Les créateurs s’approprient l’une des plus récentes avancées technologiques, l’impression 3D. Renouvelant les formes, les styles… et bousculant les lignes pour mieux se réinventer.
La troisième dimension n’a pas fini de fasciner le monde. D’autant qu’elle se génère dorénavant toute seule grâce à l’impression 3D. Utilisée depuis des lustres dans les secteurs de l’aéronautique ou de l’automobile pour concevoir des maquettes, cette technologie ô combien séduisante bouleverse à l’envi la conception et la fabrication des objets. Le principe est magique : soit une machine sophistiquée qui, lorsqu’elle ingurgite, d’une part un fichier numérique contenant les informations pour élaborer un objet, et de l’autre un matériau réduit en poudre – nylon, aluminium, argile, plastique… – est capable, en quelques heures, de produire ledit objet. Davantage qu’une impression, il s’agit plus exactement d’une fabrication additive, donc couche par couche, pouvant être générée par une variété de procédés : stéréo-lithographie, frittage sélectif par laser, dépôt de matière fondue, photo-polymérisation, laminage par dépôt sélectif, etc.
Christian SIMENC publié le 18 novembre 2019 par AD
… Ceci est un article deDepuis plus d’une quinzaine d’années, les designers ont trouvé là un bon moyen d’engendrer des objets finis, tout en s’émancipant de la production standardisée dominante. La première décennie des années 2000 a vu ainsi naître des objets tous azimuts. En 2002, les pionniers allemands Vogt + Weizenegger formalisent, dans un bloc de poudre de nylon, la Sinterchair. Avec cette même matière, le Japonais Oki Sato du studio de design Nendo produira la chaise Diamond. L’assise légère à la fois solide et élastique. Le duo finlando-néerlandais Janne Kyttanen et Jiri Evenhuis livre, lui, le tabouret en alvéoles de résine Honey Bunns. Tandis que le Français Patrick Jouin déploie, avec la firme belge MGX-Materialise, la série Solid – sièges, tables… –, puis, plus tard, le tabouret Oneshot, repliable tel un parapluie.
Potier numérique
Après leur relative passivité durant cette première décennie du nouveau siècle – le designer fournit un dessin et la machine fabrique –, les créateurs des années 2010 reprennent la main sur la technologie. En 2012, le Belge Tim Knapen met au point L’Artisan Électronique, sorte de tour de potier numérique. De son côté, le Néerlandais Dirk Vander Kooij n’hésite pas à reconfigurer un robot industriel afin de produire des meubles en plastique recyclé, tel le Endless Flow Rocking Chair. Grâce à un fil de plastique continu et d’incessants allersretours, l’engin peut formaliser une chaise en trois heures. Bonus : la technologie permet d’apporter des modifications à n’importe quel moment, potentialité évidemment inexistante dans l’industrie traditionnelle. Pour une série de contenants – vase, carafe, théière, tirelire –, la Française Laureline Galliot, elle, détourne carrément le logiciel de cinéma d’animation ZBrush pour pouvoir en même temps modéliser ses créations et les colorer dans la masse.
La génération digital native s’en donne d’ailleurs aujourd’hui à coeur joie pour faire ce que l’expert ès programmation David- Olivier Lartigaud nomme avec humour du… « bricodage » (in Art ++, éd. HYX, 2011), en l’occurrence : triturer les programmes informatiques pour inventer de nouveaux artefact s numériques. Le résultat peut se révéler flamboyant. En témoigne la Voxel Chair conçue par des étudiants de la Bartlett School of Architecture, à Londres, cornaqués par les architectes Gilles Retsin et Manuel Jiménez Garcia. Son nom vient du vocable « voxel », qui signifie pixel en trois dimensions.
Mu selon un chemin déterminé par des algorithmes, le robot sécrète un fi l de plastique qui solidifie alors qu’il est encore en mouvement, dessinant des motifs tridimensionnels autant structurels qu’ornementaux. Le Néerlandais Joris Laarman, lui, use de l’impression 3D pour concevoir non seulement ses objets – les sièges Aluminum, Gradient… –, mais aussi, parfois, les moules dans lesquels ceux-ci vont se formaliser, comme ce fut le cas pour la Bone Chair. Sa chaise en polyamide Adaptation fait penser à une arborescence : telles deux amorces végétales, les pieds, solides, remplissent les besoins structurels du siège, tandis que le dossier et l’assise, plus légers, sont un réseau multicellulaire de mailles.
