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Disparition de Borek Sipek : le designer dansant

Rendu célèbre par ses lignes ondoyantes et ses objets de verre baroques, le designer tchèque fut aussi l’architecte en chef du Château de Prague. Il avait soixante-six ans.

En simplifiant, on pourrait dire que Borek Sipek était néobaroque. Ce designer Tchèque, qui vient de mourir à 66 ans, était un adepte des lignes dansantes et des matériaux raffinés. Né à Prague, il perd son père à six ans et sa mère à treize. Très jeune, il commence à fabriquer des objets, puis suit des études d’arts appliqués tout en pratiquant le handball. En 1968, parti avec son équipe jouer un match en Allemagne de l’Ouest, il prend la fuite, faussant compagnie à la Tchécoslovaquie communiste. Il s’installe à Hambourg où il apprend l’architecture, tout en s’essayant au théâtre et à la scénographie, puis étudie la philosophie à Stuttgart.

Passionné de théorie, Sipek enseigne le design à Hanovre et à Essen avant de s’installer à Amsterdam. Là, il crée peu à peu un monde proche du fantastique, un monde de meubles aux pieds pointus, aux courbes interrompues brutalement par des arêtes tranchantes. Comme de nombreux designers de sa génération (Garouste et Bonetti, Ron Arad, Philippe Starck), Sipek le rêveur participe ainsi au renouveau des arts décoratifs en abandonnant une logique dite « fonctionnaliste » née dans les années 1920 (la forme suit la fonction) et devenue stérile. « Depuis cinquante ans, on considère la fonction comme une chose fixe alors qu’elle est précisément la chose qu’on n’a pas fini de comprendre, expliquait-il au magazine Intramuros. Elle est comme en mathématiques la place vide à remplir. Un verre ne sert pas à boire, mais à boire d’une certaine manière. »

Héritier d’un Art nouveau à la Gaudi où l’expression du créateur passe avant les contraintes de la machine, Sipek se désintéresse du design industriel, qu’il considère comme un simple emballage pour objets de consommation. Il est tout entier dans sa chaise Bambi (éditée par la galerie Neotù en 1983), aux quatre pieds graciles évoquant la danse et l’apesanteur, et dédiée à sa femme artiste-performer. Pendant quatre mois, il en dessine sans cesse des esquisses jusqu’à trouver l’émotion recherchée. Sipek est également célèbre pour ses vases ou chandeliers en verre coloré et frémissant, un matériau découvert à Prague grâce à une amie dont le père verrier avait fini par être pour lui comme un père adoptif. Du verre soufflé à la bouche, il aime l’incertitude qu’il apporte, son caractère indocile.

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La force intrinsèque des objets

Sipek est enfin un architecte éclectique, que l’on peut classer, si l’on aime les classifications, parmi les postmodernes. Mélangeant des éléments historiques (frontons, colonnes, motifs carrés façon Art nouveau viennois) à un vocabulaire moderniste (façades vitrées), il conçoit des maisons de ville à Apeldoorn aux Pays-Bas, une villa de verre en Allemagne, un magasin à Tokyo, un hall d’exposition Skoda à Wolfsburg… En 1992, après la chute du communisme, le président Vaclav Havel le nomme architecte en chef du château de Prague, où il aménage les cours intérieures.

Sipek croyait à la force intrinsèque des objets. « J’ai retenu deux choses importantes pour moi chez Foucault et chez Lévi-Strauss, racontait-il à Intramuros. Avec Foucault, l’idée d’être tellement souverain et maître de soi qu’on peut se voir de l’intérieur. Avec Lévi-Strauss, tout ce qui touche à la mythologie des objets. L’idée que les objets sont plus forts. Il raconte qu’en Inde, les femmes portent à des moments précis de grands chapeaux, non pas pour se protéger du soleil, mais pour protéger le soleil d’elles. C’est cette force de l’objet qui s’est perdue. On croit aujourd’hui le contraire. Moi je crois aux objets qui ont une propension à “être”. » Un propos toujours actuel.

Author : Xavier De JARCY pour Télérama

Vignette de l’article : Bořek Šípek | foto: Jan Zátorský, MAFRA