Dans une ère où le e-commerce est conquérant et oblige le point de vente à se réinventer, comment le retail français s’adapte t-il face à cette profonde métamorphose. Précisions dans une entretien avec Bertrand Leseigneur, fondateur du cabinet de conseil SoParticular à New York.
Et si le traditionnel shopping du samedi après-midi prenait une couleur totalement différente ? Selon le cahier prospectif sur le futur des magasins, réalisé par Dentsu Aegis et publié dans nos colonnes, il y a quelques semaines, 40% des Français pourraient se passer de magasin physique si le numérique proposait les mêmes services. En parallèle, jamais la demande de service et de conseil physique n’a été aussi forte.
À l’image de leurs équivalents américains, les magasins français doivent se réinventer et passer d’une stratégie de cross-canal à une démarche globale où le digital rejoindrait le physique pour une expérience client optimale et un processus d’achat plus simple, plus personnalisé et plus convivial. Bertrand Leseigneur, un frenchy basé à New York et spécialiste de l’innovation en magasin livre un état des lieux du retail de la Big Apple et l’a comparé au marché français…
INfluencia : en quoi New York est-il un modèle en terme d’innovation en magasin ?
Bertrand Leseigneur : New York est une ville où tout est possible, ce n’est pas une légende. On peut donc aussi tout y tenter. Elle bénéficie de nombreux avantages : un dynamisme extraordinaire, de nombreuses marques présentes intra muros, des innovateurs et des start-up prêts à montrer ce qu’ils savent faire ainsi qu’un nombre de touristes très important qui n’hésitent pas à ouvrir leur portefeuille. Les conditions sont donc remplies pour avoir une vraie guerre des magasins. Le gagnant sera celui qui affichera le meilleur produit, le meilleur prix ou qui saura attirer le client par ses innovations qu’elles soient technologiques ou marketing.
INfluencia : comment imaginer le magasin du futur ?
Bertrand Leseigneur : le magasin du futur partira toujours du besoin du client. L’innovation en elle-même n’a d’intérêt que si elle répond à ce pré requis, que ce soit pour le faire venir en magasin et l’orienter (Beacon) ou pour l’aider à se décider et à payer. Un des grands changements à venir est que le magasin attirera toujours beaucoup de monde, mais va passer du statut d’entrepôt à celui de lieu de vie. Quand on passe du temps dans un magasin de chaussures, on veut pouvoir en sortir avec le produit désiré, à la taille requise. Le stock sur place doit donc être conséquent et permettre de couvrir les principales demandes. Demain, j’irai en magasin pour discuter avec des conseillers clients, prendre un café, essayer les produits qui m’intéressent et partager mes envies avec ma communauté d’amis. Le produit sera livré chez moi, je n’aurai plus à me soucier du nombre de paquets à porter. Le paiement ne se fera plus en caisse, mais directement avec le vendeur qui m’aura conseillé ou renseigné. Le mobile sera donc au cœur du processus. Le magasin sera un lieu de plaisir et de vie.
Un exemple pour illustrer cela : à New York, Jack Erwin a ouvert un magasin de chaussures qui ne vend pas de chaussures. L’idée est de pouvoir les tester, trouver son style, échanger avec les vendeurs et recevoir des conseils « fashion ». Les chaussures une fois choisies seront achetées en magasin en utilisant l’application mobile de la marque, puis livrées chez vous gratuitement. Le magasin Jack Erwin devient un lieu d’échanges, d’essayage et de vie, dans une ambiance qui permet de vendre. Amazon Now développe cette idée avec la livraison en 1 heure dans certaines villes américaines, qui sera sûrement, sous peu, associée à une offre de magasin. De même, les magasins Kate Spade ont déjà testé le concept avec leur magasin du futur dans lequel on peut acheter sur une vitrine tactile et se faire livrer chez soi dans l’heure à New York.
INfluencia : parcours connectés, paiement par mobile, m-couponing… est-ce finalement le digital qui sauve le magasin physique ?
Bertrand Leseigneur : le digital est effectivement un élément qui aide le magasin physique. Mais il ne faut pas se tromper, le magasin physique est bien vivant. Le brick and mortar est toujours essentiel dans 90% du commerce aux États-Unis. Le digital est un outil compétitif pour faire entrer un client dans un magasin par rapport à son concurrent et les outils mobiles permettent surtout de faciliter le parcours du client en magasin grâce aux outils de mapping, de paiement ou tout simplement pour se renseigner sans attendre la présence d’un vendeur. Le digital est donc un outil au service du magasin, qui s’intègre dans l’expérience client.
