Jusqu’au 9 juillet, retrouvez Impression 3D : L’usine du Futur, l’exposition entièrement consacrée à la fabrication additive, au Lieu du Design, à la Porte de la Villette de Paris.
Entre créations artistiques, nouvelles esthétiques et contraintes techniques, l’impression 3D fait toujours beaucoup couler d’encre et suscite un fort enthousiasme dans la presse et le monde professionnel. Cette technologie, promise à un avenir radieux et révolutionnaire, est pourtant loin d’être inédite. Depuis plus de 30 ans, elle s’implante progressivement dans les usines, s’intégrant aux différentes phases de l’industrialisation des produits, de leur conception à leur fabrication. Pourtant annoncée en grandes pompes avec l’arrivée sur le marché d’imprimantes abordables à taille réduite, la perspective de les voir gagner nos foyers tarde à se concrétiser.
Entre souplesse de création, exigence de savoir-faire et continuelle évolution technique, l’exposition Impression 3D : l’Usine du futur nous plonge dans le monde encore balbutiant de la fabrication additive. L’exposition est divisée en six parties : vers de nouveaux savoir-faire, sur-mesure et personnalisation, hyper-optimisation, mutation des processus de production, nouveaux modèles économiques et Makers, open-source et Do It Yourself. François Brument et Stéphane Simon nous en disent un peu plus.
Commissaire de l’exposition, François Brument est designer. Il anime le site de design numérique In-flexions, mêlant programmation informatique et nouvelles techniques, et enseigne à l’ENSCI/Les Ateliers dont il a lui-même été diplômé.
Stéphane Simon est designer freelance depuis 15 ans. Il est passé par le département communication culturelle de la ville de Nancy, avant de prendre la direction générale du Lieu du Design.
Quel est le message que vous souhaitiez faire passer avec cette exposition ?
Stéphane Simon : L’expo est née de la rencontre avec François Brument il y a un peu plus d’un an. Il nous a soumis l’idée d’une première exposition française sur l’impression 3D qui passe pour la quatrième révolution. Notre idée était de faire un état de l’art sur ce qui se fait de mieux en termes d’impression 3D, toutes technologies et tous matériaux confondus. D’être dans l’actualité mais aussi en avance, nous avons donc réuni des projets passés, actuels mais aussi de prospectives avec dans l’idée de promouvoir le travail des entreprises de l’île-de-France et au delà, et de leur faire comprendre comment et pourquoi l’impression 3D est en train de modifier les modèles économiques, pourquoi ils ont intérêt à intégrer cette technologie dans le process de fabrication. On vise donc avant tout le grand public, les professionnels, mais aussi les écoles, pour éveiller les consciences des écoles pour qu’elles intègrent ces technologies dans leurs enseignements.
François Brument : Le but, c’était de s’adresser à la fois aux industriels et en même temps de se dire que même s’ils sont industriels, ils peuvent être grand public, car ils s’y connaissent peu, on en entend beaucoup parler, même si c’est ancien. Les technologies ont été inventées il y a trente ans. On veut donc montrer des réalisations mais aussi comment les choses sont faites. L’impression 3D est à la fois une technologie ancienne et nouvelle. L’expo s’appelle l’Usine du futur, mais elle ne s’intéresse pas qu’à la dimension fabrication. Elle amène à découvrir toute la chaîne numérique dans son ensemble, en abordant cette techno de la conception à la fabrication et en questionnant sa distribution. On veut donc montrer des réalisations mais aussi comment les choses sont faites.
Comment l’imaginez-vous, cette fameuse usine du futur ?
F.B : Elle est multi-échelles. Il y a certains exemples de gros industriels qui s’interrogent sur la façon dont ils peuvent intégrer ces solutions, et il y a aussi la dimension open-source avec les makers. C’est donc une usine protéiforme. Il y a donc une fluidité, une remise à plat potentielle de tous les acteurs. La où la précédente révolution industrielle tendait à scinder et à segmenter les tâches, la quatrième tend à remettre à plat en reliant tout le monde avec un fil continu, du fabricant à l’utilisateur. L’utilisateur pouvant être lui-même le fabricant voire le concepteur du produit. L’usine du futur, c’est avant tout cette capacité à pouvoir co-agir.
