Revue de presse » *** Ross Lovegrove est-il le designer du futur ?

*** Ross Lovegrove est-il le designer du futur ?

[…] Ross Lovegrove aime dessiner des mains. Sur ses nombreux cahiers de notes, conçus spécialement pour lui, il contourne au crayon celles des personnes qu’il rencontre : « Les gens que j’aime, que j’admire. Tout le monde, en fait. » Un tic loin d’être anodin puisque cette partie du corps est son principal outil de travail. Sculpteur et designer industriel, il n’a pas perdu l’habitude d’esquisser ses idées, même avec l’arrivée de nombreux logiciels de graphisme.

 

C’est dans son studio, situé à Notting Hill, à l’ouest de Londres, qu’il passe le plus clair de son temps. L’adresse, intimiste, est quasi-secrète : l’absence de nom sur la porte évite les visites inattendues. Le bâtiment, à l’allure futuriste, dénote avec le paysage et semble avoir été maladroitement posé entre deux maisons de briques rouges. Sa femme, Miska Miller-Lovegrove, s’est occupé il y a plus de 20 ans, de transformer ce vieil hangar en atelier aux traits de vaisseau spacial. À l’époque, David Hockney occupe la maison voisine. Le quartier, avant de devenir branché et résidentiel, était considéré comme « un peu craignos, plein de prostitués ». Une caractéristique qui n’a pas fait fuir Ross Lovegrove, bien au contraire.

À l’intérieur, les murs blancs mettent en avant l’ensemble de ses créations, toutes créées sur place. Au centre du studio trône un escalier, dont la forme ressemble à s’y méprendre à une molécule d’ADN – c’est d’ailleurs le nom qu’il lui a donné. Fragile, il mène au sous-sol, entièrement creusé au moment des travaux. Si le rez-de-chaussée regorge de trésors (sculptures et autres de ses travaux), c’est au niveau -1 que la magie opère.

Une vision du design écolo-futuriste

Ce n’est pas un hasard s’il a décidé de faire un clin d’œil à cette référence médicale en la plaçant au centre des lieux : aux initiales ADN il rattache trois notions, essentielles dans son travail et son processus de création.

Primo : l’art. « Je ne conduis pas, je ne fume pas. J’investis tout mon argent dans la culture. Chaque minute de ma vie, toute ma vie » : lorsque Ross Lovegrove parle de son amour de l’art, ses yeux pétillent. Parmi ses artistes favoris, il cite David Bowie et Ettore Sottsass. Quelle ne fut pas sa joie lorsqu’il apprit qu’en 2016, quelques mois seulement après la mort du chanteur, aurait lieu une vente exceptionnelle, organisée par Sotheby’s, qui mettrait aux enchères quelques-unes des pièces de sa collection personnelle, dont certaines œuvres du designer. « J’ai toujours rêvé de me procurer la machine à écrire Olivetti Valentine d’Ettore Sottsass. Et il se trouve qu’elle faisait partie de la sélection. N’étant pas à Londres au moment de la vente, j’avais donné de l’argent à un ami pour qu’il puisse me l’acheter. Malheureusement pour moi, elle s’est vendue le triple. »

Secundo : le design, qu’il qualifie comme une forme « d’éducation » pour lui-même. À travers ses créations, il tente de se rapprocher de la notion d’universalité : « Quand on fait du design, il faut que l’objet que l’on crée soit compris de tous, sans que l’on ai besoin d’en expliquer le fonctionnement, et tout ça malgré les différences de culture. Lorsqu’ils achètent, les gens ne veulent pas sentir une distance avec l’objet. » Si ses pièces ont des allures futuristes, sa vision sonne davantage comme un retour en arrière, vers un design plus simple, plus sobre, sans marque et marketing : « Quelque chose de plus honnête, finalement, de moins prétentieux. » Cette envie d’absence de logo, il l’explique également avec la notion d’identification : « Tu dois pouvoir savoir si la voiture qu’il y a de l’autre côté de la rue est une Porsche, sans avoir besoin de traverser. » Une vision contradictoire dans laquelle s’opposent passé et futur, deux temporalités aux besoins bien différents. Tandis que l’une prône la survie et le développement de l’espèce humaine, l’autre veille à sa conservation.

