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Innovation : quand les robots vont remplacer les hommes

[…] LIVRE – Le Deuxième Age de la Machine de Erik Brynjolfosson et Andrew McAfee paraît en français aux éditions Odile Jacob. Les auteurs posent la question de savoir quelle place il reste pour l’humain à l’heure des machines intelligentes. L’analyse de David Lacombled.

Avant l’été, les affrontements entre les taxis parisiens et Uber – en imposant au passage le mot «ubérisation» dans tous les journaux – ont fait émerger de façon spectaculaire la question des relations entre digital et emploi. Pour certains, des liaisons dangereuses qui détruisent de façon irréversible tous les secteurs de l’économie. Pour d’autres, après un temps d’ajustement, ce sera l’embellie et le numérique va libérer des emplois en abondance. Qui croire?

Pour y voir plus clair dans ce débat complexe où se mêlent souvent intérêts corporatistes et schématisation, il est conseillé de lire Le Deuxième Age de la machine de Erik Brynjolfosson et Andrew McAfee qui paraît en français aux éditions Odile Jacob. Ce sont deux chercheurs du Massachusetts Institute of Technology dont l’ouvrage fait déjà référence aux Etats-Unis. Le livre traite de l’impact des innovations technologiques sur l’emploi. En offrant une perspective large – «the big picture» comme disent les Anglo-saxons – en scrutant les toutes dernières avancées en matière d’innovations (notamment en robotique ou en intelligence artificielle) tout en les inscrivant dans le temps long et les différents contextes sociologiques, économiques et même politiques.


La thèse du livre est que nous sommes entrés de plain-pied dans le deuxième âge de la machine. Le digital bouleverse tous les pans de notre industrie comme l’avaient fait la vapeur et l’électricité pour le premier âge de la machine (la Révolution industrielle) au début du XVIIIème siècle. Mais avec une différence notable: si dans le premier âge, la progression était mécanique, dans le deuxième âge, la progression est exponentielle, digitale et combinatoire. En d’autres termes infinie. A l’instar de la loi de Moore – qui observe que la «puissance numérique» double tous les deux ans – les progrès évoluent eux aussi de façon exponentielle. Sky is the limit… Pour les auteurs, nous n’en sommes qu’aux balbutiements. La réalité ne dépasse pas seulement la fiction. Aujourd’hui elle dépasse aussi la science-fiction. Ce qui paraissait purement inimaginable il y a dix ans ou même cinq ans en matière d’intelligence artificielle ou de robotique est aujourd’hui réalisable.

Ce n’est donc pas seulement une différence de degré qui sépare le premier et le deuxième âge mais une différence de nature. Dans le premier âge, chaque invention successive produisait plus de puissance, mais requérait toujours de l’être humain qu’il prenne les décisions. La machine était un prolongement du muscle humain. En conséquence, le travail humain et les machines étaient complémentaires. La tête et les jambes en somme. Dans le deuxième âge, l’automatisation de tâches cognitives et de systèmes de contrôles devient possible au point que certaines machines se révèlent capables de prendre de meilleures décisions que des humains. Dans cette configuration on voit bien que les machines – c’est-à-dire les robots – ne sont plus de simples compléments, mais peuvent être des substituts. Hier, Deep Blue d’IBM a battu Kasparov, aujourd’hui le superordinateur Watson d’IBM peut battre n’importe quel humain au jeu télévisé Jeopardy!

Avec une conséquence non négligeable: si le premier âge de la machine a détruit des emplois, il en a fait émerger de nouveaux. C’est le fameux postulat de la «destruction créatrice». Pour les auteurs rien ne dit que le postulat fonctionnera encore à l’avenir: du fait même de la logique de substitution les destructions d’emplois liées au numérique seront-elles toujours compensées par de nouvelles créations dans le futur? Selon les auteurs, rien ne permet de le prouver sinon l’idée que «c’était comme cela avant».

Pour illustrer cette logique de substitution, Brynjolfsson et McAfee citent les exemples d’Instagram et de Kodak. Instagram cette «simple» application qui a permis à plus de 130 millions de personnes d’échanger quelque 16 milliards de photos… Après 15 mois d’existence, Instagram a été vendue à Facebook pour un milliard de dollars. C’est à peu près à ce moment-là que Kodak faisait faillite. Un chassé-croisé qui illustre l’ambivalence du deuxième âge de la machine. D’un côté, «l’abondance»: la valeur d’Instagram atteint plusieurs fois la valorisation d’Eastman Kodak à son apogée, générant au passage plusieurs milliardaires avec un profit dix fois supérieur à celui de George Eastman. Et de l’autre côté, «l’inégalité»: car si Instagram a créé une classe de riches entrepreneurs et investisseurs, elle n’emploie que 4 600 salariés là où Kodak, à l’époque de sa splendeur en employait plus de 145 000 en majorité issus des classes moyennes.

Les auteurs font un constat lucide sur ce deuxième âge de la machine. Ils soulignent sa dualité intrinsèque: des innovations fabuleuses qui profitent à tous mais, dans le même temps, un accroissement des inégalités dans une économie où seul le meilleur rafle tout («winner-take all economy» ou «the superstar»). Les auteurs rappellent d’ailleurs une boutade qui a cours à la Silicon Valley: l’économie numérique ne connaît que deux chiffres, le zéro et l’infini.

La force de ce livre est d’être lucide sur les dommages collatéraux tout en développant un optimiste constructif. Les derniers chapitres du livre constituent d’ailleurs une sorte de manifeste à l’usage des citoyens et des politiques. Que faire pour que l’utopie d’une poignée de milliardaires ne devienne pas le cauchemar de milliard de personnes privées de leur emploi ?

Les auteurs refusent évidemment «l’illusion luddite», le retour en arrière et du refus de l’innovation souhaités par certains, impossible dans les faits et trompeuse dans ses effets. Plutôt qu’un futur contre la machine ils proposent un futur avec la machine. Mais avec l’homme aux commandes. Pour ce faire, ils préconisent une palette de mesures partant de la réforme de l’éducation et de l’enseignement, d’un soutien accru à la recherche et au développement d’infrastructures, en passant par une nouvelle fiscalité qui s’attaque plus efficacement à la rente allant jusqu’à proposer l’instauration d’un revenu minimum ou d’un impôt négatif.

Une palette large. Trop large, objectera-t-on. Justement, c’est sa force d’être «out of the box». Car penser en dehors du cadre voilà précisément ce qui fera toujours la supériorité de l’homme sur la machine. Et ce livre invite justement par ses analyses et ses propositions à une nécessaire réinvention de notre futur. Car il est urgent de développer un nouvel humanisme au temps des machines intelligentes.

Author : David LACOMBLED pour Le Figaro. David LACOMBLED est directeur délégué à la stratégie de contenus d’Orange. Il est également président d’Interactive Advertising Bureau (IAB), une association créée en 1998 dont la mission est de structurer le marché de la communication digitale, favoriser son usage et optimiser son efficacité.

http://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/deuxieme-age-de-la-machine_9782738133069.php

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