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Design : au bureau comme à la maison !

Ouvrez, ouvrez les portes des sièges sociaux ! Regardez-les s’envoler c’est beau ! Les lieux de travail se transforment et s’humanisent. Peut-être trop d’ailleurs…

Le visiteur du soir aurait presque tendance à demander la clé de sa chambre tant le hall d’accueil ressemble à celui d’un hôtel de luxe. Ces deux superbes tours de verre de 105 mètres de hauteur, situées à Utrecht aux Pays-Bas, n’abritent toutefois pas le dernier palace de la ville, mais les bureaux de Rabobank. Cet établissement financier néerlandais a mis les petits plats dans les grands pour satisfaire les 6 500 salariés de son nouveau siège social. Derrière les portes d’entrée du bâtiment, quatre charmantes demoiselles tirées à quatre épingles comme des hôtesses de l’air de Singapore Airlines attendent les visiteurs.

L’expérience au service du travail

Les salariés sont au dilemme, car ils doivent, eux aussi, s’enregistrer auprès de leurs jolies collègues pour savoir… où aller travailler. Car dans ce lieu qui abrite notamment un atrium haut de quatre étages, où sont plantés des arbres irrigués par l’eau de pluie, les postes de travail fixes ont été supprimés. Ni plus ni moins. Ce concept baptisé « Rabo Unplugged » a été testé avec succès dans une ancienne filiale du groupe. L’idée est de permettre aux collaborateurs de travailler là où ils sont le plus utiles à un moment donné. Des salles constellées de profonds canapés, des tables rondes ou rectangulaires de tailles diverses et variées, une quiet room où sont prohibés téléphones portables et usage de la parole… Ce siège social comprend de nombreux univers censés satisfaire les besoins et les habitudes de travail de tous les salariés.

À chaque étage, de la nourriture est également disponible gratuitement. La lumière naturelle est omniprésente et de nombreux espaces, y compris des murs richement décorés de plusieurs mètres de hauteur, sont fabriqués à partir de cartons d’emballage. Ce projet se veut en effet aussi durable. 98 % des matériaux issus de la démolition de l’ancien siège de Rabobank ont été réutilisés. « Ces bureaux sont une véritable tuerie », s’émerveille le patron d’une agence de brand management parisienne en « pèlerinage » à Utrecht pour trouver des idées à adapter au marché français. Car, avouons-le, nos entreprises sont encore très peu nombreuses à utiliser le design pour améliorer le quotidien de leurs employés.

Bureau or not bureau

« Si, en Scandinavie, les sociétés cherchent souvent à créer des lieux de travail dans lesquels leurs salariés se sentent bien, ce souci est encore très peu présent dans l’esprit des dirigeants en France », résume Sébastien Poirel, le gérant de l’agence de design Evok basée près de Nancy. Les multinationales parisiennes sont aussi en retard dans ce domaine. « Il n’existe chez nous aucune démarche globale concernant l’amélioration de l’aménagement des espaces de travail, avoue Karine Buisson-Caillard, la Global Brand Design Manager de Citroën. Ce paramètre n’est pas ancré dans les mentalités en France, car beaucoup voient encore cela comme un luxe… surtout dans la période actuelle où les entreprises ont tant de soucis. Mais une évolution va très vite se produire dans notre pays. » La présidente de l’Institut français du design Anne-Marie Sargueil le confirme : « Une plus grande importance est donnée au confort de vie des collaborateurs. Cette préoccupation commence à se développer. » Mieux vaut tard que jamais…

Les raisons de ce phénomène sont avant tout culturelles. « Nous sommes un vieux pays qui a été riche pendant trop longtemps, explique Anne-Marie Sargueil. Les dirigeants ont pris l’habitude de s’enfermer dans des tours d’ivoire et ils ont aujourd’hui du mal à organiser différemment leurs espaces de travail », en encourageant notamment la disparition des « bureaux de direction » pour les remplacer par des lieux ouverts à tous et à toutes… Certaines compagnies ont toutefois commencé à franchir ce Rubicon managérial.

