Consommer autrement, mieux, moins ? Le 26 janvier dernier, L’Obsoco organisait à l’ESCP Europe une journée de réflexion sur le thème « Dé-penser la consommation ». Partenaire de ce colloque, The Conversation publie les différentes interventions des chercheurs participants. Des podcasts du colloque, réalisés par Moustic, sont à découvrir à la fin de chaque article.
Les entreprises sont nombreuses à adopter de stratégies environnementales ; celles-ci se concentrent sur des économies d’énergie et d’autres ressources naturelles, sur le recours aux énergies renouvelables, la réduction des déchets et des emballages.
Wal-Mart, le chantre américain du « prix bas tous les jours », a ainsi déclaré poursuivre trois objectifs à long terme en ce sens : utiliser 100 % d’énergie renouvelable, réduire au maximum les déchets et vendre des produits cohérents avec un développement durable. Marks & Spencer a actualisé son très novateur plan A (« Parce qu’il n’y a pas de plan B ») en 2010, basé sur cinq priorités : le changement climatique, la réduction des déchets, le choix de matières premières durables, les partenariats équitables et la santé des consommateurs.
En France, une convention signée par le ministère de l’Écologie et la Fédération du commerce et de la distribution fixe de nombreux objectifs : une meilleure information à travers l’étiquetage environnemental, la hausse du nombre de produits écologiques et issus de l’agriculture bio, la réduction des emballages et la généralisation de la mesure des émissions de CO2.
Des limites
Il y a cependant des limites évidentes à ces initiatives : la distribution est un secteur avec des installations certes nombreuses, mais à faible capitalisation, caractérisées par une forte intensité compétitive, de faibles marges et peu de dépenses en recherche et développement, notamment dans le domaine de l’énergie.
Les efforts de développement durable des entreprises se heurtent ainsi souvent à la résistance ou au scepticisme des consommateurs qui s’interrogent sur la sincérité de leurs pratiques et ne manquent pas de dénoncer des opérations de greenwashing.
Il faut également souligner que les entreprises du commerce sont actives dans la phase finale de la distribution. L’impact sur le développement durable dépend alors de la consommation d’énergie pendant les phases de la production, du transport et de la consommation des produits, où d’autres acteurs prennent les décisions.
S’il n’y a pas un alignement stratégique de tous les acteurs de la chaîne logistique, les difficultés et les coûts à affronter pour offrir des produits durables risquent de devenir insurmontables.
Or des problèmes de reconfiguration de la chaîne de valeur se posent. La croissance des fournisseurs internationaux, qui a accompagné la mondialisation du commerce et l’internationalisation de la distribution, a certes accru la variété des biens achetés et fait baisser leur coût, mais elle a également augmenté les émissions globales de carbone.
Les distributeurs doivent faire face à des coûts et à des bénéfices dans cette reconfiguration, tout comme les autres acteurs. Ces coûts et bénéfices risquent de ne pas être les mêmes pour tous. Comment arbitrer ? Un standard de « durabilité » des produits commun à tous les acteurs de la chaîne logistique, n’existe malheureusement pas, et pourtant, il permettrait de résoudre ces incertitudes.
La mesure de l’impact global constitue un problème épineux puisqu’il dépend de la complexité technique de ce calcul tout au long du cycle de vie des produits. Même des entreprises très puissantes, comme Wal-Mart et Tesco, ont dû prendre acte de cette complexité et de la grande difficulté à convaincre les fournisseurs à s’adapter à leurs préconisations.
C’est aussi pour cette raison que les groupes les plus engagés (comme, par exemple, les Coop italiennes, la Migros en Suisse, etc.) développent de très importants volumes de marques de distributeurs « responsables ». Ces produits permettent un meilleur contrôle de toute la chaîne logistique en amont des fournisseurs avec les certifications et labels (éthiques, bio, sociaux). En même temps, ils s’inscrivent dans une stratégie de différenciation plus efficace et, grâce à leurs prix bas, permettent une compétitivité élevée. Les coûts n’étant pas l’unique facteur davantage compétitif, les entreprises explorent les possibilités de différenciation que l’orientation au développement durable peut apporter.
Une offre variée
L’offre des distributeurs comprend désormais de nombreuses typologies de produits « durables », dont les produits « verts » ou plus écologiques, comme les produits d’entretien, de jardinage, pour l’automobile, les fournitures scolaires et la papeterie.
Elle comprend les ampoules à basse consommation, les peintures écologiques, éco labélisées, le bois éco certifié, etc. Elle s’étend aussi aux produits cohérents avec une « bonne » alimentation : fruits et légumes, produits sans gluten, sans huile de palme, étiquetage pour enfants. On y inclut aussi les produits de circuit court et/ou régional et, pour finir, « équitables » et bio.