S.S : L’usine du Futur, c’est aussi le moyen de relocaliser les productions qui étaient faites ailleurs à moindre coût, et donc l’enjeu, c’est de rapatrier ces moyens de productions en France. Ce qui n’empêche pas les industriels de continuer à collaborer à l’autre bout du monde grâce à la vitesse de la lumière du numérique. C’est également un avantage de ces technologies numériques. C’est aussi l’occasion d’intégrer que le design et la créativité doivent être au cœur de la réflexion stratégique. Le plus possible, il faut faire appel à un designer qui va créer un nouveau produit, un nouveau service, et faire prendre conscience que c’est aujourd’hui et pas demain car il sera déjà trop tard, et là il y a un vrai retard français en termes d’intégration du design au processus de fabrication.
F.B : Enfin, avec l’impression 3D, il n’y a plus de raison de travailler avec des stocks, on peut travailler au coup par coup et à la demande, avec les outils sur place et d’essayer fabriquer au plus près des besoins. C’est dans ce sens là que la relocalisation est presque naturelle. C’est non seulement une nécessité sociale et politique, mais aussi technique. Ces technologies impliquent de fait de pouvoir faire au coup par coup et à proximité. Cela ne veut pas dire que toute la production française pourra passer sur ce mode là. Pour tous les nouveaux projets pour lesquels ça fait sens de travailler en petite série ou en pièces uniques et personnalisables, c’est une évidence.
Est-ce qu’on ne tient pas là une des limites de l’impression 3D, avec laquelle on ne peut pas produire en masse ?
Cela dépend des échelles. La société allemande VoxelJet fabrique une imprimante 3D de 4 mètres de long sur 2 mètres de large et 1 mètre de haut et une tête d’impression de 1 mètre de large, et elle peut imprimer tout ce volume en 72h. Donc si on prend des petits objets, on peut en imprimer des millions en une fois. Parfois on a tendance, et tant mieux, à parler de la démocratisation des imprimantes 3D, mais ce sont des outils qui ne peuvent imprimer qu’une seule pièce à la fois. Alors qu’avec la grande imprimante on pourrait presque imprimer un million de pièces à la fois. Cela dépend donc de la machine utilisée pour fabriquer un objet, du matériau et de l’utilisation qu’on veut en faire.
Les machines à moins de 500€ sont lentes et peu productives. Mais c’est une erreur de voir l’impression 3D uniquement par ce prisme là. C’est aussi le but de l’exposition que de montrer tous les possibles. Merci à la démocratisation, mais il ne faut pas s’arrêter là.
On a beaucoup parlé de la révolution démocratique de l’impression 3D, ou en sommes-nous ?
Je comprend d’un point de vue marketing ou médiatique qu’on puisse voir la machine comme un outil d’émancipation. On a une machine pour fabriquer, c’est très bien, mais comment est-ce qu’on conçoit ? Beaucoup de gens utilisent une imprimante traditionnelle parce qu’ils prennent des photos, mais on l’utilise beaucoup moins dans une dimension PAO qui rivaliserait avec les sociétés d’imprimeurs. Il y a donc eu un côté forcé sur cet aspect démocratique.
C’est aussi la volonté de cette exposition que de créer de la clarté et de l’objectivité. Depuis quelques années on nous vend beaucoup de rêve, de fantasmes et de craintes. On a cru à la disparition du savoir-faire, à la porte ouverte à la contre-façon et j’en passe, mais en réalité, il n’y a toujours pas de machine magique où on appuierait sur un seul bouton et on obtiendrait notre pièce. Par contre le déploiement de ces outils de production à petite et grande échelle a marqué un nouveau paradigme spécifique dans la chaîne de production.
Cela donne aussi de nouveaux moyens aux start-ups pour se lancer ?
F.B : Oui aussi. Mais ce qui change surtout c’est la dimension du financement. Il y a 10 ou 20 ans il fallait convaincre un investisseur d’investir dans des filières de moulages etc, alors qu’aujourd’hui en faisant preuve de démonstration avec une bonne campagne [en ligne comme avec Kickstarter], on connaît à l’avance les investisseurs puisque les acheteurs deviennent eux-mêmes les investisseurs. De telle sorte qu’on connait la demande au préalable. Et l’impression 3D permet sur ce point de produire en petite série bien précise.
Pourquoi vous êtes vous associés au Centre Pompidou ?
S.S : Pour une question de visibilité déjà. Le centre bénéficie d’une réputation mondiale, et détient dans ses collections plusieurs pièces de François [Brument] et de Patrick Join, qui fut l’un des pionniers à faire de la recherche formelle, dès 2004. Il y avait déjà une amorce. Et le Centre a aussi compris qu’il fallait intégrer dans ses collections quelque chose qui était en train de bouleverser le champ technique et esthétique. Ils ont donc une une clairvoyance, qui nous permet aujourd’hui de montrer quelques pièces du Centre Pompidou. D’autre part, il y a l’idée qu’on est plus forts à deux que seul. Cela vient de la tradition anglo-saxonne du montage d’exposition entre plusieurs institutions culturelles. On s’est donc dit, pourquoi ne pas s’associer pour imaginer une histoire commune et sur la durée ? On a donc ouvert le feu et le Centre prendra la suite l’année prochaine entre mars et juin 2017.
