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*** Jean-Pierre Greff, le chapeau sur la HEAD

10 ans de la Haute école d’art et de design à la barre de la Haute Ecole d’art et de design – Genève depuis sa création il y a dix ans, le directeur cultive avec ardeur sa pépinière de talents.

L’acronyme avait provoqué quelques hoquets sceptiques, il fait désormais partie du lexique pédagogique genevois. La HEAD tourne aujourd’hui la tête de tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin aux métiers des arts et de la communication visuels, de la mode, du design ou du cinéma.

C’est en septembre 2006 que Jean-Pierre Greff se voit officiellement confier le pilotage de la fusion des vénérables Ecole supérieure des beaux-arts et Haute Ecole d’arts appliqués. En dix ans, il a fait de la Haute Ecole d’art et de design – Genève une académie réputée bien au-delà des frontières du canton. Un rayonnement qui ira probablement crescendo avec l’installation, à la rentrée prochaine, de l’institution dans un véritable campus urbain au cœur de la friche industrielle des Charmilles.

Êtes-vous content de ce qu’est devenue la HEAD en une décennie?

Oui, bien sûr. Ce n’est pas l’esprit de l’école, ni le mien, que de faire de l’autosatisfaction. Mais je dois reconnaître qu’on n’imaginait pas qu’on irait si loin.

De quoi êtes-vous le plus fier?

De la manière dont l’école s’est inscrite dans la cité. Nous avions annoncé cela comme un axe essentiel du projet et c’est allé au-delà de nos espérances. Ça paraît aujourd’hui une évidence de fonctionnement, mais c’était un gros pari. Très peu d’écoles parviennent à s’insérer au cœur des événements, de l’actualité, de l’espace public. J’en ai des témoignages quotidiens: le nombre de sollicitations de la part d’institutions ou d’entreprises qui souhaitent travailler avec nous car elles considèrent cela comme un privilège est tout à fait spectaculaire. On partait d’une situation qui était presque à l’inverse: une école très somptuaire et secrète qui répugnait à travailler avec les entreprises parce qu’elle pensait qu’elle allait aliéner sa liberté – l’exact contraire de ce que je pense. Actuellement, notre vitesse de croisière est de réaliser entre 50 et 60 mandats par an, discrets ou prestigieux. Des marques de luxe aux petites associations, le spectre est extrêmement large et ça me plaît beaucoup. Lorsqu’on l’a présenté, le nom de HEAD a pu faire sourire quelques vieilles barbes, mais à présent, il n’y a plus personne pour être nostalgique de l’Ecole des beaux-arts ou de celle des arts appliqués.

Cette foison de projets ne s’apparente-t-elle pas à de la boulimie?

Non. Ce qui est vrai, c’est que notre désir est grand, qu’il y a beaucoup de passion partagée, d’enthousiasme, d’émulation. On a pris l’habitude de vivre en surrégime, il ne faudrait pas aller trop au-delà. Mais nous ne sommes pas frénétiques, tout est pensé, organisé. Lorsque nous nous engageons dans un projet, c’est avec un sens très clair des responsabilités. On refuse beaucoup de choses, malgré les apparences. Et il y a tous les moments où la pédagogie retrouve sa part secrète, sa dimension de laboratoire, où l’échec fait absolument partie du programme. Le temps de recherche est essentiel.

La HEAD a-t-elle trouvé son identité?

Je le pense. Il s’agit d’une école jeune, dynamique, ambitieuse, présente sur tous les terrains sociaux. Donc une école politique, au double sens du terme: celui de la polis grecque, inscrite dans la vie de la cité, mais aussi au sens plus précis d’une école qui s’empare de toutes les questions d’actualité les plus vives, les plus dérangeantes et grinçantes. On travaille en permanence avec tous les grands débats contemporains. L’autre trait d’identité de la HEAD, longtemps perçu de manière un peu ambiguë, voire négative, c’est d’être une école de l’exigence intellectuelle. Etre un artiste ou un designer, c’est aussi savoir réfléchir et penser.

