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**** Paris mise (enfin) sur le design dans l’espace public

La municipalité parisienne appelle les designers à inventer des solutions pour améliorer la vie dans les rues, sur les places et dans les parcs. Si l’intention est bonne, les moyens d’y parvenir posent question.

Ca va mal pour le design en France. Le Lieu du design n’a plus d’argent pour organiser des expositions, les D’Days sont mis en sommeil, l’Observeur du design s’est réduit comme peau de chagrin, le Graphic Design Festival est tombé à l’eau, la galerie VIA ne fait plus grand-chose, le magazine Intramuros a connu des jours meilleurs. Il reste la Biennale de Saint-Etienne et la nomination de Lille comme capitale mondiale du design en 2020, sans que l’on sache vraiment ce que cela veut dire.

Aussi faut-il saluer une initiative de la Mairie de Paris nommée Faire Design Urbain 2018. Il s’agit de convier des designers à répondre à des appels à projet autour des grands enjeux de l’espace public parisien. Le 11 avril, ils ont répondu nombreux à l’invitation du Pavillon de l’Arsenal, qui organisait une matinée de rencontres animée par Jean-Louis Frechin. Pour le fondateur de l’agence NoDesign, « Paris n’a peut-être pas assez confiance dans la capacité du design à faire rayonner cette ville et à améliorer la vie des habitants ». Il est vrai que quand on voit la médiocrité des nouvelles stations Vélib’ et des panneaux d’affichage lumineux, il y a de quoi se poser des questions.

“L’objectif, c’est l’égalité et la fraternité”

Jean-Louis Missika, maire adjoint chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris et de tout un tas de choses, semble avoir compris le message. Il explique que, dans une ville dense visitée chaque année par 35 millions de touristes, où les loyers sont chers et les appartements petits, « l’espace public est de plus en plus vécu comme une extension de l’espace privé ». Les rues, les places, les jardins peuvent devenir des endroits pour faire du sport, pour se rencontrer, pour pique-niquer, pour travailler…

Missika imagine donc des mobiliers spécifiques, sortes de moutons à cinq pattes, respectant les normes de sécurité, adaptés à tous les genres, multifonctionnels pour ne pas prendre trop de place, connectés, à hauteur d’enfant, n’oubliant ni les personnes à mobilité réduite, ni les séniors, et n’excluant pas les sans-abris, car « l’objectif, c’est l’égalité et la fraternité ». Ces objets à tout faire devront aussi être issus de matériaux naturels et recyclables. On suggère les bancs en bois : c’est écolo, tout le monde peut s’y asseoir, faire des étirements et rencontrer des inconnus.

Les designers sont aussi invités à plancher sur les problèmes de végétalisation, de sécurité anti-attentats, de développement de l’économie circulaire, de soutien au commerce de proximité, de gestion des déchets, de « robotisation des fonctions urbaines ». En ajoutant à tout cela, bien sûr, un peu de poésie. Les réponses attendues ne se traduiront pas forcément par du mobilier urbain, mais aussi par des propositions d’aménagement ou d’organisation. Vaste programme. Et non dénué de contradictions, car on voit mal comment de coûteux objets robotisés, équipés de multiples capteurs et gourmands en énergie pourraient être en même temps écologiques. On a aussi du mal à s’imaginer un espace public libéré par l’ajout de barrières et de plots en béton, aussi bien dessinés soient-ils.

Vouloir améliorer la vie citadine, c’est formidable, mais quand on entend parler de « mutations », de « fabrication de la ville », d’« écosystème », de « logique darwinienne », de « disrupter », de « présence des marques », force est de constater que c’est la pire novlangue du néolibéralisme qui est employée à cette occasion. Aussi peut-on craindre que, dans l’opération, le design soit utilisé commme un cheval de Troie pour des industriels qui ne verraient dans l’espace public qu’une part de marché à conquérir. L’association de la Mairie de Paris avec la filiale d’un grand constructeur allemand d’automobiles, et la présence, parmi les entreprises sélectionnées, d’une multinationale de l’éclairage, ne peuvent qu’amplifier ces interrogations. Le lien entre les entreprises présentes et la rémunération des designers n’est d’alleurs pas clair : qui paie quoi exactement ?

Enfin, le monde associatif et syndical était remarquablement absent de cette matinée. L’association Civic City, par exemple, mène d’excellentes réflexions sur le design dans l’espace public. Il eût été utile d’entendre son point de vue.

Pour la réussite du projet, souhaitons que les candidats se souviennent que le design est une discipline autonome. Depuis les années 60, c’est en contestant les idéologies qui voulaient organiser la vie « de la petite cuillère à la ville », que les designers se sont libérés. Ils ont la responsabilité de contribuer à la « fabrication » d’un Paris de demain qui ne soit pas une ville-machine ou un enfer pavé de bonnes intentions. Quant à la mairie et aux entreprises, elles devront respecter leur créativité, laisser de la place à l’audace.

La Ville de Paris envisage plusieurs lieux d’expérimentation : la porte de Vincennes, les voies sur berge, la petite ceinture, les abords du Grand Palais, les Champs-Elysées… Au public de juger dans quelques mois de ce qu’il sera fait de ces « terrains de jeu », comme dit Jean-Louis Missika.

Auteur : Xavier de Jarcy pour Télérama

Vignette de l’article : Lancement de Faire Design Urbain 2018 au Pavillon de l’Arsenal, à Paris.© X.J.

Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s !

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