Le Musée du design expose les travaux du Studio Wieki Somers. Ou comment des lampes et des cheminées peuvent aussi raconter des histoires. En empruntant souvent la voie du conte onirique
Par définition, les objets n’ont pas d’âme. Sauf chez Lamartine pour qui ils n’étaient pas forcément tous inanimés. De la même manière, pour Wieki Somers, une lampe, un buffet, une théière peuvent tout à fait prétendre à une existence, à un supplément de vie. Il suffit juste de la leur insuffler. D’où une production design à la fois conceptuelle et poétique qui s’expose en ce moment au Musée de design et d’arts appliqués contemporains de Lausanne (Mudac) à travers une rétrospective de son bureau fondé en 2003 avec Dylan van den Berg.
A 41 ans, la designer néerlandaise est un pur produit de cette Design Academy Eindhoven dont les diplômés ont rebrassé les cartes du design à la fin des années 1990. Et proposé une nouvelle manière d’envisager notre environnement quotidien à travers une vision décalée des choses et l’usage de nouveaux matériaux. Au Mudac, la pièce maîtresse de l’exposition Out of the Ordinary est un ensemble de vases.
A l’intérieur de ceux-ci, ou parfois enroulées autour de leurs anses, des fleurs comme figées dans la glace. «La nature artificielle est l’une de nos principales inspirations, explique Wieki Somers. Ses formes sont à la fois logiques mais totalement imprévisibles. La reproduire est donc une sorte de défi pour l’esprit humain.»
La magie de la glace
Cette contradiction entre l’homme et son écologie se retrouve d’ailleurs souvent au cœur des travaux du studio. Comme dans Still Waters, série de cinq vases dont l’emploi de multiples techniques de travail du verre cherche à reproduire l’impossible: les différentes étapes du cycle de l’eau.
Mais l’installation Frozen Time et ses soliflores d’apparence givrés racontent aussi une autre histoire. Celle de cette nuit de mars 1987 où les paysages des Pays-Bas ont été intégralement gelés par une exceptionnelle vague de froid. «Un livre a été édité à la suite de cet événement. L’Ice Book avec ses images splendides montre bien que ce qui est beau dans la glace c’est qu’elle arrête le temps, mais juste un bref instant.» L’ensemble a été édité par la Galerie parisienne Kreo. «Pour nous qui sommes à la base des designers industriels, travailler avec une galerie nous permet d’expérimenter des idées, de tester des matières en petites séries.»
La voie du samouraï
C’est ainsi le cas de Mitate, groupe de lampes inspirées par le bushido, la voie du samouraï. «Nous avons pas mal voyagé au Japon, poursuit Wieki Somers. Mitate veut dire : voir les objets d’un autre point de vue, au-delà de ce qu’ils sont censés être. On a choisi comme thème les samouraïs dont l’esthétique et la manière de penser ont grandement influencé la culture japonaise.»
La designer a notamment étudié les sashimono, ces fameux drapeaux allongés qui permettaient aux guerriers de s’identifier et de communiquer. «Nous avons ensuite cherché à les transposer à notre époque. Ils sont devenus cette famille de sept luminaires comme les sept principes que devaient respecter les samouraïs.» Une évocation qui passe aussi par un soin extrême porté aux détails où le savoir-faire traditionnel se mêle à des composants high-tech.
Comme un tableau de Magritte
«Pour cette exposition, nous nous sommes plutôt concentrés sur notre approche conceptuelle, confirme Wieki Somers dans une salle occupée par une barque. «Nous l’avons aussi pensée en fonction du lieu.» La pièce où se trouve la designer s’ouvre sur le Léman. «Je me suis rappelé la brume sur le lac et le pêcheur que j’avais vu la première fois que je suis venue ici.» La salle peinte en bleu et son petit bateau pourraient aussi évoquer un tableau de Magritte, d’autant que deux robinets dirigent leur flux à l’intérieur de l’embarcation. Manière de faire comprendre que si la barque prend l’eau, c’est qu’il s’agit en fait d’une baignoire.
Ce design qui emprunte le chemin du conte onirique et revisite l’histoire prend parfois des directions inattendues. Le Studio Wieki Somers a ainsi fabriqué des conduits de cheminée. Des vrais, mais dans un mélange de polyester et de béton, que le Mudac présente comme des totems. Ce projet de 2014 était prévu pour le Parc Tudor, nouveau quartier d’habitation de Hoofddorp, petite ville en bordure de l’aéroport de Schiphol. Le style anglais en briques rouges typiques des maisons de la région a inspiré ces fûts dont les différents éléments géométriques s’empilent dans une infinie variété de combinaisons.
A l’image des Lego
«Il se trouve aussi que d’après nos recherches, depuis le XVIe siècle et jusqu’à récemment, on découpait ici de la tourbe, continue la designer. Il y avait ces images d’ouvriers entassant ensuite les tronçons pour les faire sécher. Ce qui nous a donné l’idée de ces tours construites comme des sortes de Lego.» Un design ludique dont chacun des six assemblages porte le nom d’un personnage de la dynastie royale. Et fait qu’à la fin, même Henri VIII part en fumée.
Out of the Ordinary, jusqu’au 11 février 2018, Mudac, Lausanne
Auteur : Emmanuel Grandjean pour Le Temps
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Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s !
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