Objets du futur…
Quinze ans après ses premiers prototypes de mobilier imprimé en 3D, le designer Patrick Jouin remet le couvert, cette année, au Salon du meuble de Milan, avec, cette fois, l’aide de l’éditeur de logiciels Dassault Systèmes, de ses as en optimisation topologique et autre plateforme collaborative 3D Experience. Il imagine l’arachnéenne chaise en polyamide Tamu, entièrement pliable à l’instar d’un origami. Nécessitant 48 heures d’impression pour façonner les 1 647 pièces qui la composent, elle utilise, selon le designer, « le moins d’espace et le moins de matière possible pour être fabriquée ».Dans l’exposition Broken Nature installée à la Triennale de Milan cette année, les Néerlandais Olivier van Herpt et Sander Wassink ont, eux, montré le projet Adaptive Manufacturing, des objets en terre imprimés en 3D et arborant néanmoins quelques séduisantes imperfections artisanales : traces de – doigt, délicates coulures de vernis ou attrayantes craquelures de surface d’après-cuisson…
En solo cette fois, Olivier van Herpt expose actuellement, à la Biennale internationale de céramique contemporaine de Vallauris, de hauts contenants, les Sediments Vases, qu’il a conçus avec sa propre extrudeuse d’argile, ainsi qu’une imprimante en 3D de sa propre invention mesurant 1,50 mètre de haut. La manipulation est reine. En avril dernier, lors du Salon du meuble de Milan, la Française Audrey Large, 25 ans, a exhibé, à la galerie Nilufar, son projet .mocap.vfx, série d’objets en plastique créés à partir des données du mouvement de leur utilisation. Le titre vient d’ailleurs de l’abréviation de motion capture ou capture de mouvement.
Son objectif : « explorer le potentiel des processus de manipulation d’images numériques appliqués au design de notre environnement matériel ». Par exemple, pour imaginer un objet, la designeuse se filme en jouant des interactions usuelles liées au dit objet. Les mouvements sont capturés à l’aide de marqueurs et exportés dans un logiciel de modelage 3D, duquel résultera un artefact un brin distordu, forme étrange simultanément préhistorique et futuriste qui, selon sa créatrice, « brouille les lignes de la dichotomie obsolète entre l’objet réel et sa représentation, entre le physique et le numérique ».
… et biomatériaux
L’un des avantages indéniables de l’impression 3D est qu’elle permet de produire des formes complexes, difficiles sinon impossibles à créer par usinage ou selon les techniques de moulage traditionnelles. Avec un bémol cependant… Ainsi, pour fabriquer sa Growth Table Titanium, le Danois Mathias Bengtsson a développé un logiciel inédit simulant la croissance osseuse et utilisé un procédé de fabrication additive du métal, l’Electron Beam Melting, dont est friande l’industrie aéronautique ou de défense pour produire des pièces en titane.
Achevée, la table affiche une évidente virtuosité. Elle a, en réalité, été fabriquée en plusieurs éléments, lesquels, une fois assemblés, ont bénéficié d’un long et fastidieux polissage de finition… à la main. Preuve que cette technologie n’est pas (encore) la panacée. Autre inconvénient, le processus de fabrication d’une imprimante 3D libère des émanations nocives. D’où des études sur l’utilisation de biomatériaux, telles celles menées par les Néerlandais Eric Klarenbeek et Maartje Dros (Studio Klarenbeek & Dros). Lors de l’exposition Broken Nature, ils ont dévoilé Algae Geographies, de la vaisselle fabriquée avec des algues. Absorbant, paraît-il, les émissions de dioxyde de carbone, cette matière pourrait, à terme, remplacer le plastique. Bref, on l’aura compris, les pistes de recherche sont légion.
- Auteur de l’article : Christian SIMENC
- Source de l’article : https://www.admagazine.fr/
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Vignette de l’article : Vignette de l’article : © Daniele Iodice | La carafe TP-TS-1. La designeuse Audrey Large l’a créée à partir des données des mouvements liés à son utilisation.
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