Après des années de minimalisme pur et dur, le design contemporain revient au geste de la main. Sans barrière entre création actuelle et tradition des savoir-faire. Galerie de portraits de designers qui renouent avec le travail en atelier.
Nathalie Pasqua et ses papillons de verre
Dansant comme des papillons dans le ciel, les lustres en verre de Nathalie Pasqua sont à l’image de cette ancienne ballerine de l’Opéra de Paris. Depuis douze ans, cette créatrice de 45 ans papillonnante d’idées collabore avec Saint-Gobain. Dans les secrets de père en fils de la verrerie Saint-Just, elle trouve son inspiration pour fabriquer des pièces monumentales de plusieurs dizaines de mètres, qu’elle assemble dans son atelier de Bois-Colombes où travaillait jadis son ex-mari, l’artiste contemporain Philippe Pasqua. Il y a une véritable alchimie entre elle et le verre bariolé, un produit unique que tout le monde envie à cette manufacture. «Je coupe les plaques avec des ciseaux de verre comme du papier, en leur donnant une forme, puis je les assemble sur une structure en laiton, métal ou argent qui disparaît dans ce bouquet de couleurs pouvant comprendre plus de 200 morceaux», explique-t-elle.
Exécuté dans la tradition, ce travail exigeant est comme un dialogue avec des pierres précieuses. Il en résulte des commandes de taille souvent hors norme, tel ce lustre en cours de fabrication pour l’entrée des Bains Douches transformé en hôtel arty et qui ouvrira bientôt ses portes près de Beaubourg. Et puisque Nathalie Pasqua aime que le verre s’oxyde, ses pièces organiques continuent de vivre une fois installées…
Nathalie Pasqua à la Galerie GladYs MougIn. 30, rue de Lille (VIIe). Tél.: 01 40 20 08 33.
La céramique dégoulinante de Clémence Van Lunen
On ne dira jamais assez que la céramique, considérée comme art mineur – voire blacklistée – ces trente dernières années, fait un retour triomphant dans les galeries d’art contemporain et chez les collectionneurs depuis six ou sept ans. À mi-chemin entre art et artisanat, les créateurs manipulent la terre avec ses contraintes, tout en brisant les conventions liées à ce médium ancestral. Clémence Van Lunen, qui présente depuis plusieurs années ses sculptures à la galerie Polaris, dans le Marais, s’inscrit avec force dans cette nouvelle approche. Cette petite Belge, née en 1959 à Bruxelles, travaille seule dans son atelier du XIIIe arrondissement, d’où elle sort des œuvres parfois gigantesques, bien plus grandes qu’elle! Les pièces en grès émaillé prennent des formes très organiques, distordues et explosant de couleurs. À la Manufacture de Sèvres, où elle est en résidence avec sa camarade Valérie Delarue, elle présente «Sculpteures!» (jusqu’au 13 avril). Dans ce projet baptisé Tang Family, elle rend hommage aux précurseurs chinois qui réalisaient des pièces à base d’éclaboussures d’émaux. Dégoulinant et charnel. Les pièces uniques sont vendues entre 8000 et 13.000 euros.
Cité de la céramique de Sèvres, 2, place de la Manufacture, à Sèvres (92). Tél.: 01 46 29 22 00.
Carpenters, un centre d’élite du design
Rien n’arrête le duo Carpenters! C’est une première en France que d’acheter une ancienne usine d’encre de 8000 m2 au pied des pistes de Roissy pour la reconvertir en centre d’élite de 25 personnes dédié à la recherche et au développement du design. Loïc Le Gaillard et Julien Lombrail se posent en sauveteurs de l’ADN français. Après la fermeture en juillet dernier de la fonderie Landowski, ils ont réintégré une partie de ses artisans, seuls capables à leurs yeux d’arriver à un niveau de perfection de la ciselure et de la patine. Seule la fonte des pièces – qui nécessite une technique lourde – sera faite en Auvergne, chez Gourcuff. Mais, dans ce laboratoire du nord de Paris, le duo va pousser au maximum de ses possibilités le travail du bronze, du bois, du tissu, du parchemin ou du cuir. Il y accueillera les artistes pour réaliser des pièces ex nihilo et les mener à terme. «L’investissement est lourd. Cela fait neuf ans que l’on réinvestit nos bénéfices mais le but est de gagner en délais, en qualité et en frais, explique Julien, qui réalise son rêve d’enfant. Sans un lieu comme celui-ci, produire du design est devenu très compliqué aujourd’hui. Si l’on fait fabriquer ailleurs, c’est bien à 95 %. Ce lieu au modèle économique nouveau apporte les 5 % manquants pour être parfait.» Les créations d’Ingrid Donat, sa mère, mais aussi celles des frères Campana ou de Vincent Dubourg, que l’on verra au PAD, illustrent cette excellence française.
