Fini l’épuré, vive les fleurs, les figures géométriques, le trompe-l’œil… Chez Kartell comme chez Ikea, on prend fait et cause pour le motif.
Dans le film culte Le Père Noël est une ordure (1982), le personnage de Pierre Mortez se confond avec le sofa sur lequel il est allongé, fait du même tweed que son costume. Cet automne, c’est l’italien Kartell qui propose d’assortir son canapé ou ses coussins à sa robe… Cette mini-collection est le fruit d’une collaboration avec la marque de mode milanaise La Double J. La chaise Clap, dessinée par Patricia Urquiola, le fauteuil Madame et la table Tip Top, conçues par Philippe Starck, le lit transformable Trix, dessiné par Piero Lissoni, ou le petit chevet Componibili, conçu par Anna Castelli Ferrieri… sont ainsi habillés d’imprimés bigarrés et pop, datant de 1950 à 1970, que La Double J a puisés dans les archives de Mantero, le célèbre soyeux de Côme.
Véronique LORELLE pour Le Monde
… Ceci est un article deDans la boutique parisienne de Kartell, Lorenza Luti, directrice marketing et petite-fille du fondateur de l’entreprise italienne, parade elle-même vêtue d’une longue robe imprimée d’un patchwork aux couleurs acidulées. « Cette série limitée d’objets habillés vintage est l’occasion de faire entrer nos meubles dans les boutiques de mode, mais aussi de leur donner un cachet unique : ils peuvent être customisés par nos clients », explique la belle Italienne qui se fond dans son mobilier habillé de la même étoffe. Plus étonnant, Ikea célèbre cet hiver un « kitsch dépareillé et rétro » avec, dans ses rayons, une déferlante de fleurs XXL et de carreaux écossais, sur les rideaux, les housses de fauteuil et les abat-jour. Un style cosy et chargé, allègrement plus victorien que suédois…
Plus de folie
Les imprimés font ainsi un retour en force dans la décoration. Ce que confirme l’exposition du VIA (Valorisation de l’innovation dans l’ameublement), jusqu’au 4 décembre, à Paris. Sous le titre « Motifs All Over », elle propose – avec le commissariat de l’agence de conseil NellyRodi et une scénographie de Döppel Studio – une vision à 360 degrés du motif dans l’ameublement.
« Nous nous sommes intéressés à toutes les formes de ce renouveau, explique Pierre-Edouard Martial, directeur du département « maison » de NellyRodi. Le motif floral, autrefois sage, pastel, revient dans une expression baroque, une forme d’opulence, que l’on retrouve dans la mode avec Alessandro Michele, chez Gucci, comme dans la maison avec Vincent Darré. Mais on peut aussi créer des motifs par la géométrie ou encore obtenir des effets grâce à des matériaux innovants qui interagissent avec la chaleur du corps humain, par exemple, créant par endroits lumières ou brillances. »
Fini l’hégémonie des murs blancs ou du style nordique. « Les gens plébiscitent plus de chaleur dans les matières – tissu, tenture, tapis… –, plus de folie dans les dessins et les couleurs. On sort du meuble consumériste des années 2000 pour emprunter un chemin plus personnel, la quête de la différence, la recherche du coup de cœur », analyse Jean-Paul Bath, directeur général du VIA, devant cette fresque aux fleurs gourmandes, comme palpables, de l’artiste graffeur Julien Colombier, celui-là même qui a tatoué, en 2017, le sol du patio de l’Hôtel Bienvenue, à Paris, d’un kaléidoscope en Technicolor.
Femmes nues sur papier peint
Tout d’abord, l’exposition montre l’invasion des formes florales ou géométriques, parfois flamboyantes, des vêtements aux tapisseries. Là, rien de vraiment neuf, l’Art nouveau s’inspirait déjà du règne végétal, et Sonia Delaunay (1885-1979) de l’art abstrait. Ce qui l’est davantage, c’est la présence du dessin, incontournable aujourd’hui, des tissus jusqu’à la structure même du mobilier. Proche du trompe-l’œil, les mille yeux bleus écarquillés, répétés à l’infini sur un tapis conçu par Florian Pretet (Atelier Février), fixent le spectateur jusqu’à l’hypnose. L’esprit de Jean Cocteau s’est invité dans ces esquisses à la plume de l’actrice Louise Bourgoin, dont les femmes nues dansent pensives et lascives sur le papier peint de Pierre Frey. Ou encore sur ces tasses en grès, ornées de différentes formes de mains, dessinées d’un trait fin par Lou Doillon pour Astier de Villatte.
Certains meubles forment à eux seuls une calligraphie, comme ce fauteuil Trame, en fil d’acier, tracé à coups de pinceau dans l’espace, cette étagère Loop d’Amandine Chhor (tous deux chez Petite Friture), ou cette suspension en métal Papillon d’Elise Fouin, qui se découpe gracieusement sur l’horizon. Une génération d’objets poétiques, façon ossature nue, à laquelle Constance Guisset a ouvert la voie avec sa célèbre suspension Vertigo (2010).
« En 2018, on note aussi le retour du motif manifeste, comme dans les défilés Dior avec ces tee-shirts à slogans de Maria Grazia Chiuri, ou dans le design, avec cette chaise – une copie de Jean Prouvé – emballée par le studio 5.5 d’un scotch vermillon pour dénoncer la contrefaçon », explique Pierre-Edouard Martial. Autre exemple : les tapis pour Ikea de Virgil Abloh, fondateur de la marque Off-White et directeur artistique des collections hommes de Louis Vuitton, sur lesquels on peut lire « Wet Grass », « Keep Off », « Blue » ou « Still Loading ». Avec ce cri de ralliement, le styliste entend « donner vie à des objets anonymes, ces icônes du quotidien que l’on utilise sans même y prendre garde ». Les quelques exemplaires vendus une centaine d’euros pendant la semaine de la mode parisienne – avant-goût de la collection Markerad, qui sera lancée à l’automne 2019 – se négocient dix fois le prix sur les sites de revente. Signe que les slogans frappent fort. Comme des œuvres d’art conceptuelles…
« Motifs All Over », jusqu’au 4 décembre, galerie VIA, 120, avenue Ledru-Rollin, Paris 11e. Entrée libre, du lundi au vendredi, de 9 h 30 à 18 heures.
- Auteur de l’article : Véronique LORELLE
- Source de l’article : https://www.lemonde.fr/
- Lien vers l’article source !
Vignette de l’article : Fauteuils Clap de Patricia Urquiola, revisités par La Double J. Kartell
Cet article a été sélectionné par designer.s dans le cadre de sa veille éditoriale et intégré à sa revue de presse européenne francophone !
Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s :
***** Exceptionnel, pépite
**** Très intéressant et/ou focus
*** Intéressant
** Faible, approximatif
* Mauvais, très critiquable
(i) . Informatif