Les jeux vidéo ont mauvaise réputation. Pourtant, des scientifiques travaillent sur des exercices ludiques capables de soigner diverses affections cognitives : autisme, Alzheimer, schizophrénie, dépression.
Ne parlez pas de jeux vidéo aux parents dont les adolescents passent leurs nuits sur Call of Duty ou Grand Theft Auto. Trop violents, trop addictifs, trop dangereux pour les cerveaux en pleine formation des jeunes joueurs, les jeux vidéo ont souvent mauvaise presse. Mais cette image négative pourrait changer dans les années à venir.
En effet, des scientifiques travaillent sur les capacités de ces jeux à réparer certains dommages neurologiques pour redonner aux patients leurs capacités perdues, en particulier pour les troubles de l’attention. Une étude américaine a ainsi montré que jouer à la console Wii de Nintendo avait permis à des personnes ayant eu un infarctus de retrouver une coordination de leurs mouvements après seulement deux semaines de jeu.
D’autres chercheurs américains ont observé une diminution des symptômes de la schizophrénie (hallucinations, discours et pensée désorganisés) après huit semaines de jeux, et ce quelle que soit leur nature : stratégie, casino, RPG (Role Playing Game ou jeux de rôles), FPS (First Person Shooter ou tir en vue subjective).
Une autre étude publiée en août dernier par des neurologues américains et chinois dans la revue Nature Communications met en lumière cet effet bénéfique des jeux vidéo sur les personnes âgées souffrant de dépression. Leur conclusion : ces exercices ludiques seraient plus efficaces que les antidépresseurs.
« En fait, 72% des patients ont eu une rémission complète de la dépression», selon Sarah Morimoto de l’Institut de psychiatrie gériatrique à New York, coauteur de l’étude.
Ces avancées pourraient ébranler le monopole des molécules de l’industrie pharmaceutique, car les améliorations viendraient de la capacité de ces jeux à activer certaines zones du cortex frontal, siège des principales tâches cognitives : attention, prise de décision, planification, etc.
LES MÉDICAMENTS NE SAVENT PAS CIBLER
Lors de son passage à LeWeb 2014 en décembre dernier, Adam Gazzeley, docteur en neurologie à l’UCSF (University of California, San Francisco), a présenté les travaux réalisés par son Gazzeley Lab concernant ce potentiel de guérison des jeux vidéo.
« Malgré les progrès des technologies médicales, comme l’imagerie à résonance magnétique, nous ne savons pas vraiment ce qui se passe dans le cerveau des gens qui rencontrent des problèmes cognitifs. Nous utilisons des médicaments, mais aucun ne cible avec précision les problèmes d’attention. C’est pourquoi nous devons augmenter les doses, et donc les effets secondaires, qu’il faut ensuite traiter avec d’autres médicaments», explique le docteur Gazzeley.
Cette absence de ciblage des médicaments a conduit médecins et chercheurs à développer de nouvelles approches qui mélangent molécules chimiques, exercice physique, méditation, stimulation électrique et magnétique, et, depuis peu, les jeux vidéo.
DES ALGORITHMES QUI S’ADAPTENT EN TEMPS RÉEL
Adam Gazzeley a contacté un de ses amis développeur de jeux chez LucasArts, la société du réalisateur de Star Wars Georges Lucas, qui a imaginé NeuroRacer, un jeu de conduite de voiture en 3D. Chaque tâche effectuée par le conducteur virtuel possède son propre algorithme qui adapte en temps réel la difficulté du jeu aux aptitudes du joueur.
L’équipe du laboratoire a ensuite enregistré l’activité neuronale au moment le plus difficile de l’exercice, quand il faut conduire et réagir à un panneau de signalisation qui apparaît sur l’écran.
Gazzeley a aussi distribué des ordinateurs portables contenant le jeu à des gens âgés de 70 ans et plus de la région de San Francisco. Un mois après, leur capacité aux activités multitâches a bondi, dépassant même les performances des jeunes de 20 ans !
« Six mois plus tard, cette habileté au multitâche n’avait pratiquement pas baissé» ajoute le directeur du Gazzeley Lab.
Les résultats de ces tests ont tant impressionné la célèbre revue scientifique Nature qu’elle en a fait sa couverture en septembre 2013, sous le titre « Game changer», deux mots qui décrivent à la fois le potentiel de changement induit par ces jeux thérapeutiques et une modification des règles du jeu dans l’univers médical et pharmaceutique.
Suite à cette publication, Adam Gazzeley a été submergé de demandes pour distribuer son jeu au public concerné par les troubles de l’attention.
« Malheureusement, ce n’est pas un produit, mais une expérimentation», précise le scientifique californien.
Pour établir un pont entre la communauté scientifique et l’industrie, Adam Gazzeley a cocréé la société Akili Interactive Labs, qui a déposé des brevets et développé plusieurs jeux destinés à guérir le déficit d’attention, la dépression, les traumatismes cérébraux, l’autisme et la maladie d’Alzheimer, comme Evo, un jeu multitâche sur iPad.
UN LABORATOIRE SCIENTIFIQUE ET… LUDIQUE
Dans l’optique de réduire le fossé entre nouvelles technologies et neurosciences, Adam Gazzeley a monté au sein de la University of California, San Francisco (USCF) le NeuroscapeLab. Ce laboratoire new look est équipé d’une salle de contrôle remplie d’écrans, et possède de nombreux appareils d’enregistrement des activités cérébrales : suivi des mouvements oculaires (eye tracking), activité électrodermale (galvanic skin response), casques EEG (électroencéphalogrammes), lunettes de réalité virtuelle type Oculus Rift, etc.
Quatre «neurojeux» sont déjà sortis du NeuroscapeLab. Dans Body-Brain Trainer, l’avatar du joueur (qui est équipé d’un casque et d’un capteur de rythme cardiaque) doit éviter des obstacles qui apparaissent devant son cheval virtuel.
Rythmicity a été conçu avec l’aide de musiciens, comme Mickey Hart, le batteur du légendaire groupe californien Grateful Dead, pour valider le fait que les rythmes peuvent améliorer nos fonctions cognitives. Avec Virtual Attention, le patient/ joueur porte des lunettes Oculus et se retrouve dans une sphère en 3D. Le quatrième neurojeu, Meditrain, est fondé sur les principes de la méditation : se concentrer sur sa respiration et faire abstraction des stimuli extérieurs. Un jeu pour iPad développé avec l’éditeur Zynga (connu pour FarmVille).
Pour étudier les réactions neurologiques à ces exercices ludiques en temps réel, l’équipe du laboratoire a mis au point le Glassbrain (cerveau de verre), une image IRM en 3D du cerveau dont les fibres changent de couleur en fonction de l’activité cérébrale. Un outil précieux pour définir des modèles prédictifs.
« Vous jouez à un de nos jeux, quelque chose se passe dans votre cerveau, qui modifie votre comportement. Les algorithmes détectent ces changements en temps réel et ajustent les défis proposés. D’ici à dix ans, ces jeux, associés au Glassbrain et à des stimulations électriques, devraient permettre à notre cerveau de mieux résister aux affections neurologiques», espère Adam Gazzeley.
Les jeux vidéo vont-ils devenir une réelle alternative aux molécules de l’industrie pharmaceutique ? Les jeux ne sont pas encore faits.
Auteur : La Tribune
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