Cartouches hors de prix, plastique de mauvaise qualité, bridage logiciel… Pour dénoncer ces dérives des industriels, un jeune diplômé de l’ENSCI a conçu une imprimante de bureau open source, économique et facile à réparer…
Les étudiants de l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI) semblent bien décidés à signer la mort de l’obsolescence programmée. Après L’Increvable, machine à laver faite pour durer 50 ans, inventée par un de ses élèves, voilà Impro, une imprimante démontable, écologique et réparable, pensée par Paul Morin, un autre diplômé de l’école.
Les imprimantes tombent souvent en panne et ont une durée de vie limitée, comme l’a révélé en 2010 le documentaire Prêt à jeter. Elles cristallisent donc nombre de frustrations autour d’elles, si bien que des espaces, comme la Fury Room à Paris, proposent à leurs clients pour se défouler de s’amuser à les détruire.
Plus sérieusement, elles posent un véritable défi écologique et sont les premières citées quand on aborde le sujet de l’obsolescence programmée. L’association Hop a d’ailleurs déposé une plainte en septembre contre de grands fabricants d’imprimantes comme Epson, HP ou Canon.
« L’objet de l’imprimante est vraiment emblématique des débats contemporains autour de l’obsolescence programmée. C’est un objet à l’impact environnemental fort, avec un modèle économique assez frustrant pour l’utilisateur, et qui ne semble pas forcément le plus pertinent d’un point de vue environnemental », explique Paul Morin.
Le jeune designer a donc choisi de s’attaquer à cet objet qu’il qualifie de « boîte noire opaque ». Pour son projet de fin d’études à l’école ENSCI – Les Ateliers, il a imaginé Impro, une imprimante verticale, s’adressant aux professionnels qui ont besoin d’imprimer des images au quotidien (architectes, designers, urbanistes).
Plus rien à cacher
« Pour concevoir Impro, j’ai commencé par démonter les imprimantes autour de moi », raconte Paul Morin. En s’appuyant sur les mécanismes existants, il a décidé d’enlever des composants pour réduire au maximum la complexité de l’objet.
Son objectif premier : rendre l’imprimante la plus compréhensible possible pour les utilisateurs. Tous les éléments techniques sont distingués par une couleur, ce qui les rend facilement identifiables.
« Avec Impro, il suffit d’enlever le capot pour voir tous les blocs techniques à l’intérieur et l’on comprend alors facilement le fonctionnement de l’objet et s’il y a une panne on peut l’identifier rapidement et changer la pièce défectueuse ».
Les imprimantes traditionnelles sont difficilement démontables, les éléments techniques étant tous imbriqués les uns dans les autres dans un petit espace, ce qui entraîne bien souvent en cas de panne l’achat d’une nouvelle imprimante plutôt qu’une simple réparation.
Autre nouveauté proposée par Paul Morin, remplacer les cartouches d’encre par des réservoirs transparents et rechargeables. Ce qui a pour intérêt de réduire considérablement la quantité de déchets produits par les imprimantes.
En effet, chaque année ce sont 190 millions de cartouches d’encre pour imprimante qui sont utilisées en Europe, et qui produisent 60 000 tonnes de déchets. Chaque cartouche mettant ensuite jusqu’à 450 ans pour se décomposer.
L’utilisateur reprend ainsi le contrôle sur sa consommation et voit par lui-même quand le tube d’encre est vide. Cela offre aussi une alternative concrète aux imprimantes des grands groupes dont on ne connaît jamais la contenance véritable des cartouches.
Impro c’est aussi une imprimante verticale, qui se fixe au mur, ce qui permet de gagner de l’espace et de servir de plan de travail. « Quand on imprime la feuille s’affiche en même temps sur le mur, on peut donc retravailler, écrire, annoter », décrit son inventeur.
« Mon imprimante c’est un petit peu la 2 CV de l’imprimante : c’est simple, c’est moins sophistiqué, mais en contrepartie c’est plus durable et plus robuste ».
Repenser les modèles économiques
Pour le designer, au-delà de l’objet il faut aussi repenser les modèles économiques. Les grands fabricants d’imprimantes proposent en général des imprimantes peu chères mais des consommables (cartouches, papiers) très coûteux. Pour Paul Morin, l’idée serait d’inverser la tendance, en proposant une imprimante plus chère à l’achat, mais dont l’encre, par exemple, coûterait beaucoup moins et se viderait moins vite.
C’est ce qu’il va tenter de faire au sein de French Bureau, un collectif de jeunes entrepreneurs, en développant, dans le cadre d’une start-up, son modèle d’imprimante et son modèle économique. Son imprimante a déjà reçu une Étoile de L’Observeur du design 2018 dans la catégorie « Mutations écologiques ».
Pour continuer à limiter l’empreinte écologique des imprimantes, Paul Morin a aussi conçu une application qui permettra de réutiliser le parc d’imprimantes déjà existantes entres voisins. Il suffira de spécifier son besoin et de récupérer ses pages imprimées par la poste ou lors d’une rencontre. Une façon de mutualiser les frais d’impression et d’optimiser les machines déjà existantes.
L’obsolescence programmée est d’ailleurs dans le viseur du gouvernement. Une feuille de route devrait être publiée en mars prochain à ce sujet a annoncé mi-janvier Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du Ministre d’État, et du Ministre de la Transition écologique et solidaire. En attendant, l’imprimante de Paul Morin montre déjà que des alternatives sont possibles.
Auteur : Juliette Mantelet pour We Demain
Vignette de l’article : Conçue par Paul Morin, cette imprimante verticale et démontable entend lutter contre l’obsolescence programmée (Crédit : Véronique Huyghes)
2 -Toutes les pièces sont accessibles pour pouvoir facilement changer les pièces défectueuses (Crédit : Véronique Huyghes)
3 – Les réservoirs au lieu des cartouches permettent de visualiser la quantité restante et de réduire les déchets (Crédit : Véronique Huyghes)
Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s !
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(i) . Informatif