Or, ces produits sont généralement un peu plus chers que les produits non durables et leur part de marché est, somme toute, assez réduite. En effet, les recherches montrent que le comportement des consommateurs est plutôt déconnecté de l’attitude positive qu’ils déclarent par rapport à la défense de l’environnement. En majorité, ils semblent arbitrer plutôt en fonction de la défense de leur pouvoir d’achat et de leurs préoccupations personnelles, plutôt que dans un but de sauvegarde de l’environnement.
Les entreprises investissent alors surtout là où la demande des consommateurs est la plus forte, comme la recherche de proximité, de relations directes avec les producteurs, la protection de la santé et du pouvoir d’achat. Dans la mesure où les produits « durables » permettent aussi de satisfaire – au moins en partie – à ces exigences, les consommateurs sont plus disponibles à payer un peu plus.
Valeurs, gouvernance et communication
Certes, les entreprises n’ont pas toutes la même attitude face aux défis du développement durable. Leurs différences dépendent beaucoup des valeurs de leurs actionnaires et de leurs dirigeants, et donc de leur gouvernance.
Il n’y a guère que chez certains distributeurs spécialisés (par exemple Patagonia, Starbuck ou Whole foods aux États-Unis) ou appartenant au monde de la coopération de consommateurs (Coop Italia, Migros, Biocoop) ou de détaillants (Conad, E.Leclerc) que le développement durable est au cœur même de la création de l’entreprise, de sa mission et de sa stratégie globale.
Pour ces enseignes, la forte orientation au développement durable dépend souvent de leur histoire et de leur culture, basées sur les convictions, l’engagement et les compétences de leur fondateur ou président qui constituent, selon certains, le véritable ADN de l’entreprise. Ces entreprises arrivent à constituer des communautés de clients qui se reconnaissent en elles et se sentent impliquées parce qu’ils partagent sa mission et ses « combats » pour l’environnement.
En ce qui concerne les très grandes entreprises généralistes, les enjeux à ce propos sont plus complexes et les objectifs plus difficiles à atteindre.
Le rôle de l’intervention des gouvernements
D’autres parties prenantes que les consommateurs, les actionnaires et les managers, peuvent jouer un rôle important en influençant les entreprises à agir en faveur de l’environnement.
La régulation politique peut se faire par les incitations financières, les contrôles, les certifications, les labels et la politique d’informations. Les États – et l’Union européenne – peuvent ainsi soutenir la diffusion de pratiques d’information aux consommateurs, entre autres, sur l’étiquetage des produits. Des mesures de régulation plus incisives pourraient limiter l’utilisation des ressources énergétiques et naturelles, à travers notamment un marché de permis d’émission ou une taxe carbone généralisée.
Mais la mise en place de taxes ou de marché bute assez vite sur des problèmes administratifs (la mesure des émissions de gaz carbonique d’une personne ou d’une entreprise est une opération extrêmement complexe) ou politiques (la nécessité d’accords internationaux et d’un engagement fort des États-Unis).
Une autre voie à poursuivre consiste à subventionner la recherche et le développement et les innovations technologiques, permettant de réduire le coût des technologies propres.
Parmi d’autres parties prenantes, des groupes de consommateurs, des associations de défense des consommateurs et certaines ONG peuvent aussi favoriser ces comportements vertueux par des campagnes de communication, voire des boycotts.
Se rapprocher des usages
De nombreuses limites semblent caractériser la plupart des stratégies de développement durable des entreprises. Celles concernant les économies d’énergie visent davantage l’efficience que l’amélioration de l’environnement. Pouvant contribuer à la baisse des coûts, les investissements continueront très probablement dans la chaîne logistique, le packaging et la recherche de l’efficience en général.
Les distributeurs poursuivront également leurs investissements dans la différentiation de l’offre, même si le rythme reste modeste car lié à l’accroissement de la demande de produits et services « durables ». Les offres des distributeurs seraient plus efficaces dans la mesure où elles seraient plus proches des préoccupations personnelles des consommateurs et de leurs exigences à court terme.
La prise en compte des nouvelles tendances axées sur la collaboration des consommateurs et l’approche servicielle de l’offre, sur le passage progressif de la propriété à l’usage et de la possession individuelle au partage, tout comme le passage de la consommation d’objets et de l’avoir à une consommation de l’être et du « faire », devraient permettre aux entreprises d’élaborer des formes inédites d’offre durable.
De nouvelles organisations devraient apparaître, notamment sous l’impulsion du e-commerce et des plateformes, qui pourraient se révéler mieux adaptées aux défis du développement durable. Un nouveau modèle économique devrait alors ressortir de tous ces comportements : un modèle de croissance « sobre en carbone » qui serait une véritable et nouvelle révolution industrielle.
Source : https://theconversation.com/
Vignette de l’article : En France, le marché du bio est en pleine croissance, avec un chiffre d’affaires passé de 1,6 milliard en 2005 à 5,5 milliards en 2015. Shutterstock
Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s !
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