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Introduire de la poésie dans la fonctionnalité

Le designer et graphiste franco-suisse Ruedi Baur est [a été] l’invité de Design Friends dans le cadre de Design City [la biennale de design du Luxembourg NDLR] pour une conférence où il présentera [a présenté] ses projets.

Sous le titre «Between complexity and poetry, Civic design and global citizenship», le designer Ruedi Baur donnera [a donné] … mercredi soir une conférence où il abordera [a abordé] la thématique de l’intégration du graphisme et du design dans l’espace urbain. On lui doit les identités graphiques du Centre Pompidou, de l’aéroport de Cologne-Bonn, du tramway de Reims ou le plan de signalétique et de jalonnement commercial, culturel et touristique pour la Ville de Metz. Quelques questions.

Monsieur Baur, le titre de votre conférence parle de poésie. Dans quelle mesure le design a-t-il besoin de poésie?

«J’ai réalisé un certain nombre de projets qui se rapportent directement à la poésie, comme le ‘10km de poésie’ pour Mons 2015. Au-delà de cela, mon travail au quotidien est d’introduire du poétique dans de l’hyperfonctionnel. Les problématiques de signalétique dans des infrastructures lourdes sont généralement traitées de manière uniquement fonctionnelle. Or, c’est là justement qu’il faut introduire une part de sensibilité, voire d’inutilité.

Où allez-vous chercher cette part poétique et inutile?

«D’une manière systématique, nous travaillons sur le contexte en essayant de faire transpirer l’histoire du lieu, ses particularités, ses désirs futurs pour faire jaillir une singularité – je n’aime pas le mot identité – à travers les outils de design et de graphisme que nous élaborons. Ce sont souvent des petits apports qui font la vie belle quand il y a interaction intéressée entre l’espace et l’usager.

À quel stade intervenez-vous dans la création d’une «singularité»: dès la conception du bâtiment, juste avant sa livraison?

«Ça dépend du commanditaire et du projet. Les nécessités d’orientation sont diverses selon les usages des lieux. Parfois, on a une réelle influence sur la circulation et sur la conception du bâtiment. Mes expériences sont diverses. À l’aéroport de Vienne, nous avons travaillé en parallèle avec l’architecte dès sa remise de concours, soit 11 ans de chantier. À l’inverse, à la Bibliothèque de Strasbourg, nous avons été consultés à peine neuf mois avant son ouverture, alors que tout était finalisé. Nous avons donc ajouté une couche ‘symbolico typographique’ à l’existant en cherchant les termes nécessaires à l’orientation dans des citations d’ouvrages présents dans la bibliothèque. Cette contrainte temporaire nous a obligés à aller plus loin.

Comment vous assurez-vous du bon usage et de la bonne fin de ce que vous avez créé?

«Cette question pose la question de l’adhésion, de l’appropriation et du partage, que je n’ai pas tout à fait résolue. C’est souvent fonction de la taille de la structure, de l’implication de la direction ou des responsables de la communication… On n’est pas seul maître à bord, mais l’implication de l’usager, à qui on donne des outils pour s’exprimer, permet d’éviter une dégradation ou un mauvais usage de ce qui est réalisé.

Comment voyez-vous l’évolution de la signalétique et plus généralement des règles de lisibilité?

«Au fur et à mesure du temps, on a affaire à une soustraction de signes, contrairement à ce qu’on pense généralement. Celui qui fait signe, c’est celui qui paye, qui impose son affichage, ses enseignes ou celui qui a valeur juridique qui est là pour autoriser ou interdire. Nous avons ainsi fait un relevé de tout ce qui était écrit dans la ville de Nègrepelisse, une petite ville de 8.000 habitants près de Toulouse. Et nous avons constaté que la quasi-totalité des inscriptions était fabriquée ailleurs. Ce qui est la réalité des signes de l’espace urbain où tout est préfabriqué, acheté en catalogue. Nous avons travaillé avec la mairie pour que tous les signes soient réalisés in situ. Cela change la ville, cela donne une possibilité d’expression, cela ouvre les possibles.

N’y a-t-il pas une tendance à une uniformisation, une mondialisation des signes?

«Absolument, même si des nuances apparaissent dans les différents pays sur des signes qui paraissent aussi universels qu’un panneau stop. Le gros risque est en effet une sorte de régulation généralisée alors que ce n’est pas parce que le signe est le même qu’on le reconnaît mieux. Il est bien plus intéressant de s’adapter au contexte, de se confronter avec le lieu, de se plonger dans son histoire. Les petites et les grandes histoires, les officielles ou pas.

Quel est votre avis sur Luxembourg et la manière dont le pays et la ville se présentent?

«Je m’intéresse beaucoup à l’intelligibilité de nos sociétés. Et je constate que Luxembourg, comme beaucoup d’autres villes, est excessivement hermétique et peu lisible. On ne comprend pas où on est, ce qu’on y fait, même si les lieux sont labellisés. On manque de lecture démocratique de l’espace urbain où les choses sont cachées derrière des sigles et des murs. Je pense qu’on est dans une fin de la logique du branding qui nous amène à des sociétés illisibles, inintelligibles où l’on ne peut plus entrer. Quand ça touche l’espace public, les lieux de décision, c’est la démocratie qui est menacée.»

Propos recuillis par : France CLARINVAL pour PAPERJAM

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