Apple, Bang & Olufsen, Dyson… Les beaux produits font les belles ventes? Pas faux, mais incomplet, car le design ne se limite pas à l’esthétique. Et il n’est surtout pas réservé à une poignée d’entreprises haut de gamme.
Plus beau, donc plus séduisant… et plus cher: la martingale mise en place par Johathan Ive pour Apple depuis presque un quart de siècle passe pour l’expression ultime du design appliqué au business. Est-ce à dire que la recette ne s’applique qu’au haut de gamme (et aux entreprises qui ne risquent par d’avoir des problèmes de trésorerie de si tôt)? Pour Ludovic Noël, le directeur de la Cité du Design de Saint-Etienne, c’est une vision réductrice du design. Au-delà du « lifting » de produits, c’est une démarche scientifique, qui débute avec une analyse poussée des besoins de la clientèle, et débouche sur bien plus qu’une jolie enveloppe… C’est même un « incontournable facteur de compétitivité, car de nombreuses études montrent que les entreprises qui s’engagent dans une démarche de design sont plus performantes », selon le patron d’un des plus importants centre d’exposition, de recherche et d’enseignement de France en la matière. Entretien.
Si le design est si rentable, qu’est-ce qui empêche les entreprises de l’utiliser plus systématiquement ?
Le premier coupable, c’est l’image un peu faussée qu’elles se font du design. Pour la plupart des gens, le design c’est ce que nous appelons le design « de création »: du mobilier, édité en petite série, et souvent assez onéreux. C’est au design ce que la haute couture est au vêtement: un petit aspect de la discipline… mais de loin le plus visible. Les chefs d’entreprise qui n’ont encore jamais fait cette démarche craignent donc de ne pas réussir à travailler avec un « artiste ». Mais le quotidien de 95% des designers, c’est de travailler avec des entreprises, et en particulier avec des PME! Ils ont l’habitude de se plier à des contraintes de budget et de délai.
Du coup, savent-elles quoi demander à un designer ?
Pas toujours. On va souvent solliciter le designer pour travailler sur l’esthétique d’un produit qui est déjà quasi-fini… Mais « faire beau », même si ce n’est pas négligeable, ce n’est que 30% de la valeur ajoutée du design. Les entreprises pensent spontanément au design comme un levier pour améliorer l’image de leurs produits. J’ajoute qu’il améliore l’image de l’entreprise elle-même: en 2015, lors de la Biennale de design, la Tôlerie Forézienne avait par exemple présenté des bancs publics conçus avec de jeunes designers. Leur métier d’origine, c’est de produire des conduits de cheminée en métal… Outre l’intérêt commercial de développer une nouvelle activité, ses dirigeants ont constaté un impact positif sur leur image, même auprès de leurs clients traditionnels. Ils sont perçus comme plus innovants, et sollicités pour des projets plus complexes. Le chiffre d’affaires a donc aussi augmenté sur leur métier de base.
En dehors de ces enjeux d’image, à quoi sert donc le design ?
A énormément de choses! Être plus efficace, par exemple. Le design peut permettre par de baisser les coûts de production, parce que le designer aura pu trouver un moyen de redessiner un produit pour qu’il y ait moins de « chutes ». Ou à se développer commercialement: un produit bien conçu et bien dessiné permet de se démarquer de la concurrence. Mieux, le design permet de s’ouvrir de nouveaux marchés. SAG, par exemple, est un sous-traitant de l’industrie automobile [l’entreprise produit des réservoirs pour poids lourds, NDLR] qui avait dans l’idée de se diversifier… dans le mobilier urbain! Parce que son savoir-faire dans le travail des métaux pouvait aussi bien trouver un débouché dans ce champ, l’entreprise est venue nous solliciter, et avec notre appui, ils ont développé un prototype de poubelles publiques (dessiné par Franck Magné) qui ont été installées à Saint-Etienne durant la Biennale de design. L’intérêt? Ce test grandeur nature a permis de recueillir l’avis des agents municipaux, et permis de développer une « V2 » adaptée à leur retour d’expérience. Corbeille, cendriers et assises… Le mobilier urbain ne pèse encore que 1,5% du chiffre d’affaires de SAG, mais la société table sur 10% dans les prochaines années.
Une « bonne » démarche design suppose donc d’aller demander leur avis aux futurs clients ou utilisateurs ?
Absolument, c’est d’ailleurs le point central des dispositifs d’accompagnement de la Cité du Design qui s’adressent aux entreprises qui ont déjà une certaine maturité vis-à-vis de cette discipline. Pour celles qui débutent, nous les aidons à rédiger leur cahier des charges, nous le diffusons auprès des 250 designers avec qui nous sommes en contact régulier, puis nous effectuons le suivi de cette première relation designer-entreprise. En général, elles y reviennent.
En deuxième phase, leur problématique est différente: ce n’est plus « comment ou pourquoi utiliser le design », mais « comment tirer parti du design pour innover ». L’accompagnement de la Cité du Design en la matière consiste alors en un programme d’environ six mois, durant lequel nous partons de la question des usages. Nous allons sur le terrain, nous interrogeons les utilisateurs… C’est l’opposé d’un focus group, lors duquel vous testez quelque chose qui a déjà été élaboré. Dans notre démarche, nous essayons de déterminer quels sont les besoins des utilisateurs potentiels, et nous en déduisons des scénarios d’usage. C’est ce qui a permis à une société comme Sigvaris, qui produit des bas de contention, distribués en pharmacie, de développer un produit totalement nouveau: Rolly, un outil qui facilite l’enfilage de leurs bas de contention. Les conclusions du « laboratoire » que nous avons animé avec les utilisateurs de leurs produits avaient clairement montré qu’il y avait là un vrai problème à résoudre. Et 4000 Rolly ont été vendus dès le premier mois
Combien d’entreprises accompagnez-vous de cette manière ?
L’an passé, nous avons aidé 115 entreprises, la moitié dans l’agglomération stéphanoise, 20% sur la grande région Rhône-Alpes-Auvergne, et 30% dans le reste de la France. Et nous avons aussi des programmes de recherche, beaucoup plus en profondeur, et qui s’étalent sur plus d’un an. On sollicite alors un plus grand nombre d’utilisateur, on va chercher un peu partout l’état de l’art, des concepts qui ont déjà pu être imaginés par des designers sans avoir trouvé de traduction concrète… Nous travaillons par exemple avec Philips sur leur offre d’éclairage public, Peugeot sur la voiture autonome ou encore Suez-Lyonnaise des eaux sur tous les services que l’entreprise pourrait développer grâce aux données qu’elle collecte sur ses usagers…
On peut donc aussi « designer » un service et pas seulement un produit ?
Bien sûr, le design de service est d’ailleurs l’un des champs d’innovation les plus prometteurs. Prenez Airbnb ou Uber: qu’est-ce qui explique leur succès fulgurant, si ce n’est la simplicité d’utilisation de leur service et de leur application? L’une des explications, c’est que le design a été non pas une « couche » ajoutée a posteriori, mais bien pris en compte dès leurs débuts: dans l’équipe fondatrice d’Airbnb, on compte 3 designers, et l’un des cofondateurs d’Uber est aussi du métier…
Author : Adrien GUILLEMINOT pour http://lentreprise.lexpress.fr/