F.B : Cette association, c’est aussi une bonne manière de poursuivre l’exposition l’année prochaine au Centre Pompidou. De faire en sorte que l’année prochaine il y ait un nouveau rendez-vous, puis l’année d’après et ainsi de suite… On dit et on déclare que c’est la première exposition sur l’impression 3D, car jusqu’à présent il n’y avait que des salons avec un message très orienté vers la vente, aujourd’hui on propose une réflexion objective, la plus complète possible.
Quelle est la position de la France dans l’adoption de cette technologie ?
Déjà, la région île-de-France s’est emparée du sujet. En allouant des moyens financiers pour monter cette exposition et communiquer, c’est déjà un premier réveil. Le ministère de l’industrie prépare également le 23 mai prochain un grand événement sur les enjeux des technologies de l’industrie, dont l’impression 3D fait partie. Le 19 mai, nous organisons trois tables rondes avec la Tribune avec des grands patrons de l’industrie qui viendront témoigner de leur rapport à l’impression 3D, sur leur expérience passée mais aussi sur leurs intentions futures. Il y a donc une vraie prise de conscience du côté des grands patrons.
A ce titre, comment ces patrons perçoivent le procédé ?
F.B : Le premier brevet a été déposé en France en 1984. L’impression 3D a donc été imaginée et brevetée en France, avant d’être reprise aux Etas-Unis et de devenir 3D Systems, l’un des leaders mondiaux de la technologie. C’est aussi pourquoi 30 ans après, l’exposition fait sens. Il y a une actualité qui fait qu’on en parle de plus en plus. Et il y a de nombreux domaines, type aéronautique ou automobiles, qui s’en sont emparés depuis de nombreux années. On peut dire qu’il y du retard, mais il y a une vraie curiosité, une vraie envie de la part des français, et ça, on peut le voir avec l’affluence de l’exposition. D’autre part, aux Etats-Unis il y a eut plusieurs plans d’investissements massifs, comme en Chine ou au Royaume-Uni. Il y a donc eu des engagements politiques. En France les choses commencent aussi à bouger.
S.S : Depuis le début de l’exposition on a reçu déjà deux délégations chinoises envoyées par le gouvernement de Pékin, l’une d’une dizaine de personnes et l’autre d’au moins soixante personnes. C’est donc assez incroyable que cette exposition française fasse venir des gens qui sont considérés comme nos concurrents directs. C’est donc le signe qu’il se passe quelque chose en France, qu’on a une avancée notamment en matière de design, et ça en Chine, même s’il y a beaucoup d’écoles, ils n’ont pas encore réussi à s’accaparer cette créativité, cette french touch qui les intrigue et qu’ils recherchent.
Qu’est ce que l’impression 3D permet au design de faire qu’il ne pouvait pas avant ?
F.B : Elle permet d’abord un prototypage extrêmement rapide. Avec ces prototypes on peut donc expérimenter des solutions de manière très facile. Si on veut être un designer efficace, il faut connaître toutes ces techniques. Pour faire un ficher de fabrication il faut faire un ficher 3D, la question de la modélisation est donc incontournable. Après, comme certains projets le montrent dans l’exposition, on peut utiliser ces technos comme de réels moyens de production, et la compétence du designer reste celle d’apporter une solution à une problématique spécifique, mais toujours dans l’écosystème de production. Avec une trentaine de technologies existantes, il faut nécessairement avoir une connaissance de ces outils pour proposer des produits qui utilisent les spécificités de chaque procédé. Par exemple, il y a des lunettes faites en une fois, qui sautent l’étape de l’assemblage. Il y a donc un gain de productivité, mais elles sont faites en frettage de poudre, elles ne pourraient pas l’être en résine ou en dépôt de fibres par exemple. L’impression 3D est simplement un moyen de production parmi d’autres, et qu’il faut connaître.
