Revue de presse » “Il n’y a pas en France de véritable politique du design”

“Il n’y a pas en France de véritable politique du design”

Il n’y a pas en France de véritable politique du design et trop peu de relais pour la mettre en œuvre (1), même si l’architecture et le design d’objets disposent depuis quelques années de leur Cité à Paris et à Saint-Étienne pour rencontrer les acteurs-créateurs et commencer à sensibiliser les publics.

 

Par la présence permanente du graphisme dans les espaces publics et privés, il est essentiel d’en connaître le meilleur de la production et d’en analyser la totalité. Il le faut pour la reconnaissance de la création dans ce domaine et pour en améliorer les réalisations et les usages. L’art de concevoir et de réaliser des objets et des images graphiques doit s’ouvrir au plus grand nombre.
Les signes qui organisent nos existences doivent œuvrer dans le sens de l’épanouissement du regard autant que dans celui d’une organisation collective humaniste.
C’est la question de l’art de vivre qui est posée au travers de toute la production graphique. Rendre accessibles et sensibles les connaissances qui fondent le design, en définir et en montrer l’exemplarité, c’est encourager l’exigence de la qualité pour tous.
Depuis des années, graphistes, enseignants, étudiants, chercheurs ont été accueillis par les habitants de la ville de Chaumont et de son agglomération. Leurs élus, toutes tendances politiques confondues, ont donné les moyens au Festival de Chaumont et à la collection d’affiches d’exister en se développant.
L’essor et la reconnaissance du Festival international de l’affiche et des arts graphiques, l’un des plus reconnus et fréquentés du Monde, a suscité des rencontres de tous les acteurs du graphisme et en a fédéré les besoins dans la demande de lieux qui permettent de penser une culture du design graphique.
Le Signe, Centre national du graphisme à Chaumont, a été conçu dans un esprit de partage du regard et de la qualité.

L’État et la Région ainsi que d’autres contributeurs ont accompagné la Ville dans le financement d’un bâtiment remarquable, conçu par l’agence Moatti-Rivière, qui peut remplir toutes les missions culturelles, pédagogiques et scientifiques pour lesquelles il existe.
Lieu unique par sa dimension et son ambition, Le Signe doit pouvoir être le foyer de la culture graphique en France et rayonner en accompagnant toutes les manifestations sur le graphisme et toutes les institutions culturelles qui s’y intéressent.
La conservation, la restauration et la numérisation des collections d’affiches anciennes et contemporaines, pour une mise en ligne prochaine, est un travail considérable et demande des moyens importants.
La production d’expositions dans les 1000 m2 de salles et leur médiation sérieuse, la création d’un centre de ressources, l’organisation de formations, de workshops, de conférences et de colloques, les restitutions publiques de travaux réalisés dans l’atelier de création et d’impression d’images, l’accueil de chercheurs, de créateurs mais aussi de tous les publics, l’édition d’ouvrages, la production audiovisuelle, l’animation d’un site riche en informations, toutes ces missions que se donne Le Signe ont un coût qui ne représente que peu par rapport aux sommes engagées dans d’autres champs de la culture.

Cet outil d’exposition, de conservation, d’enseignement, de recherche et de prospective a besoin pour son fonctionnement de la somme annuelle de trois millions d’euros.
Le Centre national du graphisme aura les moyens de ses ambitions si l’État, la Région Grand Est et la Ville, qui est déjà très engagée économiquement, mettent chacun 850 000 euros, le reste venant d’autres financeurs.
Pour 2016, le budget du Ministère de la culture et de la communication était de 7,3 milliards (en hausse de 300 millions) (2). Il sera encore en hausse pour 2017.
Faisons le calcul : 850000 euros représentent 0,01 % (un dix-millième) de ce budget.
Pour la Région Grand Est, sur les 2,5 milliards de dépenses prévues, cela fait 3 dix-millièmes.
La Région a inscrit dans son budget primitif, 98 millions pour l’aménagement du territoire, 52 millions pour la culture et 79 millions pour les relations internationales, trois domaines dans lesquels s’inscrit et participe le Signe.

Jusqu’à aujourd’hui, la culture des formes graphiques ne dispose d’aucun moyen ou de presque rien. Seule l’énergie des graphistes, des écoles et de quelques responsables institutionnels éclairés permet d’en assurer l’existence. Il s’agit de décisions politiques, transmises à des administrations qui les appliquent. Il est impossible d’accepter des arbitrages qui excluent une part active de la culture française et de son patrimoine.

Plus de 40 000 graphistes travaillent en agence ou en indépendants, des milliers d’étudiants sont formés chaque année dans de nombreuses écoles publiques et privées, des dizaines de chercheurs en constituent l’histoire et la science, les imprimeurs et toute la chaîne de médiation dans l’espace public prospèrent grâce à cela. Mais aucun moyen pour voir, penser, critiquer et imaginer le présent et le futur d’une discipline.
L’argent public, issu de la collecte de l’impôt, doit être redistribué de façon équitable. À cet endroit, il ne l’est pas.

