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Le Corbusier entre au patrimoine mondial

Réuni à Istanbul, le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco a désigné dimanche, parmi la liste du patrimoine mondial, l’œuvre architecturale de Le Corbusier (1887-1965).

Une candidature proposée par la France mais aussi –fait unique- par six autres pays, dont la Belgique, qui ont des oeuvres de l’architecte. Les pays qui soutenaient la candidature sont, outre la Belgique et la France, l’Allemagne, l’Argentine, le Japon, l’Inde et la Suisse. Ils présentaient à travers 17 réalisations (lire ci-contre) dans l’oeuvre du Corbusier, qu’ils qualifient de « contribution exceptionnelle au Mouvement Moderne ».

On y retrouve bien sûr ses chefs d’oeuvre : la Villa Savoye, la Cité radieuse, la chapelle de Ronchamp, le couvent de la Tourette, la ville de Chandigarh, jusqu’à son minuscule cabanon de Roquebrune où il se rendait à la fin de sa vie. La seule réalisation belge de Le Corbusier, la superbe Maison Guiette à Anvers, se retrouve dans la liste reprise pour le patrimoine mondial (lire ci-contre).

Poème minéral

Le Corbusier, de son vrai nom Charles-Édouard Jeanneret, né le 6 octobre 1887 à La Chaux-de-Fonds en Suisse, ne peut être ramené à sa seule place de « plus grand architecte du XXe siècle » ou, inversement, d’ « idéologue dangereux des villes inhumaines ». Tout au long de sa vie, il créa, innova, touchant à tout avec génie. Il fut peintre, sculpteur, designer, urbaniste, architecte, poète, théoricien. Et il mêla tout cela, comme en témoigne, par exemple, la chapelle Notre-dame-du Haut à Ronchamp (1950-55) qui est une grande sculpture de béton, un poème minéral, avec à l’intérieur des peintures et sculptures qu’il réalisa « in situ ». On retrouvait la même ambition de réunir les arts dans le pavillon Philips à l’expo 58 de Bruxelles, hélas démoli. Le pavillon avait la forme d’une tente toute en piques et plaques de béton, structure complexe et spectaculaire. Les visiteurs y entraient par petits groupes, dans le noir, et soudain, était projeté sur les parois, « le poème électronique », avec des images du Corbusier (beaucoup de taureaux, son animal fétiche), et la musique de Varèse et Xénakis. Le pavillon Philips n’a rien perdu de sa radicale modernité.

Humble pavillon

Le design fut très important dans sa démarche, avec ses objets mythiques comme sa chaise longue tubulaire et les meubles réalisés avec Charlotte Perriand.

Architecture, design et art doivent aider à vivre. En 1928, il mettait ses idées à exécution avec la magnifique Villa Savoye, posée sur le paysage comme une sculpture. Moderniste, posant volontiers devant un avion ou une voiture neuve, il fut aussi artiste solitaire, travaillant torse nu dans son humble cabanon de bois qu’il s’était construit à Roquebrune, en entendant le bruit des vagues de la mer toute proche. Le 27 août 1965, on retrouvait, son corps nu sur la plage à quelques pas de son cabanon où il passait tous les étés depuis 13 ans. Il s’était avancé trop loin en mer et s’était noyé. Son cabanon de bois de 15 mètres carrés était construit selon son outil de la mesure humaine, le Modulor. C’était la maison ramenée à son minimum. Il y travaillait sans cesse, menant une vie ascétique et minimaliste. André Malraux organisa des funérailles grandioses pour Corbu, le qualifiant de « mon vieux maître et mon vieil ami », faisant du Corbusier un héros de la France gaulliste.

L’unité d’habitation de Marseille reste aussi un exemple parfait de son utopie et de sa réussite possible. Construite sur pilotis, avec une terrasse sculpturale d’où on admire les calanques, elle offre des appartements conçus rationnellement mais plein de lumière et de vie.

Le Corbusier était fasciné, comme Fernand Léger, par les révolutions technologiques, les machines, « l’esprit nouveau ». Il y apportait une esthétique de l’ingénieur.

Mais le souci de la dimension humaine était là, celui de « la mesure de l’homme », qui passe de l’invention picturale du « purisme » par Le Corbusier et son ami Ozenfant, jusqu’à la construction visionnaire de Chandigarh, ville créée de toutes pièces en Inde avec le monument que Corbu y ajouta d’une grande main ouverte. Toujours l’idée du corps, même dans une ville aux côtés parfois inhumains.

Le Corbusier avec ses lunettes rondes, son front dégarni, son ton énervant de « péroreur », avait récemment suscité à nouveau le débat sur son passé d’avant-guerre, souvent proche des milieux très à droite et même vichystes, mais cela n’a apparemment pas découragé l’Unesco.

La Maison Guiette

A Anvers, la Maison Guiette, la seule réalisation de Le Corbusier en Belgique, était une commande de René Guiette (1893-1976), un artiste et critique d’art de la mouvance d’avant-garde anversoise. Sa construction remonte à 1926-27. Ce fut sa première commande à l’étranger. Elle s’insère dans la série des demeures puristes où Le Corbusier applique dans les années 1920 les Cinq points pour une architecture nouvelle : les pilotis, le toit-jardin, le plan libre, la fenêtre en longueur, la façade libre. La maison entière se résume à une boîte simple et parfaite. Elle est une « solution » toute particulière imposée par les lotissements belges caractérisés par une dimension de 6 m de façade et une très grande profondeur. L’escalier desservant les divers étages est comme l’échelle de Jacob qu’escalade Charlie Chaplin dans le « Kid ».

Dans cet intérieur, c’est la palette abstraite de couleurs, liée à la perception de l’espace, de l’esprit des lieux et de la lumière, qui caractérise essentiellement l’ensemble. Le Corbusier a lui-même conçu l’agencement des couleurs durant son unique visite à la demeure, et a suivi de près les travaux de peinture.

La belle maison appartient aujourd’hui à la grande styliste Ann Demeulemeester et à son fils. (G.Dt)

Les 17 œuvres dans le patrimoine mondial

Parmi les réalisations de Le Corbusier, la candidature reprend : En Allemagne, les Maisons de la Weissenhof-Siedlung, à Stuttgart ; en Argentine, la maison du docteur Curutchet à La Plata ;en Belgique, la maison Guiette à Anvers ; en France, le Cabanon de Roquebrune, l’immeuble locatif Molitor à Boulogne-Billancourt, la chapelle Notre-Dame du Haut à Ronchamp, la ciité Frugès à Pessac, le couvent Sainte-Marie de la Tourette à Eveux, la maison de la culture de Firminy, les maisons La Roche et Jeanneret à Paris, la villa Savoye et loge du jardinier à Poissy, la Cité radieuse à Marseille, la manufacture à Saint-Dié à Saint-Dié-des-Vosges ; en Inde :le Palais de l’assemblée à Chandigargh ; au Japon, le musée National des Beaux-Arts de l’Occident à Taito-Ku et en Suisse, l’immeuble Clarté à Genève et une petite villa au bord du lac Léman à Corseaux.

Author : Guy DUPLAT pour http://www.lalibre.be/

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