L’exposition « Le grand détournement », à Nancy, présente des objets que de jeunes designers ont dessinés, mais aussi fabriqués. David des Moutis, co-commissaire de l’exposition, détaille cette nouvelle approche.
Pour pallier le manque d’audace des industriels, les jeunes créateurs autoproduisent leurs créations. Une évolution que décrypte David des Moutis, co-commissaire de l’exposition « Le grand détournement », à Nancy.
Quelle est la particularité des pièces exposées dans « Le Grand Détournement » ?
Traditionnellement, le rôle du designer est de dessiner des objets qui sont ensuite fabriqués et distribués par des maisons d’édition. La tendance actuelle est à l’autoproduction : non seulement les designers imaginent les pièces, mais ils les produisent, voire les vendent eux-mêmes. Quasiment toutes les pièces exposées dans « Le Grand Détournement » proviennent du Centre national des arts plastiques (un organisme qui acquiert régulièrement des pièces de la jeune scène du design). Elles ont été réalisées de A à Z par leurs créateurs.
Pour quelle raison cette tendance émerge-t-elle aujourd’hui ?
Le contexte économique actuel ne favorise pas la prise de risques. Les industriels ont besoin d’être rassurés. Aussi, lorsqu’ils lancent la production de nouvelles pièces, ils préfèrent faire appel à des designers connus, avec un réseau, dont le travail a déjà été validé. Dans ces conditions, les jeunes designers ont du mal à intégrer le circuit. Et quand ils y parviennent, ils sont peu rémunérés.
La production n’est pas leur cœur de métier… Comment apprennent-ils à fabriquer ?
Certains établissements à la pointe, comme la Design Academy d’Eindhoven, aux Pays-Bas, et le Royal College of Art de Londres forment les étudiants à devenir des « makers », à comprendre la matière pour pouvoir produire eux-mêmes.
Les technologies facilitent-elles cette autoproduction ?
Plus besoin d’industriels ou d’artisans pour développer ses projets. Aujourd’hui, il est possible d’avoir une mini-usine chez soi. L’imprimante 3D permet de réaliser un tas de projets, on le voit dans l’exposition avec les vases en terre de François Brument. Pour optimiser les coûts, les designers achètent des machines en commun et se fédèrent dans des espaces de création mutualisés. Ils produisent de petites séries. Chaque semaine, le Néerlandais Jolan van der Wiel fabrique par exemple cinq ou six de ses tabourets en polyuréthane et limaille de fer. Autosuffisants, ils consacrent une grande partie de leur temps à l’expérimentation. Certains vont jusqu’à créer leurs propres machines-outils.
Fabriqué en petite série, le design autoproduit est-il accessible ?
En termes de prix, l’autoproduction couvre un champ très large, des pièces d’assemblage en métal à 8 euros de Jérôme Dumetz, qui permettent de construire soi-même ses étagères et ses tabourets, à des pièces uniques très coûteuses. Il arrive que des pièces fabriquées localement avec des matériaux nobles coûtent moins cher que leurs équivalents industriels. L’autoédition présente aussi l’avantage de revenir à une approche artisanale : en contact direct avec les clients, les designers-artisans produisent des objets sur mesure, adaptés aux usages. Avec eux, on sort de l’image de l’ingénieur inaccessible ou de la star déconnectée des réalités de production et des besoins des clients. Cette exposition est un outil de compréhension, et une invitation. Nous espérons qu’elle donnera envie aux visiteurs d’aller frapper à la porte des studios de designers.
Auteur : Marie GODFRAIN pour Le Monde
Vignette de l’article : Les tabourets de Jolan van der Wiel, en polyuréthane et limaille de fer. Michel Giesbrecht / Collection du Centre national des arts plastiques
Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s !
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