Carpenters Workshop Gallery, 54, rue de la Verrerie (IVe).
Hervé van der Straeten, du mobilier Haute Couture
Vingt ans de création avec Thierry Mugler et Christian Lacroix, Karl Lagerfeld et Yves Saint Laurent lui ont donné le sens de l’exigence. D’où ses meubles fabriqués dans ses ateliers de Bagnolet comme des pièces haute couture. Ses armoires, bibliothèques, miroirs ou consoles sont cousus main, avec des mélanges audacieux de bois exotiques, de parchemins, d’aluminium, de laiton ou de laque. Aucune charnière n’est apparente. Les tiroirs glissent de manière impeccable. Les panneaux s’emboîtent comme un savant puzzle géométrique. C’est le résultat d’un savoir-faire unique français, dont seule sa petite armée d’artisans connaît le secret. Elle travaille le sur-mesure comme autrefois. Depuis 1999, ce magicien consacré internationalement, qui a designé le flacon J’adore de Dior ou la ligne de rouge à lèvres Kiss Kiss de Guerlain, gère lui-même son travail, qu’il expose dans un show-room du Marais. Et ses créations sont sur toutes les foires, de Maastricht au PAD, sans cesse renouvelées.
Galerie Hervé van der Straeten, 11, rue Ferdinand-Duval (IVe). Tél.: 01 42 78 99 99.
Éric Schmitt, très nature
Cheveux poivre et sel, yeux bleu électrique, le designer, né en 1955 à Toulouse, vit en lisière de la forêt de Fontainebleau, où il travaille depuis presque vingt ans, loin du microcosme parisien. Dans son atelier sont ébauchées puis mises en formes ses créations, qui seront ensuite confiées aux meilleurs artisans avant de revenir pour les finitions. Revisitant à sa façon la tradition française des arts décoratifs, ses pièces sont souvent réalisées sur mesure ou numérotées. «Mon travail est la conséquence du sculpteur que je suis presque, de l’architecte que j’aurais aimé être et du designer que je ne suis pas tout à fait», avoue-t-il. Éric Schmitt fait partie de cette école des designers autodidactes qui affectionnent la matière avant tout. Le bois, l’albâtre, le marbre, l’ardoise, le Corian composent sa palette d’objets et de mobilier toujours très organiques. Membre de l’écurie d’Agnès Kentish chez En Attendant les Barbares, Éric Schmitt présente dans l’exposition collective Masculin Pluriel(s) (jusqu’au 23 mai) une magnifique table basse faite d’une souche de bois ciselé, couverte de bronze et poli. Une pièce unique à 15.000 euros qu’Éric Schmitt réalise sur commande. Peter Marino serait sur le point d’en commander une.
En Attendant les Barbares, 35, rue de Grenelle (VIIe). Tél.: 01 42 22 65 25.
