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**** Petite théorie de la curiosité

Ah ! La curiosité ! Cette noble attitude, cette soif de savoir ! Évidemment que nous sommes tous curieux ! C’est vital pour l’entreprise, c’est la marque des innovateurs, c’est notre touche différenciante… Vous connaissez la suite. Nous nous gargarisons, nous sommes en ébullition, mais est-on bien conscient de la nécessité d’être sérieusement curieux ?

Curieux futile ou curieux utile ? C’est peut-être l’une des choses les plus difficiles à faire dans la vie : être et demeurer curieux. Mettons de côté les maximes et adages maintes fois ressassés et regardons plutôt la définition : « La curiosité est une attitude de disponibilité ou d’intérêt à l’égard d’un sujet ou d’un phénomène donné. Elle peut être un trait de caractère, présente en toute occasion, ou se manifester dans des circonstances particulières. » Disponibilité, intérêt, trait de caractère… C’est ce que nous dit Wikipédia et tout est dit. Il est d’ailleurs ironique d’être allé chercher cette définition sur Wikipédia. Internet a changé nos vies : tellement pratique pour la satisfaire, cette curiosité… et la limiter dans le même temps en nous servant tout sur un plateau. Car, soyons réalistes : être curieux n’est naturel ou spontané que pour ce qui demande peu d’efforts. Ah, que c’est bon d’être curieux… mais curieux comment au juste ?

José Maria Eça de Queirós (écrivain et voyageur, le Zola portugais du xixe siècle) disait de la curiosité qu’elle mène à tout : « Parfois à écouter aux portes, parfois à découvrir l’Amérique. » Reconnaissons que l’on résiste moins à assouvir ses petites indiscrétions qu’à se jeter à corps perdu vers l’inconnu ! Satisfaire notre appétit de savoir nous presse d’aller au plus facile. Qui n’a un jour acheté un Paris-Match dans un Paris-Marseille ?

L’usage que l’on en fait

Reconnaissons aussi que l’époque nous conditionne à une certaine forme de curiosité. Chacun en fait l’expérience : on se contente assez souvent de la soupe que l’on nous sert parce que les clignotants sur les walls de nos réseaux sociaux nous font de l’oeil, et tant pis si c’est une fake news. À l’heure du « contenu liquide », on s’habitue à ce que la vitesse l’emporte sur le temps long, nécessaire à une curiosité plus fouillée. Et cela nous convient assez bien. Car la curiosité, cela demande du travail ; entendons une curiosité active, structurée, qui va nous sortir de notre zone de confort, nous pousser à apprendre, à connaître vraiment, à faire, à créer.

Il en va de la curiosité comme de tout, dirait-on, c’est selon l’usage que l’on en fait. Il y a le personnage mythologique d’Icare d’un côté, qui voit fondre ses ailes en cire de s’être approché imprudemment du soleil et se noie dans la mer Égée. Il y a de l’autre Léonard de Vinci (ingénieur et inventeur au xve siècle) ou Elon Musk (ingénieur et inventeur au xxie siècle), qui font de la curiosité un moteur du changement effectif. En fait, il y a donc une nette différence entre la curiosité et la studiosité. Attention. Il faut des deux dans la vie ! Mais désapprendre la première pour réapprendre la seconde… n’est pas un mal. Et l’auteur de cet article peut s’appliquer à lui-même ce précieux conseil, car nous sommes tous logés à la même enseigne !

Il y a ceux qui en parlent, et il y a ceux qui font. Nous sommes prompts à faire l’éloge de la curiosité, particulièrement dans l’entreprise. L’esprit curieux est le signe des grands innovateurs. Le PDG le revendique comme une culture, comme la marque distinctive d’une entreprise qui avance. Nous sommes tous les champions de la curiosité pour ce qu’elle produit de meilleur : créativité, invention et capacité à se dépasser. La curiosité est la bonne habitude de ceux… qui luttent contre les vieilles habitudes. Elle rend in. Les agences de communication en font un mantra, une spécialité. Bref, tout le monde est curieux à fond de cale. Sur le papier, c’est toujours très chic, évidemment. On voudrait y croire.

