Ancien directeur de Publicis Conseil et co-fondateur de Supper, Pierre Desangles est spécialisé dans le design thinking, une approche au cœur des enjeux de transformation des entreprises qui vise à replacer l’humain au centre de l’innovation et de la stratégie.
Quelle a été votre motivation pour co-fonder Supper ?
Nous sommes cinq co-fondateurs, entre 45 et 50 ans, qui avons accompagné pendant près de 25 ans des directeurs marketings, de l’innovation, et des DG dans des grandes boites. Autant de profils qui nous ont exprimé des besoins de changement que nous avons vus en 2015 comme l’opportunité de se lancer dans la création de Supper autour du design thinking. Nous accompagnons des grands groupes (ceux du SBF120 et nos clients sont par exemple Intermarché, LVMH, Pierre & Vacances…) sur des solutions business basées sur le design thinking. Une approche depuis peu au cœur des enjeux de transformation des entreprises.
Comment définissez-vous le design thinking ?
Le design thinking, ou human center design, repose sur une méthode d’empathie et d’observation des personnes. Nous travaillons avec des ethnologues et des « business anthropologues », à savoir avec des gens formés aux sciences sociales qui savent écouter et observer les comportements pour en dégager des « irritants », des insights. Le design thinking, c’est comprendre en profondeur les besoins des utilisateurs et mettre en place des méthodologies de créativité et de prototypage visant à concevoir et à déployer des solutions centrées sur le consommateur.
Souvent, nous pensons comprendre les problématiques des entreprises en posant des questions aux dirigeants et en écoutant leurs réponses. Depuis des décennies, le monde de l’entreprise s’est construit autour d’études qui reposent sur des questionnements et les solutions émanant de ce type de démarches ont des limites. Chez Supper, nous trouvons plus fiable de partir de l’écoute que de résultats d’études pour entamer un processus créatif à l’origine de solutions. Cela favorise des process d’innovation à même de recréer de la valeur durable pour les entreprises et les marques. Nous avons vu beaucoup d’entreprises se perdre dans l’innovation quand elles partaient de données technologiques, lesquelles nécessitent d’être souvent réactualisées. Alors que si l’on part du client, de l’humain, de l’utilisateur : c’est plus durable. ça ne se change pas tous les quatre mois.
Quelle place occupe la notion de « customer centric » dans la stratégie d’innovation ?
Elle est centrale. Le grand défi des entreprises est d’innover sous peine d’être dépassées. Les règles du jeu ont changé. La nouvelle économie qu’illustrent des start up comme Alibaba, Uber, Amazon, Airbnb sont plus nativement centrées sur l’utilisateur que nativement digitale. Dans leur business model, elles sont d’abord parties du service qu’elles ont ensuite monétisé… Elles ont mis le consommateur au cœur de leur stratégie d’entreprise, en offrant une proposition de valeur résolument centrée sur le consommateur, « customer centric ». Les entreprises nouvelles, dites technologiques, celles qui trustent aujourd’hui les niveaux de valorisation et d’influence les plus élevés, se revendiquent toutes de la culture du « Customer Centric».
Les entreprises qui pratiquent réellement et nativement la « Customer Centricity » sont plus performantes que les autres. Parce qu’il incarne aussi la valeur ancestrale du commerce traditionnel (« client first »), l’humain devient l’opportunité pour libérer le potentiel de l’entreprise. Dès lors, tout le jeu consiste à l’observer, l’écouter, le traquer afin de le connaître et de le comprendre pour créer les services et adapter les moyens marketing à sa vie et non plus à essayer de faire l’inverse.
Pouvez-vous donner des exemples d’accompagnement que Supper a réalisés ?
Avec un laboratoire, dont un médicament phare est tombé dans le générique, nous avons développé un abonnement à un service personnalisé pour le client qui va lui permettre de mieux vivre sa maladie : conseils nutrition, activités physiques personnalisées… Cette offre de services est un nouveau business model où le laboratoire ne gagne plus d’argent sur la marge d’un produit mais sur une base de données clients abonnée, fidélisée, qu’il peut entretenir dans la durée. Le contact direct avec le client devient sa matière première, et le service, ce qui va donner une valeur ajoutée et durable à l’entreprise.