INfluencia : selon une étude Dentsu Aegis, 91% des Français sont en attente d’innovations fortes. Comment expliquer le retard de la France ?
Bertrand Leseigneur : la France n’a pas de retard en termes d’innovations. Les Américains reconnaissent le talent de nos ingénieurs. Les start-up en France prennent une place de plus en plus importante et l’envie de créer et d’innover est là. Cependant, les magasins américains ont besoin d’innover pour attirer une clientèle toujours prête à dépenser, mais qui a aussi un énorme choix en termes de marques et de lieux d’achats.
La technologie devient donc un facteur différenciant tout comme l’accueil en magasin. La prise de risque doit alors être plus importante pour atteindre ce client. La chaîne de magasins Sears vient par exemple de lancer, en partenariat avec Google un système de publicité mobile très intéressant : si je cherche un produit sur mon smartphone, Google m’indiquera directement si le produit est disponible dans le magasin Sears le plus proche du lieu dans lequel je me trouve actuellement. La fréquentation en magasin a augmenté de 122% selon Sears depuis le début de cette campagne. Sears a bien sûr dû prendre le risque de partager ses informations d’inventaire sur ses 1240 magasins avec Google pour cela, mais le résultat est là.
L’innovation peut aussi venir des services proposés : dans cette même étude, les Français réclament la possibilité de tester un produit avant de l’acheter. C’est une tendance importante déjà aux États-Unis. Dans un de ses magasins, SONY propose, par exemple, une Playstation Lounge dans lequel les fans de jeux peuvent tester les nouvelles consoles ou les nouveaux jeux sans contraintes.
INfluencia : comment les dirigeants français peuvent-ils envisager ces innovations ?
Bertrand Leseigneur : il ne faut pas hésiter à essayer. Google offre la majorité de ses produits en version Beta depuis des années. Pourquoi ne pas tenter d’innover en Beta en magasin en proposant des services qui permettront de se démarquer des concurrents.
INfluencia : quelles sont leurs demandes et leurs réactions face aux innovations en magasin que vous leur faites découvrir ?
Bertrand Leseigneur : depuis que j’organise ces visites de magasins innovants avec une présentation par un intervenant du magasin ou de la marque, je remarque que mes clients sont en attente de retour d’expérience. Ils veulent savoir si telle technologie mobile est utilisée par le consommateur, si telle initiative de design a eu un impact sur le comportement d’achat. Ces dirigeants connaissent les innovations qui sont actuellement utilisées en magasin, mais souvent seulement au travers de rapports de veille ou par leur propre curiosité. Le grand changement est de pouvoir concrètement voir comment ces technologies sont utilisées et leur impact sur le comportement d’achat ou sur le temps passé en magasin.
Les réactions de mes clients sont variées : certains sont étonnés d’être accueillis en magasin, car ils n’imaginent pas forcément pouvoir faire la même chose en France. Les Américains sont très souvent prêts à montrer ce qu’ils font et à le partager, ce qui n’est pas forcément le cas ailleurs. D’autres sont rassurés dans leur envie d’intégrer plus de technologie en magasin après leurs visites. Enfin, il arrive souvent que plus que la technologie, ce soit le type d’offre et le design qui intéressent ces dirigeants. Un magasin comme « The Container Store » a par exemple beaucoup intéressé l’un d’eux, pas seulement pour leur offre de « Click and Collect », mais surtout pour la variété des produits proposés et le design agréable du magasin qui permettent de voir un large éventail de produits tout en offrant la place nécessaire pour circuler dans les rayons.
INfluencia : le magasin est-il finalement amené à devenir une vraie marque propre ?
Un de mes magasins préférés à New York est « Normal » qui représente tout ce que je recherche actuellement. À l’origine, cette société aurait dû être un pure player Internet qui propose des écouteurs faits sur mesure grâce à des imprimantes 3D. C’est donc le lieu de vente, le lieu de fabrication de ces écouteurs, le lieu de travail de toute l’équipe et le lieu où se trouve la chaîne de fabrication des produits. Ces écouteurs sont ensuite envoyés aux clients à leur domicile ou récupérés en magasin. Chaque produit acheté est accompagné d’une boîte sur laquelle est gravé le nom de l’acheteur. De plus, il reçoit une petite note le remerciant de son achat, signée de la main de la personne qui a préparé la commande.
Le magasin devient donc ce lieu unique dans lequel toute l’activité est concentrée : la création, la fabrication, l’accueil du client, la préparation des commandes. Demain nous n’irons plus simplement acheter des écouteurs pour notre lecteur Mp3, on ira au Normal, car il représentera un produit, un lieu, un design et un service.
Author : INfluencia