Il existe sur notre territoire métropolitain de grandes concentrations scientifiques et technologiques. Si l’on superpose sur une même carte les initiatives d’excellence universitaires, les pôles de compétitivité, les instituts de recherche technologique, les plates-formes CEA Tech et les Sociétés d’accélération des transferts de technologies, apparaissent alors, en laissant Paris à part, une douzaine de territoires urbains où se concentrent des forces scientifiques et technologiques au rayonnement international : Bordeaux, Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Metz-Nancy, Montpellier, Nantes, Rennes, Saclay, Strasbourg et Toulouse.
On trouve dans ces « clusters », ou « clusters de clusters », de grands laboratoires publics, des entreprises de toutes tailles, avec leurs services de R&D, des universités et des écoles de renom, des structures de valorisation et de transfert, des incubateurs de start-up et des accélérateurs de projets, des institutions financières… Cette concentration d’expertises fait progresser le front des connaissances et des applications. Mais pour passer des laboratoires ou des services de R&D à la société et aux marchés afin d’y créer de la valeur, il reste une étape importante à franchir : la mise en forme des technologies maîtrisées à des fins d’usages.
La forme n’est pas le look, elle est la matérialisation opératoire, économique, écologique, esthétique d’un concept. Elle est une création et une conception industrielle. C’est là que se situe le design industriel. L’industrie à laquelle nous faisons référence ici est celle du « nouveau monde industriel », celle du XXIe siècle, notamment celle que l’on nomme la 4.0. Quant aux objets dont nous parlons ici, ils sont les fruits de cette industrie : ils sont des systèmes, des produits, des services ou des machines.
LE DESIGN INDUSTRIEL EST ABSENT DE LA PLUPART DE NOS « CLUSTERS » TECHNOLOGIQUES
Or dans la douzaine de concentrations évoquées, l’activité de design industriel est assez marginale, parfois absente. Du côté des agences, sauf à Lyon (et dans une moindre mesure à Nantes), nous sommes dans des quasi-déserts ; plus des trois quarts des agences de design industriel sont à Paris. Du côté des entreprises implantées sur ces territoires, les services intégrés de design sont rares, le plus souvent inexistants (PME).
Du côté des formations au niveau master, dans la douzaine de « clusters » cités, il n’y pas de grande école de design résolument tournée vers les technologies et les entreprises industrielles, sauf à Nantes avec l’École de design Nantes Atlantique.
Il existe bien un réseau d’Écoles supérieures d’art et de design (ESAD). Mais rares sont celles qui s’avancent sur la voie industrielle. Et celles qui s’y sont engagées (ou s’y engagent), exception faite de l’école de Nancy, se trouvent éloignées des clusters évoqués, comme à Amiens, Orléans, Reims ou Saint-Etienne.
Il existe par ailleurs un réseau d’établissements, relevant de l’Education nationale, qui préparent au diplôme supérieur d’art appliqué (DSAA) avec diverses spécialités : design de produit ou d’espace, design graphique… Ce diplôme à bac +4 est inscrit au niveau 1 du Registre national des certifications professionnelles. Ces formations, insuffisamment connues, sont dans l’ensemble de très bonne qualité. Le DSAA, mention design de produit, est délivré dans des lycées ou des Écoles supérieures d’art appliquée, elles même intégrées à des lycées.
Elles ont de petits effectifs et partagent un handicap : elles se situent dans des établissements d’enseignement secondaire et diplôment encore à bac +4. Elles ont pour cela du mal à pénétrer les cénacles de la recherche et de l’enseignement supérieur. Certaines ont un handicap supplémentaire, du point de vue où nous nous situons : elles ne sont pas géographiquement au cœur des grands clusters, comme à Chaumont, La Souterraine, Nevers, Quimper, Vauréal, Villefontaine, Yzeure… Cela ne les empêche pas de nouer des relations bilatérales assez fournies avec des entreprises.
Il existe enfin des formations en design, au niveau master, dans des universités. Enfermées dans des UFR d’arts, arts plastiques et appliqués, ou encore sciences de l’art, la plupart pensent le design plus qu’elles ne le pratiquent et se trouvent dépourvues d’ambitions industrielles.
INVENTER DES ESPACES OUVERTS, DÉDIÉS À LA CONCEPTION INNOVANTE
Comme il sera difficile de faire évoluer à court/moyen terme des cultures d’établissement, d’homogénéiser des offres aussi disparates et de mettre sous une même « tutelle » locale ces formations diverses, souvent illisibles pour les entrepreneurs, il vaut mieux, tout en leur laissant leur autonomie, créer un espace de collaboration volontaire entre elles, et avec des formations tout aussi essentielles pour ce qui nous concerne ici comme celles des écoles d’ingénieurs et des universités scientifiques et techniques (ces espaces étant ouverts aux formations initiales et continues).
Car dans le même temps, des écoles d’ingénieurs s’intéressent de plus en plus au design, sensibilisent leurs élèves au design. Certaines prévoient même dans leurs programmes des plages de temps pour des projets innovants associant d’autres spécialités, dont le design. Mais ce mouvement n’est pas général et ces initiatives, pour nécessaires qu’elles soient, restent embryonnaires, même dans les écoles les plus avancées.
Par ailleurs, on en est très loin dans les universités de sciences et techniques. Quant aux écoles de management, et aux universités avec sciences de gestion, beaucoup sont sensibles à la mode du design thinking. Le moment semble alors venu de les amener au design doing dans des espaces de collaboration dédiés à la conception innovante. A suivre…
Author : Alain Cadix [ancien directeur de l’ENSCI-Les Ateliers, conseiller technologie et design au CEA / CEA Tech, membre de l’Académie des technologies] pour l’Usine Nouvelle