Que favorise l’étude « anthropocentrique » du contexte d’utilisation d’un service ou d’un produit ?
Cela permet d’orienter sa conception, son design vers la pertinence de l’expérience et de rétablir une relation honnête et respectueuse avec des clients considérés à nouveau comme des individus. C’est en s’appuyant sur des qualités bien humaines comme l’empathie, le discernement, la subtilité, l’émotion que les candidats à la transformation digitale tireront le meilleur profit de leurs actifs véritables : leur capital humain, leurs valeurs, leur propriété intellectuelle, leurs connaissances clients, leur écosystème étendu. Moteur du changement au sein des entreprises, l’orientation client transforme la pratique du marketing et de la communication, en apportant des preuves plus que des promesses. Une opportunité à saisir pour également réduire les budgets d’investissement.
Mettre le client au cœur de la stratégie impose-t-il aux entreprises « plus anciennes » de revoir leur organisation, et de se réinventer pour travailler autrement ?
Les entreprises plus anciennes qui doivent changer, s’adapter ou transformer leur modèle prennent conscience plus lentement que le facteur humain, externe ou interne, est essentiel. Cette prise de conscience est souvent ralentie du fait de l’existence de nombreuses initiatives : les études, les RH, le service conso, les chargés de clientèle, la mesure de la satisfaction client, le CRM, les bases de données… qui donnent l’illusion d’avoir déjà placé l’Homme au cœur.
Sans compréhension au niveau des comités de direction que ces initiatives, certes indispensables, ne sont au mieux que des béquilles, les voies de la transformation risquent d’être escarpées et sinueuses pour certaines. Derrière les transformations réussies se cachent souvent des réorientations profondes des méthodes autour de la priorité client. Dans le cas de La Fnac par exemple, la vision client déployée par Alexandre Bompard est devenue le filtre de toutes les décisions ayant abouti au redressement spectaculaire de l’enseigne : direction commerciale unique, stratégie omnicanale…
Quelles difficultés rencontrez-vous dans l’accompagnement que vous faites auprès des grands groupes ?
Le mindset ! Les grandes entreprises ont plusieurs décennies, sont plutôt grandes et successfull, et tout les pousse à continuer comme elles faisaient avant. L’enjeu est donc de les faire changer d’état d’esprit et d’adopter une autre vision. Avec nos pilotes, nous leur apportons des preuves que la transformation est possible. Puis nous aidons ces entreprises à piloter elles-mêmes ces pilotes. Ce pourquoi nous avons déployé deux offres chez Supper : une formation en design thinking appliqué à l’innovation et à la croissance durable, ainsi qu’une offre de conseil pour conseiller les comex sur les organisations à mettre en place.
Selon vous, l’empathie client peut être traduite en KPI financier : pouvez-vous détailler ?
Et si un faible investissement en marketing communication devenait un témoin de performance durable ? Et si le ratio investissement en marketing-com sur performance commerciale -croissance du parc clients, croissance du CA- devenait un KPI transformatif (KTI) ? Et que la Bourse retenait cet indicateur pour trier les entreprises mutantes de celles qui seront bientôt sortantes ? Les acteurs « à l’ancienne » doivent redécouvrir que la qualité du produit ou du service est facteur d’économie de budget marketing, comme il est acquis qu’une grande idée de création publicitaire est facteur d’économie de budget média.
Les acteurs de l’économie dite ancienne doivent réaffecter leurs moyens et leur attention en adoptant la client-centricity, sésame des nouveaux gisements de valeur. Nous sommes entrés dans l’ère de la preuve qui supplante 50 ans de culture marketing établie sur les notions de promesse. Dès lors, dans cet écosystème irréversiblement client-centric, la pertinence, c’est-à-dire la justesse, l’intelligence, l’opportunité, la précision, la personnalisation et la qualité de l’offre, s’impose en valeur étalon des échanges et transactions.
Propos recueillis par Pauline Garaude pour Forbes
Vignette de l’article : Pierre Desangles co-founder Supper
Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s !
***** Exceptionnel, pépite
**** Très intéressant et/ou focus :
Le design thinking, c’est aussi le design, et vice versa ! Et les meilleurs design thinker sont les designers eux-mêmes !!
*** Intéressant
** Faible, approximatif
* Mauvais, très critiquable
(i) . Informatif