Revue de presse » Managers : enrichissez le Design thinking de votre vision critique du marché !

Managers : enrichissez le Design thinking de votre vision critique du marché !

Alors que le Design thinking fait preuve d’impacts positifs dans de nombreux projets d’innovation, cette pratique est encore peu utilisée par les managers. Pour Bérangère Szostak, co-responsable de la mention Management de l’innovation à l’Université Lyon 2, le design doit pourtant devenir une réelle opportunité pour les managers d’être libres aussi de critiquer le marché et de l’interpréter, selon leurs perceptions, pour concevoir de nouveaux scénarii de vie aux utilisateurs.

S’il y a encore quelques années, parler de design à des managers français était peu évident, la tendance commence à s’inverser depuis la popularisation d’une méthodologie d’innovation : le « design thinking ».

Familiariser les managers avec le design

En effet, cette méthodologie est davantage entrée dans le vocabulaire courant du monde du business depuis la publication de l’ouvrage de Tim Brown, CEO de l’agence Ideo, Change by Design : How Design Thinking Transforms Organizations and Inspires Innovation » (2009).

Bien que non inédite en soi, elle a le mérite de rendre compréhensible la démarche des designers pour les managers peu familiarisés avec le design. Mais pourquoi était-ce nécessaire ?

L’intégration du design dans les pratiques d’innovation des entreprises françaises est plus modeste que dans les autres pays. Les observateurs indiquent que plus de 60 % des entreprises françaises n’ont jamais eu recours au design, et moins de 20 % considèrent le design comme un atout stratégique.

Une des raisons généralement avancées est leur difficulté à mesurer l’impact du design dans leur projet d’innovation, alors que les études indiquent un impact positif.

Managers trop « cartésiens »

Par exemple, le Design Council anglais conclut qu’en moyenne, pour une 1 £ investie en design, elles ont un retour sur investissement de 50 £.

Une autre raison de ce désamour pour le design est liée au fait que les designers raisonnent dans un espace de connaissances non défini et évolutif, ce qui peut paraître exotique pour des managers cartésiens habitués à être formés selon des modèles rationnels et normatifs, et où les problèmes sont résolus de manière séquentielle.

La diffusion en entreprise du design thinking permet ainsi d’apporter un regard positif sur cette discipline de conception.

« C’est un terme extrêmement rassurant pour beaucoup de managers qui se sentaient mal à l’aise avec le terme de design, et qui d’un coup lui trouve beaucoup de vertus », déclare Antoine Fenoglio, co-fondateur du studio de design Sismo, qui est spécialisé en innovation par le design et applique le design thinking pour imaginer de nouveaux produits ou services, et même des business model et plan stratégique.

Trois principes clefs

Concrètement, le design thinking se résume par trois grandes étapes.

(1) L’inspiration permet de collecter des « insights » sur les pensées, pratiques et besoin des utilisateurs.
(2) L’idéation s’appuie sur des méthodes de créativité classiques (type brainstorming) et une représentation des idées par des dessins, schémas, maquettes, etc.
(3) L’implémentation passe par la sélection de l’idée, et un prototype « quick and dirty » de l’expérience souhaitée. Sont alors testées la désirabilité de l’idée auprès des utilisateurs, sa faisabilité technique et sa viabilité économique.
Cependant, la focalisation des managers sur cette méthodologie pourrait leur laisser croire que le design se réduit à elle. Cela revient en creux à nier la variété des approches des designers qui s’inspirent de l’histoire, de l’industrie, de l’économie et de la culture pour l’essentiel.

S’entourer de professionnels

Ce rappel semble nécessaire pour apprécier combien importe la présence, aux côtés de ces managers, de professionnels formés, instruits et acculturés à la discipline du design pendant des années.

En effet, les designers développent des compétences spécifiques, notamment celles de l’analyse et de la synthèse des travaux des ingénieurs, des réflexions des marketers, des observations des ethnologues, des performances des artistes…

Cela conduit à la conception d’idées nouvelles et en cohérence avec les tendances socio-économiques et les évolutions technologiques. En outre, leur approche dite holiste les amène à considérer l’humain dans sa globalité, i.e. en tant qu’utilisateur avec ses émotions, son environnement socio-organisationnel, et ses interactions avec des tiers.

À cette fin, les designers développent des approches prospectives et visionnaires qui sont tout aussi pertinentes que celle du design thinking. Il s’agit alors non plus de se focaliser sur l’utilisateur pour donner plus de sens aux objets, selon Roberto Verganti, chercheur italien, mais bien de créer des nouveaux sens aux objets en vue d’innovation de rupture.

Approches visionnaires… et critiques

Cela demande d’adopter une posture critique vis-à-vis d’un contexte de vie dans lequel l’innovation doit s’inscrire, de développer une vision nouvelle, et de partir de soi et de sa compréhension de la culture dans ce contexte pour aller vers l’utilisateur. Cette démarche est différente du design thinking, même si l’objectif reste identique : concevoir concrètement de nouvelles idées créatives sur le marché.

Loin de nous l’idée de minorer le rôle pédagogique qu’a actuellement le design thinking auprès des managers, il n’en demeure pas moins que, comme des épices dans un plat, son absence rendrait fade la saveur des idées, mais son emploi exclusif la rendrait piquante pour les managers et les utilisateurs.

Le design doit devenir une réelle opportunité pour les managers d’être libres aussi de critiquer le marché et de l’interpréter, selon leurs perceptions, pour concevoir de nouveaux scénarii de vie aux utilisateurs.

Bérangère Szostak, Maître de Conférences à l’Université de Lyon, membre du laboratoire COACTIS, auteur avec F. Lenfant (GE Healthcare) de « La boîte à outils du design management » (2015, Dunod) et co-responsable de la Mention Management de l’innovation à l’Université Lyon 2.

Author : Bérangère SZOSTAK pour http://acteursdeleconomie.latribune.fr/ – Maître de Conférences à l’Université de Lyon, membre du laboratoire COACTIS, auteur avec F. Lenfant (GE Healthcare) de « La boîte à outils du design management » (2015, Dunod) et co-responsable de la Mention Management de l’innovation à l’Université Lyon 2