Six jeunes Britanniques ont eu les honneurs du dernier salon Maison & Objet, à Paris. Leur point commun : réinventer chaises, paravents et lampes à partir de techniques ancestrales, toujours en lien avec la nature.
Brexit ou pas, c’est aux jeunes talents de Grande-Bretagne que le Salon professionnel Maison & Objet 2017 a rendu hommage cette année. Six célébrités du design outre-Manche – Sir Paul Smith, Tom Dixon, Ross Lovegrove, Jay Osgerby, Nigel Coates et Ilse Crawford – ont sélectionné six créateurs prometteurs de leur pays. Le niveau est élevé : la plupart de ces trentenaires, parce qu’ils marient avec audace techniques artisanales et industrielles, sont déjà bardés de récompenses.
Sur le stand des Rising Talents – titre de l’événement au Salon, qui a fermé ses portes le 24 janvier –, des meubles en taillis de bois patiemment ouvragés par Sebastian Cox côtoient les sculptures en résine colorée de Zuza Mengham et le tabouret en aluminium, fondu à partir de débris ramassés dans les rues de Sao Paulo, par le Studio Swine. Des paravents aux teintes sombres et subtiles, rappelant les peintures flamandes du XVIe siècle, attirent particulièrement l’attention. Ils sont faits de fleurs fanées plongées dans la résine. « Les arts se sont toujours inspirés de la nature, et notamment des fleurs que l’on retrouve de la porcelaine chinoise aux papiers peints de William Morris », souligne le Polonais Marcin Rusak, 30 ans, établi à Londres après son diplôme à la Design Academy d’Eindhoven.
« Avec cette technique, je souhaite que la nature devienne elle-même un élément de décoration : c’est l’esprit de l’Art nouveau dans un contexte contemporain ! », précise-t-il. Faire littéralement entrer un morceau de nature dans la décoration intérieure ? C’est aussi le cas du Studio Swine (repéré par Nigel Coates), qui y ajoute une préoccupation environnementale. L’architecte japonaise Azusa Murakami et l’artiste britannique Alexander Groves se sont rendus en Amérique du Sud, en Chine et jusqu’aux îlots vierges du Pacifique pour y recueillir des matériaux inédits, voire des rebuts. L’une de leurs premières initiatives a été de récupérer en plein océan les déchets en plastique jetés à la mer, et d’en faire des tabourets récup’baptisés Sea Chair. Cette collection a été créée sur le bateau, avec une machine d’extrusion à énergie solaire.
Inventer à partir du passé
Leur dernière trouvaille les a emmenés jusqu’en Amazonie, où se pratiquent la récolte d’hévéas et la technique du caoutchouc endurci : partant de cette matière, ils ont imaginé des fauteuils et des chaises au style brésilien des années 1950, joliment revisités en leurs contours, plus chaloupés. Presque une calligraphie. « Nous ne sommes pas des designers à la base : pour nous, le design permet de révéler, de dénoncer et s’avère un acteur du changement », précise Azusa Murakami, qui, avec son compagnon, réalise des films et des expositions qui font écho à leurs créations. Le nom de leur studio – Swine pour « Super Wide Interdisciplinary New Explorers » (nouveaux explorateurs résolument interdisciplinaires) en dit long sur leur ambition créative.
A contrario, Sebastian Cox (repéré par Jay Osgerby) est parti des ressources fournies par la forêt où il a grandi et de techniques ancestrales – le bois de taillis dont on faisait des paniers tressés en Grande-Bretagne – pour inventer un mobilier contemporain au charme intemporel. Le bois veiné et le jeu de lumières au travers des tressages ou des morceaux de bois non jointoyés, contribuent à l’esthétique de ses meubles. « J’utilise des matériaux abondants et désuets, des outils et des procédés ancestraux pour interroger l’avenir », explique Sebastian Cox, qui a fondé, en 2010, son atelier-studio, où travaillent une dizaine de personnes. « Je pense qu’on peut apprendre et inventer à partir du passé, comme l’enseignait déjà le mouvement Arts and Crafts, né en Angleterre en 1860. »
Parmi les six autres talents, Zuza Mengham, qui a en commun avec son mentor Tom Dixon une prédilection pour le métal, sculpte aujourd’hui la résine, encore plus malléable. John Booth a fait sensation en présentant, lors du défilé de mode Fendi pour l’homme printemps-été 2017, des sacs ornés de visages, à coups de chutes de cuir colorées (son mentor n’est autre que le couturier Sir Paul Smith). Giles Miller fait vibrer les murs et les surfaces en travaillant les reliefs : gravure à l’acide, moulage de zinc, céramique luminescente… « Le reflet maîtrisé, s’enthousiasme le designer londonien, peut avoir un effet considérable sur la lumière d’un espace. C’est un travail que je mène quelle que soit la matière – bois, carrelage ou métal – et même sur de grandes sculptures. » Ce créateur, repéré par la décoratrice Ilse Crawford, de StudioIlse, a déjà à son actif des réalisations pour Hermès ou pour le London Design Museum.
En fin de compte, ces Rising Talents, plutôt que d’être un groupe représentatif de la scène design british actuelle, en disent long sur le regard que les « anciens » portent sur la nouvelle génération. « Il n’y a pas de style britannique comme il y a un design de style scandinave, repérable au premier coup d’œil, convient Tom Dixon. Ces jeunes ont en commun avec nous l’attachement aux matériaux et le souci de s’y confronter eux-mêmes. » Venus de différents pays, tous se sont installés à Londres, plate-forme dynamique du design.
« C’est la grande différence ! Quand j’ai commencé à créer des objets en métal recyclé dans les années 1980, nous regardions vers Paris : c’était l’endroit de la couture, du design, de l’architecture, se remémore le designer autodidacte qui fête les quinze ans de sa marque, qui porte son nom. Depuis, la Tate Modern, l’Eurotunnel, le Design Museum… tout cela a contribué à une ouverture d’esprit, un brassage d’idées. Une nouvelle Grande-Bretagne a vu le jour, avec les migrants riches et pauvres, de l’Arabie saoudite à la Somalie. Il est intéressant de voir ce qui va se passer avec le Brexit, mais la porte entrouverte ne se refermera pas. »
Auteure : Véronique Lorelle pour http://www.lemonde.fr/
Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s !
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