Le Signe, Centre national du graphisme à Chaumont sera, dans ses statuts de GIP (Groupement d’Intérêt Public), administré principalement par l’État, la Région et la Ville. Un comité d’orientation scientifique, constitué de personnalités reconnues pour leurs compétences, accompagnera le conseil d’administration et l’assemblée générale de ses connaissances et de ses conseils.
Le Ministère de la culture et de la communication ainsi que la Région Grand Est, pour laquelle un projet culturel d’envergure nationale et internationale sur son territoire est un atout nécessaire, doivent dégager dès maintenant les moyens de son fonctionnement (3).

Le Ministère de la Culture et de la Communication s’est engagé dans son projet de loi de finances 2016 à soutenir l’existence du Signe à Chaumont, mais le compte n’y est pas, cette proposition n’est d’ailleurs pas renouvelée dans celui de 2017.

Il ne faut pas moins que ce qui est nécessaire à son bon fonctionnement. Cela est possible économiquement. Ce n’est en rien une demande exceptionnelle. Elle se défend politiquement, économiquement et artistiquement. Il serait incompréhensible qu’elle ne soit pas entendue.

Ne rien investir dans l’intelligence du regard devient une erreur dans une société où, plus que jamais, il est fondamental de comprendre et d’apprécier les signes que nous adressent ceux qui en ont la mission publique ou le pouvoir économique. Comme le solfège et l’écoute permettent de lire et de comprendre la musique (et il y a beaucoup de conservatoires et de salles de concerts dans notre pays), celles et ceux qui pensent, réalisent et produisent les images qui nous environnent doivent inventer les formes de transmission de leurs connaissances, rendre accessibles les codes qui permettent de comprendre, pour réfléchir, les messages visuels qui nous interpellent, nous séduisent ou nous indisposent.

En 1993, Jack Lang, ancien ministre de la Culture et ministre de l’Éducation nationale d’alors, écrivait : « Depuis Toulouse Lautrec, on sait que le graphisme est un des lieux de l’art. Il est même l’un des modes d’accès du plus grand nombre à la beauté des formes. Son histoire, ses chefs d’œuvre nous montrent que les objectifs fonctionnels de l’univers des signes ne contredisent pas le souci esthétique de l’environnement. L’utilisation du visuel par le secteur public, dans un contexte dominé par l’image publicitaire, exige la connaissance des savoir-faire du métier et de l’art graphique. »

Le vide culturel qui perdure est dommageable dans un monde où l’image sans pensée ni éthique peut devenir, si elle ne l’est pas déjà, un outil de contrôle et de conditionnement plus qu’un outil de relation et de plaisir des yeux. Les signataires de ce texte appellent les pouvoirs publics à mettre dès maintenant les moyens dans un lieu qui se veut celui de la création graphique, de l’égalité d’accès à la culture et d’une éducation artistique et culturelle des pratiques et du regard.

Vincent Perrottet

1 – « Pour une politique nationale de design », rapport réalisé par Alain Cadix avec un collège de designers en 2013 pour le ministère du redressement productif et le ministère de la Culture et de la Communication. Citation : « Cela fait des décennies que des acteurs de la promotion du design s’activent avec courage et détermination. Pour autant notre retard, comme évoqué plus haut, est considérable. Se pose alors une question, aussi décisive que légitime : que faut-il faire aujourd’hui pour qu’en 2025 ou 2030 nos successeurs ne fassent pas le même constat et n’écrivent pas que la France a un retard culturel majeur en matière de design, que nos politiques publiques n’ont aucun effet d’entraînement à cet égard, que les chefs d’entreprise, notamment ceux des PME, ne comprennent pas ce que le design peut leur apporter, n’appréhendent pas sa contribution à la valeur de leurs produits, de leur marque et de leur entreprise ? »

2 – Projet de loi de finances 2016 du ministère de la Culture et de la Communication. Sur les 7,3 milliards, 464,7 millions étaient prévus pour la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture, 871,2 millions pour les patrimoines et 123,1 millions pour la recherche culturelle et la culture scientifique, trois missions programmées par le Signe. Le ministère s’engageait dans le chapitre 2.2.2. consacré aux arts plastiques en ces termes « Par ailleurs, l’ouverture de nouveaux lieux de diffusion en région comme le centre du graphisme à Chaumont sera soutenue. »

3 – Aux dernières nouvelles, l’État et la Région seraient prêts à engager 600 000 euros à eux deux pour le graphisme à Chaumont en 2017. On est loin des 1 700 000 euros attendus sans lesquels Le Signe ne pourra fonctionner qu’à bas régime et en équipe réduite.

Pour cosigner le texte, suivez ce lien : http://www.un-grand-signe-pour-un-regard-citoyen.info/
Source : https://www.actualitte.com et auteur : Vincent Perrottet, graphiste