Une belle intention

Dans les faits… ce n’est pas si vrai. Force est de constater que dans nombre d’entreprises, on en reste au voeu pieux, à l’intention. Imaginez-vous le dernier Star Trek. Le capitaine Kirk, scrutant les mondes inconnus, décoche un lyrique : « Vers l’infini et au-delà ! » Sauf qu’au lieu de monter à bord de l’Enterprise, il part en skateboard à la conquête de l’espace. Vous l’avez compris : la curiosité – au sens de la studiosité – requiert des moyens, un management, des dispositifs. C’est une compétence qui doit être développée comme telle. On constate qu’à toutes les époques, l’homme a cherché des vecteurs pour stimuler, favoriser et orienter cette soif de connaissance, de découverte. Des cabinets de curiosités européens et autres studioli en Italie de la Renaissance aux expositions universelles, dont la première eut lieu en 1851, la fonction de ces lieux était simple. Il s’agissait d’exposer alors tout ce qui nous permettait d’appréhender un monde qui se découvrait à nos yeux : le monde naturel (hérité), le monde artificiel (créé par l’homme) et scientifique, les civilisations… On observait, on étudiait. On s’émerveillait aussi devant la nature, l’insolite, l’exotique et l’inconnu. C’est un fait : sans catalyseur, point de curiosité créative, sauf sérendipité heureuse naturellement. Il en va de même avec les consommateurs ; nous savons très bien que la curiosité est un puissant levier pour la vente, pour l’adhésion*. En somme, on pourrait dire qu’il y a une stratégie de la curiosité, pour une curiosité stratégique.

Un levier réel d’activité

Bernanos a cette belle phrase pour expliquer l’enjeu de la curiosité : « Les curieux sont toujours dupes de leur curiosité. Ils expliquent tout et ne comprennent rien. » À l’heure où l’on raisonne tant sur les outils, mâtinés bien sûr de nouvelles technologies, de data… il y a urgence à repositionner la curiosité au coeur du projet de l’entreprise. Et, si possible, en faire un levier de recherche des causes premières (observer, comprendre, sortir de son modèle de départ, remettre en cause). C’est, là encore, une réalité : les marques qui nous inspirent sont celles qui comprennent parfaitement le monde qui nous entoure. Retenons alors ici les leviers principaux d’une curiosité… stratégique.

Comme toujours, elle commence par les personnes : c’est tellement important dans la vie d’une entreprise qu’elle devrait figurer dans les contrats de travail et les objectifs de chaque collaborateur. La curiosité devrait être encouragée et récompensée. Êtes-vous prêts à faire évoluer vos contrats pour : primo, donner du temps à la recherche individuelle et collective ; secundo, soutenir la formation ; tertio, inciter à la création de nouveaux projets ?

Ensuite, la curiosité a besoin de lieux. À l’instar des cabinets de curiosités d’antan, difficile de stimuler la soif de connaissance et le désir de sortir des habitudes dans un open space, où la seule touche d’originalité réside dans les plantes vertes. Il faut des lieux dédiés pour étudier, tester, mettre en commun, questionner, prendre le temps et inventer. Chaque organisation trouvera la fonction de son propre cabinet de curiosités : lab, université ou école interne, un séminaire sur un thème neuf… ou les trois à la fois.

Enfin, la curiosité est une collaboration. Personne n’est créatif seul. Il en est de même pour la curiosité si l’on veut en faire un accélérateur réel et concret. C’est un dialogue articulé, qui commence par la tête de l’entreprise (l’exemplarité toujours), se poursuit avec et entre les collaborateurs (raisonnez en mode projet, en communautés créatives), et qui n’oublie pas les consommateurs, qui sont une force. À vous de jouer ! Prenez-vous pour Kirk, à bord de votre Entreprise !

Auteur : Guillaume ANSELIN pour INfluencia

Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s !

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