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L’alchimie du design et de la science

Objets “mathématiques”, matières innovantes… Les designers sont de plus en plus sollicités par les laboratoires de recherche scientifique. Une collaboration qui met leur créativité en ébullition.

Ce week-end, à l’occasion des D’Days, la « design week » parisienne, les visiteurs du Musée des arts et métiers pourront admirer un casque de vélo unique en son genre. Encore à l’état de prototype, il a été imaginé avec des chutes de laine de mouton par le jeune designer Alexandre Echasseriau, lauréat du concours Audi Talents Awards 2014. Sa dotation lui a permis de développer ce projet avec Antoine Rouilly, de l’Ensiacet, école d’ingénieurs spécialisée dans la chimie industrielle. Cette collaboration illustre les nouveaux liens tissés entre le domaine de la science et du design (…).

Loin d’intervenir au bout de la chaîne industrielle, les créateurs sont de plus en plus intégrés à la recherche et il n’est plus rare d’en croiser certains dans des laboratoires, comme au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). « Ils nous aident à nous projeter. Leur capacité à faire un tri dans nos idées et à les concrétiser est précieuse. Ils réalisent pour nous des “objets intermédiaires de conception” qui permettent de comprendre les usages futurs et de convaincre investisseurs et décideurs », confirme Tiana Delhome, du CEA, où elle dirige le Service innovation produits et aide aux PME (SIPP).

L’hybridation de ces deux univers devenus poreux est portée par une nouvelle génération de designers formés par des écoles comme l’ENSCI (Ecole nationale supérieure de création industrielle), qui propose depuis 2012 un double cursus science et design en partenariat avec l’université Joseph-Fourier à Grenoble et avec l’université Pierre-et-Marie-Curie à Paris-VI. « On nous imagine souvent en train de dessiner chaises et tables. Or, notre curiosité nous pousse à intervenir dans des domaines très variés, estime Mathieu Lehanneur, dont le projet d’études, en 2001, portait sur la forme des médicaments. Ce rapprochement est à la fois vertueux et naturel. Les scientifiques ont besoin des designers pour transformer leur matière brute en matière consommable ; et à l’heure de la révolution des technologies, les designers s’appuient énormément sur la science pour avancer. »
En 2007 déjà, le styliste Issey Miyake, passionné de design et de sciences, créait Reality Lab, un laboratoire où des scientifiques créent des objets tridimensionnels (vêtements, accessoires, luminaires…) en partant de la recherche mathématique.

« Le design sans la science est perdu dans le XXe siècle, prédit l’ingénieur David Edwards, du Laboratoire, un centre de recherche et d’exposition qui mêle science, art et design. Depuis des années, je les brasse dans mes projets. Nous travaillons actuellement sur des emballages alimentaires sans plastique (WikiFoods) comme cette bouteille d’eau comestible, un procédé mis au point par une équipe de chercheurs et mis en forme par le designer François Azambourg. » Pour l’exposition « Invention/Design » au Musée des arts et métiers, dont ils sont les commissaires d’exposition, les deux designers de Sismo piochent dans le passé. Exemple : la marmite de Papin, pur objet de recherche sur la pression qui date de 1679, est ici revisitée en version connectée. « L’inventeur est celui qui crée les lettres et les mots ; le designer celui qui en fait des phrases », résume Antoine Fenoglio, l’un des deux membres de Sismo, qui collabore notamment avec Michelin et Saint-Gobain.

L’exposition « Milk Lab », à Paris, donne à voir le travail de quinze designers exploitant les propriétés scientifiques du lait pour créer ou redécouvrir des usages ou objets. Ainsi se sont-ils servi du lait comme d’une encre naturelle. Ils ont par ailleurs mis en avant et travaillé une matière que le plastique avait éclipsée : la galalithe (ou « pierre de lait »), mélange de formol et de protéine du lait. Cette nouvelle génération de designers a reçu le surnom d’« enfants de Dyson », en référence au fabricant d’aspirateurs dont le succès repose sur le design ET la science.

« Invention/Design – Regards croisés », du jusqu’au 6 mars 2016, Musée des arts et métiers, 60, rue Réaumur, Paris 3e.

« Milk Lab – Les designers réinventent le lait », jusqu’au 30 juin, Milk Factory, 5, rue Paul-Bert, Paris 11e. www.lamilkfactory.com

Author : Marie GODFRAIN pour le journal Le Monde

Vignette de l’article : Une imprimante utilisant le lait comme encre. Elaborée par l’agence NoDesign, elle fait partie des travaux exposés à la Milk Factory, à Paris. Illustration NoDesign