Le penser et le faire sont donc pour vous indissociables…

Exactement. J’aime à dire que penser fait faire et que faire fait penser. Dans l’histoire, tous les créateurs importants de l’art et du design ont aussi été des penseurs de l’art et du design. Nous avons l’ambition de former des jeunes personnes avec des compétences professionnelles solides mais aussi un bagage intellectuel. Aujourd’hui, c’est bien compris: on me dit que l’école porte une dimension conceptuelle et prospective du design.

«Le rôle d’une école d’art est à la fois immense et modeste.»

Vous aimez abattre les barrières. Est-ce important, la porosité des disciplines?

Absolument. A titre personnel d’abord, puisque j’ai beaucoup travaillé comme comparatiste. La question de savoir si les arts sont contemporains, s’ils évoluent au même rythme, autour de mêmes enjeux, m’a passionné. Cela m’a convaincu que ce qui se passait à la croisée des disciplines était beaucoup plus intéressant que dans les strictes limites de chacune. Dans une école d’art et de design, la question se pose un peu différemment. Les compétences disciplinaires sont fondamentales, ce n’est pas la même chose de faire du cinéma ou de la mode. Néanmoins, à chaque fois qu’on arrive à croiser les approches, ça produit quelque chose d’encore plus intéressant.

Les cinq filières de la HEAD ont acquis une réputation internationale. Quelle est votre recette?

Le nivellement par le haut, tout simplement. C’est aussi un des points de satisfaction aujourd’hui. Tout n’a pas avancé au même rythme. Il y a dix ans, tous les départements n’étaient pas au même niveau de qualité. L’idée était d’insuffler du désir, de l’énergie, de l’ambition. De poser quelques repères clairs, aussi. Les différents secteurs ont progressé à leur rythme, et il y a eu une forme d’émulation au sein même de l’école. La direction collégiale de la HEAD fait que ce qui se passe dans un département peut être source d’inspiration pour un autre. La manière dont l’école se déploie est l’affaire de tous.

Vous imaginez-vous à la barre pour la prochaine décennie?

Question perfide! J’y ai beaucoup réfléchi, j’avais en effet toujours dit qu’après dix ans, il fallait quitter son poste. Mais j’ai pensé que j’avais de vraies bonnes raisons de continuer mon travail ici afin de mener à bien le projet de redimensionnement de l’école sur son nouveau site, pour lequel je me suis dépensé sans compter. Je vais donc déroger à ma propre règle, à moins que mon contrat, qui arrive à échéance dans 18 mois, ne soit pas renouvelé. Et ce ne sera pas tout à fait une décennie, puisque j’ai 59 ans!

Quelle corde manque encore à l’arc de la HEAD?

Il y a plusieurs défis à relever. On s’est concentré sur la dimension régionale et internationale, mais on peut faire beaucoup de progrès pour inscrire l’école dans l’espace national suisse, particulièrement du côté alémanique. En outre, il faut encore renforcer l’attractivité internationale de nos masters, qui ne sont pas encore aussi excellents que nos bachelors. Il y a aussi d’autres enjeux importants, comme le développement de doctorats et de programmes de recherche.

Fabriquer les créateurs de demain est une science délicate, non?

Se former comme artiste est très complexe. Il ne s’agit pas juste d’acquérir un savoir-faire, c’est d’abord une formation de soi-même. Ce qu’on attend aujourd’hui des jeunes auteurs est incroyablement exigeant: ils ne doivent pas seulement disposer de talent, d’expertise, de virtuosité, d’imaginaire, mais aussi de compétences marketing, critiques, rédactionnelles, intellectuelles, voire économiques. Le rôle d’une école est à la fois immense et modeste. Le plus qu’on puisse faire, c’est d’aider au mieux des personnes à devenir ce qu’elles sont. Notre travail est celui d’un jardinier: on peut créer un terreau favorable, faire faire des rencontres décisives, mais on n’inventera jamais l’étincelle elle-même. Devenir ce que l’on est, c’est le programme d’une vie entière.

La HEAD ouvrira ses portes au public les vendredi 20 et samedi 21 janvier 2017. Programme complet.

Auteure : Propos reccueillis par Irène Languin pour La tribune de Genève

Vignette de l’article : Crédits photo Georges Cabrera

Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s !

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