Contestant leur exclusion de la “Sécu” des artistes, qui leur refuse le statut d’auteur, des designers y sont venus plaider leur cause. Rapport de séance.
La porte s’ouvre sur une vaste salle aux murs blancs. Il est 10h30, ce jeudi 12 mai, à la Maison des artistes (MDA), la « Sécu » des créateurs, dans un bel hôtel particulier parisien. Un groupe d’une dizaine de designers entre et interrompt la séance de la commission professionnelle chargée de l’affiliation des créateurs à la MDA. De celle-ci dépend leur protection sociale > lire l’article sur les designers en colère. Dans la grande salle aux murs blancs, le « coup d’Etat » pacifique des designers commence. Ils protestent contre leur exclusion de la MDA, qui leur refuse le statut d’auteur, ce qu’ils jugent injuste et arbitraire. La position de l’institution prive ces indépendants de toute couverture maladie – ils ne peuvent s’inscrire ailleurs –, et leur fait perdre des contrats, car nombre de commanditaires exigent des auteurs qu’ils soient affiliés à un régime de protection sociale.
François Caspar, président du syndicat AFD (Alliance française des designers), tente de prendre la parole. Il demande trente minutes pour présenter ses revendications et régler enfin cette affaire traînant depuis plus de dix ans. Le brouhaha s’installe. Un galeriste, membre de la commission, claque la porte. Laurence Leplay, présidente de séance et responsable du Syndicat national des sculpteurs et plasticiens, rejette la requête de Caspar. Selon elle, la commission s’en tient aux textes ministériels et n’a pas à en débattre. Après dix minutes de palabres et un coup de gueule du designer Christian Ghion, Laurence Leplay et Stéphanie Micalef, directrice des services artistes auteurs et diffuseurs de la MDA, acceptent d’accorder un quart d’heure aux designers, et pas une minute de plus.
François Caspar se lance : « Les auteurs de design ont-il droit au statut d’auteur de la Maison des artistes ? Nous répondons oui. Car ce sont des auteurs d’œuvres originales, comme les peintres, les sculpteurs ou les designers graphiques ou textiles, qui, eux, ont déjà ce statut. Leur exclusion est le fait d’une chasse aux sorcières contre les designers de produits. A chaque fois que nous défendons ces derniers devant le tribunal des affaires sociales, celui-ci nous donne gain de cause et demande leur réintégration. Ils sont bien auteurs d’œuvres de design, ce qui est un terme juridique reconnu par le droit de la propriété intellectuelle. Nous voudrions que cette notion soit comprise et acquise par les membres de la commission professionnelle. Car aujourd’hui, 60 % des cotisations versées à la MDA sont payées par 40 % de ses membres, qui sont designers graphiques et textiles. Le statut d’auteur tourne économiquement parce que d’importantes activités de design l’alimentent. Nous ne comprenons donc pas pourquoi la solidarité ne s’exprime pas dans l’autre sens. »
Quatre designers racontent leur cas. On découvre qu’ils vivent des situations invraisemblables. Inga Sempé : « Je n’ai plus de sécurité sociale depuis trois ans. Je fais du design textile, des pièces uniques, mes créations sont exposées au Musée des Arts décoratifs et au Centre Pompidou. Je travaille aussi comme designer industriel : je dessine des canapés signés de mon nom et édités par Ligne Roset, pour lesquels le Musée des arts décoratifs m’a acheté une maquette et des carnets de croquis. Je ne comprends pas pourquoi je ne peux pas être considérée comme une auteure. »
“Dans nos métiers, nous mélangeons arts plastiques, design, photo, dessin, peinture. Aujourd’hui, les cloisonnements n’ont plus vraiment de sens”, Philippe Daney
François Azambourg poursuit : « J’ai été viré en 2014 pour insuffisance de revenus, alors qu’ils étaient bien au-dessus du minimum [environ 8 000 euros annuels, NDLR de Télérama]. Je suis designer et auteur. Je suis édité par Ligne Roset et Cappellini, et je travaille avec la galerie Kreo pour des pièces uniques numérotées. Tous ceux qui sont ici ont été largement primés, notamment par le ministère de la Culture. » A son tour, Philippe Daney expose ses difficultés et présente son travail, images à l’appui. « Dans nos métiers, nous mélangeons arts plastiques, design, photo, dessin, peinture. Aujourd’hui, les cloisonnements n’ont plus vraiment de sens. En 2012, je faisais du graphisme, et vous m’avez viré à partir du moment où je me suis mis à faire des lustres. Grâce à vous, mon chiffre d’affaires a été divisé par trois et demi. Merci ! » Marianne Guedin, à la fois designer et scénographe végétal, explique avoir été exclue pour dossier non rendu, alors que celui-ci « a été remis en main propre. »
« Le réglement intérieur de la MDA permet à la commission de modifier son champ d’application, argumente François Caspar. Pourquoi ne pas l’utiliser ? Si la commission souhaite évoluer, nous pouvons l’aider. Sinon, nous pouvons revenir. Et l’ennuyer jusqu’à ce que quelque chose se passe. » Faudra-t-il en arriver là ? Affaire (sociale) à suivre.
Author : Xavier de JARCY pour Télérama