Un autre exemple avec Sculpteo. Cette plate-forme en ligne permet à Michael Muller de proposer ses produits au monde entier sans disposer d’outils de production. Il construit ses propres fichiers 3D avec son ordinateur, mais ça pose aussi la question de l’autoproduction. Les services comme Sculpteo hébergent les produits 3D et les impriment une fois qu’un acheteur souhaite l’acquisition d’un produit. Ils fonctionnent un peu comme un éditeur de livres. Et font office d’intermédiaire entre créateurs et acheteurs. Ces plate-formes permettent aux designers eux-mêmes d’être auto-producteurs et donc de se demander comment ils peuvent monter leur société etc.
Et au niveau physique et esthétique, l’impression 3D permet-elle de donner vie à des formes vraiment inédites ?
Ça, c’est le discours de l’impression 3D. On a d’ailleurs dédié une partie de l’exposition aux nouvelles esthétiques. Dès le début des années 2000, certains designers se sont interrogés sur les nouvelles perspectives esthétiques et formelles que permettaient l’impression 3D. Toutes les technologies ne le font pas de manière égale. Il faut choisir avec attention son matériau et sa technique pour créer telle forme, avec telle rapidité et telle finesse et solidité. On a par exemple les bijoux de ce joaillier de la place Vendôme. D’une certaine façon, la bague est classique, mais s’il utilise la technologie, c’est pour proposer des bijoux sur mesure. Il utilise cette technologie non pas pour créer de nouveaux langages formels, mais pour produire une bague intermédiaire prototype pour essayer le bijou avant la réalisation finale. C’est plus l’intégration de la technologie dans le savoir-faire existant qui est inédit. Mais il y a d’autres exemples d’esthétiques qui ne sont possibles que grâce à ces nouvelles technologies.
Un objet imprimé en 3D est-il de meilleure qualité qu’un objet fabriqué de manière traditionnelle?
Pas forcément, on voit souvent un peu trop l’impression 3D comme un nouvelle technologie remarquable. Mais si on prend l’exemple de la chaise de Patrick Join, qui a été imprimée par Materialise en Belgique en 2004 grâce à la machine Mamouth qui permettait de créer des pièces de 2 mètres, d’un coup beaucoup de designers ont saisi l’opportunité pour se lancer dans le mobilier, mais dans le même temps, le matériau utilisé, c’était de la résine, qui elle, est assez fragile et qui ne permet pas de faire une chaise avec quatre pieds seulement.
L’intelligence de Patrick Join a été de multiplier les pieds, et en même temps de créer une nouvelle esthétique en répondant aux contraintes de la matière utilisée. Et c’est là le rôle du designer que de comprendre qu’il y a de nombreux matériaux et qu’en fonction de l’application qu’on veut en faire, il faut faire appel à des technologies différentes. La technique permet une liberté supplémentaire mais pas absolue. Sinon c’est le syndrôme de la page blanche. Qu’est-ce qu’on fait une fois qu’on peut tout faire ?
Quelles réalisations de pièces sortent de l’ordinaire ?
Chaque pièce présentée ici a une particularité, comme on l’a dit. Selon la forme souhaitée, il a fallu faire appel à des matériaux et des technologies différentes. Par exemple pour l’étagère modulaire du Maker hongrois Ollé Gellert il y a différents compartiments de rangement, mais on a seulement imprimé la pièce de jonction. Imprimer une étagère complète serait une hérésie, mais réfléchir sur les pièces intermédiaires, ça fait sens.
Quant au vélo VRZ 2 sur-mesure, il est conçu en carbone et impression 3D. Imprimer un vélo entièrement, ca coûte vraiment très cher, alors ici ils se sont contentés d’imprimer toutes les pièces dorées qui servent de jointures. Ils ont hyper-optimisé le modèle plutôt que de tout imprimer.
Et puis, il y a l’accoudoir de siège d’Airbus. Ils ont réussi à réduire le poids de la pièce de 30 % en imprimant une partie de la pièce finale. Mais ramené au nombre d’accoudoirs dans un avion, cela fait des économies importantes à chaque vol. C’est aux designers et aux ingénieurs de faire le calcul, même si la pièce peut être plus coûteuse à produire, même en 3D, si elle est plus légère cela vaut le coup. La fabrication, c’est un peu la phase visible de l’iceberg, et il se passe beaucoup plus de choses en amont et en aval, qu’on essaye d’ailleurs de mettre en lumière dans le livre.
Informations Pratiques :
Exposition ouverte à partir de 12h, du 1er avril au 9 juillet 2016, au Lieu du Design, 11 rue de Cambrai, 75019 Paris.
Métro Corentin Cariou.
Informations supplémentaires sur le site du Lieu du Design.
Source : https://humanoides.fr
Lire sur ce site :
https://designer-s.org/le-lieu-du-design-imprime-le-futur/