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*** Les PME, ces laissées-pour-compte du numérique

Commandé par le gouvernement, le rapport du Conseil national du numérique (CNNum), qui préconise un plan d’urgence pour la transformation digitale des PME, est resté lettre morte. Pourtant, les entreprises françaises accumulent les retards. Les raisons d’un ratage.

C’est l’histoire d’un rapport mort-né. Lorsque, en octobre 2016, le Conseil national du numérique (CNNum) détaille ses mesures pour accélérer la transformation digitale des PME, commandées sept mois auparavant par un ministre et trois secrétaires d’Etat – Economie, Commerce extérieur, Artisanat et Commerce et Numérique -, le projet de loi de finances 2017, le dernier du quinquennat Hollande, est déjà bouclé. D’emblée, ce qui devait être un grand plan de mobilisation national ne pourra être abondé par aucune enveloppe financière. Autant dire qu’il est déjà enterré… Et pourtant, dans les couloirs de Matignon, cela fait plus de deux ans que la situation catastrophique des petites et moyennes entreprises françaises en matière de digitalisation – et le retard que cela induit sur leur compétitivité – a été signalée. Depuis janvier 2015, des lettres de mission successives ont mis le sujet à l’ordre du jour. Sans que personne s’en empare.

Finalement, le rapport « Croissance connectée » du CNNum sera resté sur les bureaux des cabinets ministériels avant d’être officiellement exhumé mercredi 8 mars, lors d’une remise officielle, tard dans la soirée, à Michel Sapin, ministre de l’Economie, et à Martine Pinville, secrétaire d’Etat chargée de l’Artisanat. Le tout nouveau secrétaire d’Etat chargé du Numérique, Christophe Sirugue, nommé quelques jours auparavant, est absent. A six semaines de l’élection présidentielle, alors que le quinquennat touche à sa fin, difficile d’imaginer une issue si peu glorieuse. D’autant que les soutiens historiques du projet, Axelle Lemaire, ex-secrétaire d’Etat chargée du Numérique, et Emmanuel Macron, ex-ministre de l’Economie, qui portaient notamment l’idée d’un « chèque numérique » pour aider les PME, ont quitté le gouvernement quelques semaines plus tôt. « Ce n’est pas du tout à la hauteur des enjeux : on laisse à l’abandon quelque 3 millions d’entreprises », estime aujourd’hui Guy Mamou-Mani, président du CNNum et ancien président de Syntec Numérique.

Décrochage français

C’est un fait, les PME n’auront pas droit à leur French Tech, ce programme qui booste depuis 2013, et avec succès, les jeunes pousses du numérique. Les dirigeants de ces entreprises, qui représentent « 95 % du tissu français », n’auront pas davantage profité de l’Industrie du Futur, qui a dynamisé les grands groupes, plus facilement enclins à entamer leur mutation digitale.

En matière de transition numérique, les petites et moyennes entreprises sont les grandes oubliées des pouvoirs publics. « Elles sont comme un trou dans la raquette, reconnaît un conseiller ministériel, qui croit plus glamour pour un ministre d’accompagner une jeune start-up innovante à Las Vegas que de visiter une biscuiterie de Bretagne qui tente l’aventure du Web. » « Cette erreur stratégique n’est pas surprenante. En France, les politiques publiques ont toujours ciblé soit les grands groupes, que ce soit le crédit d’impôt pour la compétitivité ou le crédit d’impôt recherche, soit, plus récemment, les start-up », assène Henri Isaac, maître de conférences à l’université Paris-Dauphine et président du think tank Renaissance numérique. Complexe, hétérogène, le tissu des PME est difficile à appréhender, d’autant que le décrochage vis-à-vis de leurs homologues européennes en matière de numérique ne cesse de s’amplifier.

Les résultats du dernier indice Desi (Digital Economy & Society Index) de la Commission européenne montrent que la France se situe, en 2016, à la 16e place – en recul de deux places par rapport à l’année précédente – pour l’utilisation des technologies numériques, en particulier dans les petites entreprises. D’après les chiffres d’Eurostat, seulement deux PME françaises sur trois disposaient, en 2015, d’un site Internet, contre trois PME sur quatre en Europe. A peine 16 % d’entre elles vendent en ligne, et seulement 30 % sont sur les réseaux sociaux.

Créer un label à l’image de la French Tech, moderniser le réseau en s’appuyant sur les experts-comptables qui sont en lien quotidien avec les dirigeants des PME, créer une plate-forme de ressources sur Internet, financer des sites Web via un chèque numérique déjà développé par de nombreuses régions… Les solutions préconisées par le rapport du CNNum ne se veulent pas révolutionnaires. Les auteurs estiment leur financement à une centaine de millions d’euros. Mais certains voient des peurs plus profondes derrière le relatif immobilisme des pouvoirs publics. Comme la crainte, en aidant les PME à vendre à meilleur prix sur les plates-formes Internet ou à se référencer sur le Web, de financer indirectement les poids lourds américains Amazon ou Google.

Autres responsables de ce retard, les corps intermédiaires représentant des entreprises, qui n’ont pris conscience que tardivement de l’enjeu. La CPME (Confédération des PME) n’est pas très audible sur le sujet. Et le Medef, qui a présenté, comme un pied de nez à l’inaction gouvernementale son plan pour le numérique le 9 mars, le lendemain de la remise du rapport « Croissance connectée », vise plutôt les grands groupes.

Les acteurs du numérique espèrent maintenant que les candidats à la présidentielle s’emparent du sujet. Le 12 avril, ils réuniront la crème du secteur. Et comptent sur l’oreille attentive de l’ex-président du CNNum, Mounir Mahjoubi, parti diriger la campagne numérique d’Emmanuel Macron, ou d’Axelle Lemaire, devenue porte-parole de Benoît Hamon…

Auteure : Marion Kindermans pour https://www.lesechos.fr

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