Revue de presse » *** L’écopsychologie veut renouer le lien entre les humains et la nature

*** L’écopsychologie veut renouer le lien entre les humains et la nature

Née aux États-Unis, l’écopsychologie porte un regard inédit sur les problèmes environnementaux. Entre recherche et pratique, ce mouvement, qui a des affinités avec la simplicité volontaire, la permaculture ou les villes en transition, propose des stages pour développer notre perception sensible de la nature. Et, ce faisant, devenir acteurs d’un changement politique.

« Malgré son intelligence, l’être humain persiste à détruire la biosphère, dont il est dépendant et dont il a besoin pour vivre », constatent les écopsychologues depuis les années 1980. Michel Maxime Egger, sociologue et auteur d’une introduction à l’écopsychologie, Soigner l’esprit, guérir la terre, précise que l’écopsychologie veut aller « à la racine des problèmes écologiques », or, cette racine serait d’ordre culturel : l’état de la planète résulterait de la perte du lien de l’homme avec la nature.

L’écopsychologie est largement inspirée par les traditions premières et on y croise des chamanes, des militants, des philosophes, des scientifiques, des thérapeutes… Ce vaste champ de recherche et de pratique transdisciplinaires appelle à une fécondation mutuelle de l’écologie et de la psychologie. « L’écopsychologie est moins une discipline qu’un projet mouvant. Son pluralisme est une vraie richesse », souligne Michel Maxime Egger, qui précise que ce n’est pas une psychothérapie, même si son volet pratique est parfois appelé « écothérapie ». « Ce terme peut porter à confusion et aujourd’hui je préfère parler d’écopratiques », précise le sociologue qui désigne les exercices proposés lors des stages : marcher pieds nus, entrer en connexion avec un arbre, accueillir ses émotions négatives, exprimer ses ressentis par le corps, etc. Des cercles de parole sont aussi au programme. « Cette dynamique de groupe est essentielle, car il s’agit aussi de se relier aux autres. L’écopsychologie ne vise pas la résolution de nos problèmes psychiques, mais bien un changement de société. Pour moi, c’est un des éléments d’un mouvement de civilisation », analyse Dominique Bourg, spécialiste de la pensée écologique et professeur à l’université de Lausanne, qui a codirigé le Dictionnaire de la pensée écologique (PUF).

« Contribuer au réenchantement de notre relation au monde »

Lors d’un stage en 2016, il a pu expérimenter le « travail qui relie », un ensemble d’exercices pour se relier à la Terre et au vivant que Joanna Macy, pionnière de l’écopsychologie, formalise depuis les années 1980. « Cette approche sensible qui met l’accent sur l’empathie directe avec le milieu a totalement changé ma relation aux arbres, témoigne Dominique Bourg. Je suis un intello et pour moi cette démarche est totalement connectée avec une évolution dans la pensée. Je ne peux plus réfléchir comme je le faisais depuis ce stage dans la Drôme » où la notion d’effondrement tenait une grande place puisqu’il était coanimé par Pablo Servigne, l’auteur de Comment tout peut s’effondrer.

Les écopsychologues ont notamment cherché à comprendre ce hiatus entre la masse d’informations — plus qu’alarmistes — dont nous disposons sur l’état de la planète, et la lenteur avec laquelle nous consentons, individuellement et collectivement, à changer nos modes d’existence. Selon leur analyse, au cours de son évolution l’être humain s’est peu à peu distancié de la nature au point de perdre la capacité à la ressentir. Cette perte de connexion intime l’aurait conduit à envisager la Terre comme un objet extérieur, assimilable à un stock de matières premières à gérer.