Tertio : la nature. Cette notion se rattache à un principe qu’il a baptisé « l’organisme essentiel ». Avec des techniques bien spécifiques – imprimantes 3D ou pattern – il reproduit dans les objets qu’il crée certains comportements de la nature. Un principe qui va de pair avec le fat-free, qui consiste à enlever la matière là où elle n’est pas nécessaire, permettant ainsi d’en économiser. « C’est un petit peu compliqué à comprendre. Le meilleur exemple est la Supernatural Chair. Imaginez que vous versez du liquide sur une forme de chaise : la matière ne va pas aller partout, il va y avoir des trous. C’est exactement ce que l’on essaye de reproduire. »

Mais c’est avec sa Capsule Alpine, installée dans les Alpes italiennes, qu’il signe son plus bel hommage à la nature. Cette sorte de petit igloo en acrylique, qui offre à l’intérieur une vue à 360°, se fond complètement dans le paysage : ses parois reflètent l’environnement, alpin comme son nom l’indique, au point que l’on en oublierait presque sa présence. « Je souhaiterais pouvoir adapter le concept ailleurs. Cela pourrait être une cabane en bois dans une forêt tropicale par exemple. J’aime l’idée de m’adapter aux lieux et aux environnements. »

Des collaborations hétérogènes

En 2006, il dessine la bouteille de la fragrance Essence de Narciso Rodriguez : « La plus grande tristesse d’une femme, c’est de voir son flacon de parfum se vider. Comme une évidence, j’ai voulu le rendre opaque. Ainsi, dans leur imaginaire, il n’est jamais vide. Un objet comme ça, ça se garde. Enfin, je l’espère. Je suis fatigué de cette société où l’on jette tout, les objets comme les gens. » Ross Lovegrove qualifie ce genre de produits « d’innovations logiques ». Dans l’hypothèse où l’une de ses collaborations ne marcherait pas, il dit n’avoir « rien à perdre ». Une stratégie qu’il ne s’est pas gêné d’expliquer, notamment au président de Japan Airlines. Si succès il y a, alors l’entreprise pourra dire qu’elle a travaillé main dans la main avec « ce super designer anglais ». Si cela ne marche pas, elle pourra toujours remettre la faute sur « ce mec complètement nul de Londres ».

Tout au long de sa carrière, il travaillera pour de grandes marques, reconnues à l’international – Apple, Sony ou encore Renault. Plusieurs d’entres elles pouvaient avoir des convictions environnementales qui se confrontaient avec les siennes : « J’essaye toujours de trouver une signification dans chaque objet, ce qui prend parfois du temps et de l’alignement culturel avec la marque. Je fais de mon mieux pour, à mon échelle, tenter de changer la vision que les gens ont sur le design écologique. »

Pour sa dernière collaboration, il revisite la bouteille Mumm (à l’occasion des 140 ans de Cordon Rouge, leur cuvée emblématique), et n’hésite pas à la rendre plus légère, pour utiliser une quantité de verre moins importante. L’étiquette quant à elle a été retirée, pour éviter la colle, qui, en plus d’être toxique, est aussi très lourde. Le cordon rouge mythique – en référence à la légion d’honneur – de la maison a donc été creusé directement dans la bouteille : cela rend la prise en main optimale grâce à une ergonomie bien pensée.

Bientôt, une centaine de ses créations seront agencées dans la galerie 3 du Centre Georges Pompidou, spécialement dédiée à son travail à l’occasion d’une exposition. Cette dernière ressemblera davantage à une expérience artistique qu’à une rétrospective, et gravitera autour de la notion d’ADN qu’il affectionne tout particulièrement. L’inauguration aura lieu en avril 2017 : l’occasion de rencontrer l’homme qui se cache derrière l’artiste et d’avoir, peut-être, la chance de retrouver ses mains dessinées dans l’un de ses fameux cahiers de notes.

Ross Lovegrove, Convergence – Du 12 avril au 3 juillet 2017, au Centre Georges Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris

Auteure : Alexane PELISSOU pour http://www.vanityfair.fr/


Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s !

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