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La cobotique plutôt que la robotique ?

Alors que les études annonçant des millions de pertes d’emploi par la robotique et l’automatisation font suer les gouvernants, les tenants de la destruction créatrice de Schumpeter prédisent l’avènement d’un homme augmenté par la robotique collaborative. INfluencia s’invite dans le débat.

La cobotique, vous connaissez ? Si votre réponse est négative, faites gaffe, vous êtes en train de rater le train de l’histoire. Les chiffres cités dans le rapport gouvernemental, Technologies Clefs 2020, sont là pour confirmer que les ventes mondiales de robots de production explosent. Elles ont progressé de 12 % en 2013, se sont élevées à 225 000 unités en 2014 (+27 % par rapport à 2013 alors que +15 % étaient initialement prévus) et le taux de croissance annuel moyen estimé entre 2015 et 2017 est de +12 % au niveau mondial.

Pourquoi donc les dispositifs de robotique collaborative ou interactive commencent à intégrer le quotidien du monde du travail ? Principalement parce que le principe du cobot est de faire interagir le système robotique avec les humains pour obtenir un comportement synergique capable d’assister l’homme dans une tâche par des apports de puissance, de précision, de perception et de cognition. Présenté comme un outil permettant de diminuer la pénibilité du travail, le cobot est également mieux perçu en entreprise que le robot autonome car moins menaçant pour l’emploi, alors que le dernier Forum économique mondial de Davos annonce 5 millions de pertes d’emplois d’ici 2020.

Si l’homme non augmenté est appelé à mourir dans certaines industries, le surhomme augmenté sera (avant tout ?) un « suropérateur » assisté d’un robot ? C’est tout le débat qui concerne également l’avenir du robot humanoïde dans nos vies professionnelles. Pour s’y inviter, INfluencia a interrogé Alexis Girin, responsable de l’équipe robotique, cobotique, et réalité augmentée de l’Institut de recherche technologique Jules Verne de Nantes.

INfluencia : sommes-nous aujourd’hui la dernière génération à ne pas vivre au quotidien avec les robots, y compris en entreprise ?

Alexis Girin : oui, même si nous vivons déjà avec au quotidien avec des robots. Notre environnement est fait pour deux jambes et deux bras, donc quelle est la forme de robot la plus adaptée ? L’anthropomorphe. Mais l’homme n’est pas technologiquement prêt aujourd’hui à reproduire un autre être humain, ni même à l’accepter. Comme l’assure la théorie de la Valle dérangeante du roboticien japonais, Masahiro Mori, plus le robot se rapproche de l’image de l’homme, plus il fait peur. Plus il est à notre image, plus il est effrayant. Est-ce que le robot humanoïde sera une réalité dans 50 ans ? Si vous me le demandez, je vous réponds que non, mais des chercheurs japonais vous diront peut-être le contraire. Moi je pense que la ressemblance dans le physique et les interactions va créer de la distance car l’homme préférera toujours voir une lumière verte qu’un visage en latex qui sourit.

IN : l’Humain va-t-il être obligé de repenser le monde du travail comme il l’a fait après la révolution industrielle ?

A.G. : il a déjà commencé mais avec des transitions aménagées. Le monde du travail et le fonctionnement exercés par l’homme en entreprise vont s’accompagner d’une montée en compétence obligatoire. Elle est rendue obligatoire par la concurrence entre l’homme augmenté, donc aidé d’un cobot, et l’homme non augmenté. Au sein d’une même entreprise l’un des deux modèles devra prendre le pas, c’est immuable et dans certaines industries, l’homme non augmenté n’aura plus sa place. Mais attention, l’homme augmenté va remplacer l’homme non augmenté, pas lui piquer sa place et l’homme reste au centre des choses. Ce n’est pas en freinant qu’on va éviter que ça arrive, regardez l’exemple de Kodak sur le numérique. Quand je dis « ça », je parle de la prise de pouvoir de l’homme augmenté par le cobot. Elle a déjà commencé. La clef est donc de créer des HMI accessibles et des robots les plus flexibles possibles.

IN : l’entreprise du futur peut-elle donc créer un surhomme qui corresponde entièrement à ses besoins ?

A.G. : l’entreprise va créer un surhomme à la capacité combinée robot-humain. Les deux sont complémentaires. Le robot est répétitif, endurant et bête, l’humain brouillon, pas endurant mais organisé, doté d’une capacité de réflexion et intelligent. Nous ne parlons pas ici d’un surhomme aux capacités cognitives augmentées mais d’un suropérateur qui interagit avec un robot qui exécutera les tâches où l’homme n’a pas de plus-value. Le robot va permettre justement à l’homme de se recentrer sur cette plus-value. Le défi de l’entreprise augmentée sera donc de répartir les rôles dans l’interaction et de créer des HMI (interfaces homme-robot) compatibles avec le métier, donc utilisables par l’opérateur sans l’intermédiaire d’un roboticien. On y est déjà aujourd’hui. Une entreprise comme Universal Robot fabrique des cobots programmables par « n’importe qui ». Certains peuvent être anthropomorphes comme par exemple le robot Sawyer, dont l’aspect visuel est sympathique.

IN : quelle sera donc l’entreprise de demain façonnée par l’employé augmenté ?

A.G. : ma vision est que dans l’entreprise industrielle de 2035, il y aura un cobot dans le package des ustensiles de travail de chaque opérateur, pour l’aider dans ses tâches de tous les jours. L’intelligence pure du procédé restera toujours l’apanage de l’homme. Pourquoi ? Parce que le savoir-faire industriel réside aussi dans la transmission du savoir, de l’identité de l’entreprise et par l’expérience acquise. Et cette transmission ne peut se faire que par l’homme ou alors par des technologies que nous ne verrons pas de notre vivant. Pour l’augmentation des capacités physiques de l’homme par l’exosquelette par exemple, nous ne sommes pas encore prêts ni technologiquement parlant ni dans l’acceptabilité. Dans les usines aujourd’hui, les robots sont derrière des grilles car ils sont dangereux. Demain, ces cellules robotiques n’existeront plus, il y aura donc une cohabitation homme-robot sans zone dédiée, avec des robots qui viennent à la pièce et pas l’inverse. L’entreprise de demain sera façonnée par cette interaction mais pour que cela marche il faut que le robot s’adapte à l’homme et pas l’inverse. Pour que cela se fasse il faudra aussi que l’homme possède des moyens de communication avec le robot, comme par exemple une montre ou un écouteur qui bipe quand le robot s’approche. Ou bien une tablette qui donne des infos sur l’environnement.

Author : Benjamin ADLER pour INFluencia

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