La plupart des start-up, surtout celles spécialisées dans les NTIC et Internet, ont abattu depuis longtemps les cloisons qui compartimentaient artificiellement leurs espaces de travail. « Le bâtiment que nous avons imaginé en 2006 est éco-conçu, décrit Sébastien Poirel. Nous voulions que cet espace ressemble à un loft afin que les salariés se sentent ici comme à la maison. En étant bien au bureau, ils s’approprient leur lieu de travail. Et même si beaucoup de gens pensent le contraire, beaucoup d’éléments de confort ne coûtent pas forcément chers… »

Verger, rondelles de citron, bien-être

Certains grands groupes commencent, eux aussi, à suivre ce modèle. Le nouveau siège du Crédit Agricole à Montrouge a été imaginé pour améliorer le quotidien des 9 000 personnes qui y travailleront dès 2015. Construit sur le site d’une ancienne usine de Schlumberger dans le sud de la banlieue parisienne, Evergreen abrite crèches, club de sport et médiathèque. La conciergerie offre, elle, des services de pressing et de cordonnerie, ainsi qu’une aide pour des démarches administratives, comme l’obtention de visas. Longtemps cloîtrés dans des bureaux alignés le long d’interminables couloirs au sein de l’immeuble de Montparnasse qui les accueillait, les salariés de la banque verte se rencontrent désormais à longueur de journée dans cet espace imaginé comme un campus. Entre deux parties de billard et de minigolf, les employés peuvent consulter un dossier sur leur ordinateur grâce au wifi qui couvre l’ensemble du bâtiment. De nombreuses salles de réunion, toutes différentes les unes des autres, ont aussi été imaginées par les architectes.

Le Crédit Agricole n’est pas le seul et unique exemple de ce type dans l’Hexagone. Dans son nouveau siège social à Issy-les-Moulineaux, Coca-Cola Entreprise a ainsi installé un « verger » de 40 m2. Des troncs d’arbres supportant des tablettes en forme de rondelles de citron et d’orange servent de mange-debout pour les salariés qui foulent des allées de gazon pour atteindre ces sièges de massage à disposition. Ces espaces de convivialité sont très importants, car des études montrent que 80 % des échanges qui s’y tiennent sont de nature professionnelle. La discussion à côté de la machine à café est remplacée par l’échange d’idées avec un putt dans la main… Pour les plus « paresseux », la société d’infogérance Linkbynet a construit une salle de réunion, baptisée Paradise Room, équipée d’un… hamac. Les plus téméraires peuvent, quant à eux, descendre trois étages en empruntant un toboggan en colimaçon de 7 mètres de haut. Un graffeur s’est chargé de décorer les cages d’escalier pour leur donner un look de campus, et un énorme aquarium donne un peu de vie à une grande salle de réunion. Ici, d’anciennes télécabines de l’Alpe d’Huez ont été recyclées en labo pour les ingénieurs amateurs de babyfoot ou de piano, entre deux sandwiches avalés à la cafétéria…

L’entreprise qui cajole

Ces charmantes « petites attentions » envers le personnel ne sont pas dénuées d’arrière-pensées. « Les dirigeants d’entreprise cherchent de plus en plus à ce que leurs salariés se sentent bien au travail » constate Martin Piot, le directeur général de l’agence W. Cette préoccupation, qui devient une tendance de fond en France, permet en effet de favoriser l’efficacité des employés, de les fidéliser et de recruter plus facilement de nouveaux talents.

Les jeunes sont fascinés par les start-up et les structures courtes qui stimulent l’esprit entrepreneurial, et les grands groupes ont du mal à rivaliser avec ces PME. De plus en plus d’entreprises commencent donc à réfléchir aux moyens d’améliorer le quotidien de leurs collaborateurs, qui passent de plus en plus de temps au bureau. Mais à force de vouloir aider leurs employés à se sentir « bien au boulot », et en réduisant sans cesse les frontières entre la vie professionnelle et la sphère privée de leurs personnels, les dirigeants prennent le risque d’être accusés de paternalisme.

L’entreprise « à la papa » commence ainsi à connaître une seconde naissance. Le siège de Google aux Pays-Bas peut ainsi faire rêver ou faire peur, c’est selon… « La société a mis en place des programmes pour encourager les salariés à arrêter de fumer, et les personnes en surpoids ont des coaches à leur disposition pour les aider à maigrir, explique un client de la firme, un rien apeuré. » Les collaborateurs rentrent chez eux le soir avec un panier de produits sains sous le bras, et les meilleurs sont récompensés par des massages chaque fin de semaine. La nourriture sur le site est aussi gratuite, mais on n’a pas accès à un Coca-Cola ou à des frites. Il y a un côté assez effrayant dans cette volonté de contrôle du groupe. Chez Google, on est « googleur » ou rien. En imaginant des designs très sympas pour des bureaux, le risque est de créer des lieux de vie où les collaborateurs sont incités à être « libres » et « heureux » selon le modèle imaginé par leurs employeurs. Mais la liberté et le bonheur ne sont-ils pas avant tout le fruit de choix personnels ?

Author : Frédéric THERIN pour http://www.influencia.net/fr

Vignette de l’image : Illustration Elise Enjalbert

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