités des autres.
… Ceci est un article de Margaux DUSSERT publié le 26 Octobre 2020 pour
Vers un design participatif
Présenté dans l’une des maisons POC (proof of concept) de Lille, un ensemble de lieux recensant plus de 600 projets citoyens en expérimentation, le site montre comment le design, pensé de manière collaborative, peut se placer au service du bien commun. De quoi prouver surtout « qu’il n’est pas qu’un levier de compétitivité, mais aussi un levier de plus-value pour mieux vivre », explique Caroline Naphegyi, directrice des programmes du comité Lille Métropole 2020. Après Le Cap, Mexico et Séoul, la capitale des Hauts-de-France a en effet été nommée Capitale Mondiale du Design. Un titre honorifique que le territoire a décidé de placer au service de ses habitants à travers le lancement d’un appel à projets il y a deux ans.
Entreprises, collectivités, citoyens, étudiants, associations, lieux culturels… plusieurs centaines d’acteurs ont choisi de collaborer avec des designers pour tester et expérimenter de nouveaux modèles d’objets et de services. De quoi transformer Lille, Roubaix et une poignée de communes environnantes en un écosystème foisonnant d’expérimentations autour de l’économie circulaire, de l’habitat, de la mobilité, du soin ou encore de la ville collaborative. Autant de thèmes qui prennent une importance nouvelle au regard de la pandémie et des enjeux qu’elle soulève : vivre ensemble et collaborer de façon locale à l’heure où la distanciation physique est de mise.
« Aider les plus démunis, rendre les citoyens plus capacitaires, les autonomiser et leur donner l’opportunité d’agir… Demain, on ne pourra pas attendre que des élus ou des politiques nous disent quoi faire », poursuit celle qui défend une vision « bottum up » des initiatives territoriales, soit « du bas vers le haut ». « Il va falloir que l’on prenne notre destin en main, sinon on ne s’en sortira pas. »
Et autant dire que les POC s’en chargent bien. Mais en fait, ça veut dire quoi « proof of concept » ? C’est une hypothèse concrète, mais encore en germe, un projet qui évoluera sans doute, mais qui anticipe déjà un futur possible en se confrontant à de vrais usages sur un territoire donné.
Le design pour valoriser un territoire
À Wazemmes, quartier populaire de Lille, la maison POC « Prendre soin » expose des projets venant en aide aux personnes vulnérables. On passe de lieux co-construits avec des seniors pour lutter contre leur isolement à des vêtements personnalisables destinés à humaniser les séjours de grands malades à l’hôpital. On tombe plus loin sur des projets d’utilité publique comme celui des Surligneurs, un collectif d’enseignants-chercheurs dont la mission est de remettre le droit au cœur du débat public et de vulgariser la culture juridique auprès des citoyens.
Le rôle du designer dans tout ça ? « La mise en espace d’un projet », explique Caroline Naphegyi, soit la création de ponts entre des besoins, des usages bien réels et leurs applications au quotidien. « À Roubaix, La maison des femmes s’est rendu compte, au contact de designers, qu’elle réussissait à mieux interroger ses usagères et à répondre à leurs attentes, commente-t-elle à titre d’exemple. Non pas pour refaire la déco, mais bien pour convertir leurs demandes dans l’espace. » Se retrouver, discuter, se doucher, laver son linge, amener les enfants… le lieu d’accueil qui offre aux femmes un accompagnement social, psychologique, médical ou juridique s’est alors doté d’une ambiance adaptée : chaleureuse et moins intimidante avec toutefois des espaces de confidentialité intégrés.
Même chose au Bazaar Saint So de Lille où la maison POC « Habiter » repense une certaine vision individualiste de la domesticité. Ici, on pense par exemple à concevoir un rucher « éco-municipal », soit un parcours de ruches installé dans les parcs de la ville pour pallier la disparition des abeilles, mais aussi animer et faire de la pédagogie quant à leur rôle dans la nature. À quelques kilomètres au nord-est de Lille, l’éco-quartier solidaire Lil’Pouss envisage quant à lui d’accueillir cinq foyers (réfugiés, personnes en précarité, volontaires…) dans des Tiny Houses. L’idée ? Apprendre à vivre, à se nourrir, à travailler ensemble dans le respect de la planète. Encore plus loin, dans la petite commune de Wasquehal, on fait même appel à l’intelligence collective –riverains, élus, professionnels du bâtiment, étudiants, retraités… – pour co-construire le futur quartier des Lauriers.
Loin des discours qui affirment que ce sont les designers qui sauveront le monde, la démarche des POC s’inscrit dans une dynamique de co-construction où le designer fait surtout office de médiateur entre différents publics, acteurs et domaines de compétences.
« L’objectif est toujours de valoriser le territoire et le local, insiste Caroline Naphegyi, de repenser les villes, la société, le territoire par le design : non pas dans une optique de résultats ou pour rendre un produit ou un service plus désirable, mais bien pour montrer une transformation, travailler à l’échelle de notre habitat, de notre ville, de nos terres, de notre planète. C’est l’enjeu qui ressort de manière assez flagrante de cette crise. »
Le designer comme médiateur
Réhabiliter ce qui existe déjà au lieu de bétonner, réparer au lieu de racheter, recycler… c’est aussi ce qui caractérise la démarche de nombreux projets, à commencer par le POC « économie circulaire », lui-même hébergé dans l’ancien couvent des Clarisses de Roubaix. Désaffecté depuis 10 ans, il est aujourd’hui amené à devenir un exemple à suivre en matière de recyclage et de zéro déchet. À l’intérieur, une soixantaine de projets de designers locaux sont exposés, comme celui de l’ébéniste Franck Grossel qui recycle les drêches de bière (résidus de céréales jetés par les brasseries, ndlr) pour en faire des tabourets de bar ou encore l’Atelier Recyclab du studio Faubourg 132 qui sensibilise au réemploi en réparant du mobilier cassé à l’aide d’une fraiseuse numérique.
Modes de production à bas impact énergétique, consommation responsable, utilisation de matériaux écologiques, gestion des déchets… la maison fonctionne ainsi comme une passerelle pédagogique entre l’écosystème local, le quartier et la ville. « L’idée, c’est vraiment de nous remettre en question et d’être critiques collectivement, poursuit la directrice des programmes. En sachant que le couvent était aussi une école de quartier, on a voulu faire de ce POC une école de l’économie circulaire ouverte à tous et en priorité aux locaux. »
Dès le 13 novembre, une vingtaine de POC de la région devraient être sélectionnés par un jury et faire l’objet d’un livre blanc. « Certains projets sont prêts, d’autres en cours de développement. La question maintenant, c’est de savoir si certains cas qui ont bien fonctionné peuvent se déployer à une autre échelle ou bénéficier à d’autres », conclut Caroline Naphegyi. Et puis, en bout de chaîne : tenter de convaincre les élus que des « experts en usage » valent aussi bien que des experts tout court.
- Auteur de l’article : Margaux DUSSERT
- Source de l’article : https://www.ladn.eu/
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Vignette de l’article : © Collectif Zerm (Saison 0) – Couvent des Clarisses
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