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*** Les écoles de design s’ouvrent à l’entrepreneuriat

Ces établissements veulent faciliter les créations d’entreprises chez leurs étudiants, grâce à des cours, des partenariats avec des écoles de commerce ou avec des incubateurs.

A Strate Ecole de design, les étudiants de cinquième année peuvent choisir l’option enterpreneuriat. Strate école de design

A 28 ans, Judith Levy est à la tête d’une start-up de cosmétiques un peu particulière. Ses produits visent à aider des femmes qui, comme sa mère, aujourd’hui décédée, doivent supporter les effets de la chimiothérapie sur leur peau. Son projet n’est pas né dans les labos d’une fac de sciences, mais à Strate, une école de design dont elle est diplômée. Coachée par ses enseignants, Judith a interrogé des oncologues et des patientes, défini une dizaine de produits, développé une identité visuelle… Le jour de sa soutenance, le jury, conquis, l’a encouragée à transformer l’idée en entreprise.

Pourtant, sans sa rencontre avec Juliette Couturier, une jeune diplômée de HEC et de Sciences Po, devenue la cofondatrice de l’entreprise, les choses auraient pu en rester là. « Je ne savais pas vraiment par quel bout prendre le projet, se souvient Judith. En école de design, on apprend à manier les outils graphiques, à analyser le monde de manière critique et à voir comment on pourrait faire pour améliorer les choses. Mais jamais ou presque on ne s’interrogeait sur la viabilité économique de nos projets », regrette-t-elle. Un constat partagé par les jeunes entrepreneurs sortis de l’école il y a environ cinq ans. « En tant que designers, on nous a peu incités à monter notre boîte », confirment Julie Dautel et Cédric Tomissi, diplômés des Arts déco, à la tête d’Eonef, une start-up de ballons photovoltaïques.

 

  … Ceci est un article de Cécile Peltier pour Le Monde

 

Mais depuis cinq ans, les choses bougent. Les écoles de design cherchent de plus en plus à accompagner leurs étudiants porteurs de projets de création d’entreprise. « Si les écoles de design, où la pédagogie est fondée sur le projet, sont des usines à idées, l’entrepreneuriat en tant que tel reste un enjeu récent », reconnaît Frédéric Degouzon, directeur recherche et développement à l’Ecole de design Nantes Atlantique. Pendant longtemps, le designer, relégué en bout de chaîne par ingénieurs et manageurs, se préoccupait peu de cette partie. Au tournant des années 2000, la mondialisation et l’avènement du numérique le placent davantage au cœur de la prise de décision. Dans un monde où l’innovation s’exerce aussi bien sur le terrain des usages que de la technologie, les connaissances des designers sont particulièrement prisées.

Voir la réalité du terrain

Désormais présents en amont des projets, les designers sont de plus en plus nombreux à sauter le pas de l’entrepreneuriat. A l’Ensci-Les Ateliers, une école publique parisienne spécialisée dans le design industriel, Quentin Lesur, responsable des relations entreprises, a constaté une « accélération significative » du phénomène : sur la cinquantaine d’entreprises montées par des diplômés en trente ans d’existence de l’école, près d’un tiers ont été créées entre 2012 et 2018.

C’est pour répondre à la demande de ces étudiants entrepreneurs que les écoles ont noué, il y a quelques années, les premiers accords avec des écoles de commerce. Pendant sa scolarité à l’Ensci, Amory Panné a suivi un programme d’entrepreneuriat avec l’ESCP Europe. Quatre mois de cours et de rencontres en mode projet, dont est sorti Ouispoon, une plate-forme de rencontres entre collègues, lancée en 2017.

A Strate, depuis quatre ans, les créateurs en herbe peuvent suivre en dernière année une option « entrepreneuriat » d’une trentaine d’heures pour s’initier à la démarche et tester sa motivation. Certains travaillent avec des étudiants de Paris School of Business. Une coopération fructueuse, qui chaque année débouche sur « au moins un projet d’entreprise », assure son directeur, Dominique Sciamma.

A l’école de design de Nantes, tous les élèves, quel que soit leur master, abordent le sujet. Objectif : repérer de potentiels entrepreneurs, leur faire toucher du doigt la réalité du terrain et les mettre dans un contexte favorable à l’éclosion d’un projet. « Nos enseignants nous poussent à envisager notre projet de fin d’études comme un business. C’est très motivant et quand on a besoin de conseils, ils nous orientent vers les bonnes personnes », raconte Morgan Guyader, diplômé 2019, qui cherche à introduire une nouvelle espèce de zooplancton dans l’alimentation humaine.

Des incubateurs partenaires

Cette imprégnation peut prendre des formes plus ponctuelles : visites d’entreprises, workshops interdisciplinaires. Une fois par an, à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad), les étudiants du master design planchent pendant deux jours avec des étudiants en entrepreneuriat de Dauphine autour d’un thème : le quatrième âge, le recyclage créatif…

Lorsqu’il s’agit de passer à la concrétisation des projets, les écoles de design passent le relais à des incubateurs partenaires. En tant que diplômés des Arts déco, Camille Zonca et Cyril Quenet, cofondateurs de Label Famille, ont intégré celui de Paris Sciences et Lettres, un regroupement auquel appartient leur école. Une expérience décisive : « Les professeurs de l’Ensad nous avaient fait des retours sur la création, mais l’incubation nous a fait prendre conscience du fait qu’il fallait penser en termes de business model », témoignent-ils.

Pour Frédéric Degouzon, de l’école de design de Nantes, si la compétence « design » est indispensable pour créer une entreprise, le bon attelage reste « le trio business, ingénieur, design ». Dominique Sciamma, directeur de Strate, n’est pas complètement de cet avis. Non seulement l’école de design est en train de refondre ses maquettes pour faire du management et de l’entrepreneuriat un fondamental, au même titre que la créativité. Mais cet établissement privé prévoit aussi de candidater à la gestion du futur espace d’incubation d’entreprises de la Cité des métiers d’art et du design de Sèvres (Hauts-de-Seine), attendue mi-2021.

Dans son vaste espace brut aux allures d’atelier coiffé d’une verrière, l’Ensci a opté pour une solution médiane : son incubateur, le Grand Bain, accessible à tous les étudiants et aux diplômés, est une sorte de cocon dans lequel on peut faire éclore son projet, avec un cours sur le design et l’entrepreneuriat et un coaching personnalisé réalisé par le référent Nicolas Bellego. « L’objectif n’est pas, comme j’ai pu le faire dans le passé, de créer des start-up par wagons. Mais d’aider les designers, à qui le côté ultraspécialisé de la start-up peut faire peur, à trouver la bonne formule pour porter leur projet », explique-t-il.

Lucile Sauzet, passée par les eaux chaudes du Grand Bain, approuve en souriant. Comme beaucoup de designers de sa génération, très attachée aux dimensions d’éthique et de sens, elle a opté pour un modèle d’entreprise hybride. A côté de son activité de prestation de design en lien avec la santé, elle a créé un produit, un bandeau orné d’une plume utilisé en sophrologie pour des exercices de respiration, qu’elle a commercialisé. L’une des facettes d’une activité multiforme, entre missions et entrepreneuriat.

 

 

Vignette de l’article : A Strate Ecole de design, les étudiants de cinquième année peuvent choisir l’option enterpreneuriat. Strate école de design

 

Cet article a été sélectionné par designer.s dans le cadre de sa veille éditoriale et intégré à sa revue de presse européenne francophone !

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