Hubert Legall, le mieux est l’ami du bien
Tellement à l’image de ce trublion curieux et inventif, ses créations ludiques et oniriques enchantent les intérieurs de par le monde. Une consécration pour ce créateur de meubles et objets, également scénographe d’expositions, élu artiste de l’année pour la maison Ruinart avec une magnifique installation en verre illustrant les douze mois de la maturation de la vigne. Hormis cette incartade avec les ateliers Murano à Venise, Hubert Legall produit toutes ses pièces à Paris et en France (David de Gourcuff, à Clermont-Ferrand, pour ses bronzes), là où il a établi des liens privilégiés avec des artisans. «Monteurs, ciseleurs, patineurs ont un savoir-faire unique qui se passe de père en fils, explique-t-il. Il m’a fallu des années pour peaufiner avec eux la couleur, le fini, l’aspect lisse et tendu comme celui de mes lampes en forme de lapin, dont j’ai renvoyé au début un exemplaire sur trois.» Amoureux de la perfection des Arts décoratifs des années 1930, Hubert a trouvé pour son chiffonnier «igloo» les meilleurs laqueurs, comme Mireille Herbst, au Pré-Saint-Gervais, donnant à sa création un look contemporain. Mais s’il utilise les moyens modernes, notamment la découpe au laser, il continue à dessiner à la main ses meubles et à faire de petites maquettes en plâtre. Cela lui permet d’aller plus loin dans la recherche de la forme, avant la fonction. Pas de doute: il est resté un artiste…
Galerie Avant-scène, 4, rue de l’Odéon (VIe). Tél.: 01 46 33 12 40. www.avant-scène.
Ymer & Malta transforme hier en aujourd’hui
Dans son discret show-room des Batignolles, Valérie Maltaverne donne une nouvelle vie aux techniques d’autrefois pour en faire, sous la magie de ses poulains designers, des objets ultra-contemporains. Venue du monde du cinéma, cette fonceuse sait comment pousser les portes avec, en guise de moteur, sa quête d’excellence. Et ce n’est pas sans rencontrer quelques embûches que son entreprise ciblée haut de gamme revisite des procédés de fabrication de façon contemporaine, dans des applications nouvelles, portées par la justesse et l’exactitude d’un dessin. «La richesse et la diversité du tissu artisanal français permettent de faire intervenir jusqu’à trois artisans du même métier sur une même pièce, avec chacun sa propre spécificité , dit-elle. Cette conjonction des talents permet d’atteindre une maîtrise dans l’exécution qui redonne aux objets une notion patrimoniale.» Après avoir redonné au marbre et au cuir ses lettres de noblesse, Valérie a décidé de faire travailler Benjamin Graindorge, Sylvain Rieu Piquet, Normal Studio et Sébastian Bergne sur la marqueterie. Un travail de deux ans de dialogue entre artisans et créateurs. Sans cela, le projet de Benjamin Graindorge, qui a nécessité la découpe millimétrique de près de trois mille pièces de dix-sept couleurs différentes, n’aurait jamais pu voir le jour.
Ymer & Malta. Sur rendez-vous. Tél.: 01 58 59 15 90.
Ghion, Robin, Garouste… tous fans des artisans d’art
Pour cette génération de designers, M. Pierre Basse est un demi-dieu. Se rendre dans sa ferronnerie d’art, installée depuis plus d’un siècle derrière la porte de Vanves, s’assimile à une sorte de pèlerinage pour bon nombre de créateurs français qui travaillent autant la forme que la matière. Elizabeth Garouste comme Éric Robin font réaliser leurs pièces chez cet artisan d’exception, qui fut le ferronnier de Diego Giacometti. Que ce soit pour le miroir petits carrés de l’une, composé d’une structure éclatée en fer forgé et doré à la feuille d’or, ou les lampadaires en fer forgé noirci de l’autre, la patte de M. Basse est indispensable. Idem pour Christian Ghion et Éric Jourdan. C’est avec cet artisan qu’ils réalisent leurs projets les plus excentriques comme les plus classiques, perpétuant ainsi la tradition d’un savoir-faire français. D’autres travaillent avec des doreurs et bronziers dans le même esprit d’excellence. Une philosophie défendue depuis plus de trente ans par Agnès Kentish, la galeriste et éditrice à contre-courant d’En Attendant les Barbares. Si le minimalisme et la vogue des matériaux de synthèse des années 1990-2000 avaient remisé cette tradition au placard, les collectionneurs et décorateurs d’aujourd’hui la plébiscitent. En Attendant les Barbares, 35, rue de Grenelle (VIIe). Tél.: 01 42 22 65 25.
Auteurs : Sophie De Santis et Béatrice De Rochebouet pour le FIGAROSCOPE