Du chevet chargeur de téléphone à la lampe qui absorbe le bruit, le design n’est plus seulement là pour « faire joli », mais pour rendre service.
De la finesse, toujours plus de finesse… Les fabricants de smartphones se livrent depuis quelques années à une course effrénée. Mais leurs terminaux finissent par perdre en tour de taille ce qu’ils gagnent en fragilité. A contre-courant de cette tendance, le fabricant coréen LG a dévoilé, la semaine dernière, le G4, un combiné au dos rebondi qui délaisse les canons du smartphone ultraplat au profit d’une meilleure ergonomie, ce qui lui permet non seulement de mieux tenir en main, mais aussi d’accueillir une batterie performante : un luxe…
S’il fait encore figure d’exception, ce smartphone incarne une nouvelle tendance, celle d’un design qui met de côté esthétique et technologie pour mieux répondre aux besoins de la vie courante. « On ajoute toujours de nouvelles fonctions aux téléphones, mais leur usage est devenu si complexe qu’ils sont réservés aux geeks, confirme Gérard Laizé, directeur général du Valorisation de l’innovation dans l’ameublement (VIA), organisme de promotion du design hexagonal. Face à ces usines à gaz, les utilisateurs sont en attente d’objets plus simples. »
Tout le monde a droit à l’art de vivre
« Le sujet du design, ce n’est pas l’objet, c’est l’homme », prophétisait Charlotte Perriand après-guerre. Cette heure semble enfin arrivée, les designers s’intéressant par exemple au confort « utile » des intérieurs. Luceplan propose ainsi un lustre qui absorbe les sons ambiants.
Le duo de Normal Studio a, lui, travaillé sur un bahut absorbeur de bruit à l’occasion d’une carte blanche du VIA. De son côté, le géant Ikea s’escrime à résoudre les problèmes de chargement des portables et propose, depuis le 15 avril, des meubles sur lesquels il suffit de poser son téléphone pour le charger, par induction. Quant à la table climatique de Jean-Sébastien Lagrange, encore à l’état de prototype, elle permet de refroidir naturellement une salle de réunion.
« La jeune génération de designers est sensible à cette notion de service, estime Anne-Marie Boutin, présidente de l’APCI (Agence pour la promotion de la création industrielle), qui décerne chaque année L’Observeur du design, un prix à de nouvelles créations. Le rôle de L’Observeur du design est justement de montrer que tout le monde a droit à l’art de vivre. Je pense notamment à cette table pliante pour enfant très astucieuse, vendue chez Carrefour à 29,90 euros. »
Las de changer le sac de son aspirateur, l’ingénieur James Dyson a testé, de 1978 à 1983, plus de 5 000 prototypes, jusqu’à créer un modèle qui en est dépourvu. Une démarche qu’il honore, chaque année, avec un prix qui encourage les étudiants de vingt pays à apporter une réponse concrète à un problème du quotidien. « Depuis deux ans, nous constatons que l’altruisme est une valeur portée par de nombreux projets », énonce Gladys Salmouth chez Dyson France. Comme Tip tap top, ce joli appareil qui se fixe au robinet, et apprend aux enfants à se laver les mains en économisant de l’eau (créé par Théo Sauzon).
Le beau n’est certes plus une priorité
Le design peut-il à changer la vie ? Certains y travaillent, « et aident les entreprises à mettre la technologie au service de l’usager », se réjouit Anne-Marie Boutin. En créant par exemple des ciseaux ergonomiques pour coiffeurs atteints de troubles musculo-squelettiques ou des manches antivibrations pour les outils des ouvriers des chantiers. L’éditeur de mobilier Coalesse s’adresse, lui, aux travailleurs nomades, avec un fauteuil hybride dessiné par Jean-Marie Massaud. Avec sa tablette amovible et pivotante, son passe-câble dissimulé dans l’assise, il peut servir de bureau… mais aussi de simple siège.
Ces objets pratiques, centrés sur l’usager, vont à contre-courant de la tradition française des arts décoratifs, portée par le design d’édition qui privilégie l’apparat à l’usage et qui a marqué la création de mobilier depuis le XVIIIe siècle. « En France, patrie du luxe, la création est portée par des valeurs d’esthétisme et d’élitisme », explique Jean-François Dingjian, fondateur de Normal Studio.
Dans ce design « de service », le beau n’est certes plus une priorité, comme le montre Easybreath, le masque de plongée créé par Décathlon, qui effraye un peu de prime abord. « Nous nous attachons avant tout à créer des objets utiles pour chaque sport par l’observation des pratiques sur le terrain et de leur évolution », avance Arnauld Blanck, responsable du design de la marque.
La fonction crée la forme, avancent la plupart des designers. Mais ces objets restent beaux. Comme ce service d’arts de la table tout en transparence imaginé par le studio Pulse & Pulpe avec des ergothérapeutes et des pensionnaires d’une maison de retraite. Les assiettes aux rebords surélevés permettent aux personnes ayant des difficultés à utiliser leurs couverts de pousser les aliments dans la fourchette. Les verres peuvent être pris en main de quatre manières différentes. Pensé pour des personnes âgées, ce service peut aussi être utile aux enfants. Et aurait sans doute sa place dans n’importe quel restaurant design.
Author : Marie GODFRAIN, journaliste, pour Le Monde
Photos :
Vignette : Fauteuil avec tablette pivotante – Designer Jean-Marie MASSAUD – Edition COALESSE
Ci-dessous 1 : Service de table ANDY – Design PULSE & PULPE
Ci-dessous 2 : Ciseaux ergonomiques de Julien GANDON