Or la nature a une âme, soutiennent les écopsychologues, qui « renouent avec l’anima mundi des Grecs et des Latins » et « contribuent au réenchantement de notre relation au monde » [1], selon le philosophe Mohammed Taleb, qui voit là une autre voie, aux côté des sciences de la nature, pour pénétrer le vivant. « Ce concept d’âme du monde est central pour appréhender l’écopsychologie, selon laquelle on ne peut pas séparer notre psyché de celle du monde. Notre âme n’est alors qu’une expression particulière de cette anima mundi, entité totalisante qui peut être rapprochée de la figure de la Terre, de Gaïa », analyse de son côté Jean Chamel, ingénieur et anthropologue qui rédige une thèse sur l’approche spirituelle de l’écologie [2]. « Je ne vois pas l’écopsychologie comme un mouvement isolé ni nouveau d’ailleurs, car il se situe dans la continuité des formes occidentales de pensée holistes et monistes » selon lesquels mondes matériel et spirituel ne sont pas séparés mais forment un tout.

« C’est une contribution au changement, mais il y a d’autres voies »

Notre intellect sait que la nature est mal en point, mais la plupart d’entre nous ne ressentons pas ses souffrances. Or, devenir capables d’une telle sensibilité permettrait d’accéder à un changement individuel profond, affirment les écopsychologues. Prenons l’exemple des écogestes (trier ses déchets, ne plus prendre sa voiture…) qu’on effectue par contrainte morale ou légale : dès lors qu’on perçoit la souffrance du vivant, ils deviennent une nécessité intérieure. De fait, les stages d’écopsychologie pratique proposent aussi un temps d’élaboration d’un projet personnel qui vise, une fois rentré chez soi, à devenir acteur du changement social.

Est-ce que ça marche vraiment ? « Il me semble que ce lien avec le changement social est plus complexe : il y a un contexte, des valeurs… On peut vite être rattrapés par notre environnement socioéconomique. À mes yeux, l’écopsychologie est un outil nécessaire, notamment pour changer nos perceptions, mais pas suffisant pour devenir des écoactivistes. On a aussi besoin d’outils pour naviguer dans notre système », soutient Sarah Koller, doctorante en géosciences à l’université de Lausanne, qui étudie les ressorts existentiels de la dynamique capitaliste de croissance. Elle précise que, lors d’un stage effectué en 2014, elle a vécu « une rencontre personnelle avec le vivant, qui [lui] permet désormais de [se] reconnecter facilement à la nature » et a renforcé son engagement au point de coanimer aujourd’hui de tels stages.

Selon Jean Chamel, la portée du « travail qui relie » varie en fonction de l’appropriation qui en est faite par les participants, car « chacun peut trouver dans l’écopsychologie ce qu’il cherche, et en donner des interprétations différentes. J’ai constaté que certains en attendaient la résolution de leurs propres problèmes, d’autres étaient dans une démarche plus politique ». De son côté, Philippe Roch, qui a dirigé pendant 13 ans l’Office fédéral de l’environnement — l’équivalent suisse du ministère de l’Environnement —, estime que « la relation avec la nature nous ouvre à l’universalité. En cela, l’écopsychologie offre une excellente base pour devenir des acteurs du changement : lorsqu’on prend conscience du monde et de la manière dont on le traite, on n’a pas le choix que d’aller plus loin. Bien sûr, tous les participants ne vont pas jusque là, certains peuvent y chercher une technique pour un mieux-être — ce qui n’est pas négatif ! –, mais l’écopsychologie propose les éléments qui permettent de se transformer pour agir sur le politique ».

Le militant, qui a aussi été député dans les années 1970 et a présidé la Conférence des parties aux conventions de Bâle et de Rotterdam au début des années 2000, souligne toutefois le risque d’en attendre un absolu, une résolution de tous ses problèmes personnels, voire d’en faire un dogme ou une religion. « C’est une contribution au changement, mais il y a d’autres voies. Cette pratique apporte beaucoup, mais selon moi l’aspect philosophique de l’écopsychologie est essentiel. Il montre que le spirituel est une réalité dans le matériel. Cela devrait inspirer nos politiques. Je suis frappé de voir que la plupart des Verts n’ont aucune relation à la nature, c’est d’ailleurs un mot qu’ils prononcent rarement. Or, si on n’imagine pas qu’au-delà du monde matériel il existe autre chose, on ne peut pas aller très loin. »

Auteur : Samuel Socquet pour https://reporterre.net/

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