Revue de presse » **** John Maeda: «Le design doit ramener du sens et de l’éthique dans la technologie»

**** John Maeda: «Le design doit ramener du sens et de l’éthique dans la technologie»

Grande figure du design dans la Silicon Valley, John Maeda détaille les dernières tendances du secteur chez les grands acteurs dans son rapport «Design in Tech». Dans l’édition 2019, qui sera publiée en mars, il met l’accent sur l’accessibilité pour que la technologie puisse bénéficier au plus grand nombre.

“Il est au design ce que Warren Buffet est à la finance” selon le magazine Wired et fait partie des 75 personnalités les plus influentes du XXIe siècle pour le magazine Esquire. Après avoir passé treize années au prestigieux Media Lab du MIT, John Maeda est aujourd’hui à la tête de l’équipe design d’Automattic, propriétaire de WordPress. De passage en France, il a livré au Figaro sa vision du design “éthique” à l’heure où les géants de la Silicon Valley sont notamment critiqués pour le rôle actif qu’ils jouent dans les problèmes d’addiction aux écrans.

 

  … Ceci est un article de Harold GRAND pour Le Figaro

 

Dans votre rapport 2018, vous nous appreniez que Google et Facebook avaient racheté en une année 27 entreprises spécialisées dans le design. Comment expliquez-vous cette dynamique?

Ce mouvement a pris son essence au début de «l’ère smartphone» en 2008-2009. À ce moment-là, les entreprises de la Silicon Valley se sont rendu compte qu’il y avait un déficit en termes de design. Apple avait déjà beaucoup d’avance grâce à des personnalités comme Jony Ive mais les autres ont tenté de rattraper leur retard, notamment en rachetant des entreprises spécialisées. C’est d’ailleurs la même dynamique dans le secteur des start-up. Jusqu’aux années 2010, ces entreprises n’accordaient pas d’importance au design mais ensuite, c’est devenu un pôle à part entière de leurs équipes de direction.

Comprenez-vous les critiques faites à ces entreprises, notamment quand on pense aux techniques de manipulation implantées dans le design même des services numériques?

Quand on revient en arrière, on se rend compte que les entreprises tech et notamment les réseaux sociaux se sont inspirés des casinos pour construire leurs interfaces. Ces lieux dont le modèle économique repose sur l’addiction. On a pu donc retrouver sur nos sites web – comme dans les casinos – des couleurs vives, des sons parasites qui nous empêchaient de réfléchir pour nous forcer à continuer de «jouer» avec leur système. C’est particulièrement problématique quand on sait que la mission première du design est de trouver des solutions. La part de «l’utile» a peu à peu laissé sa place au «désirable» sur ces plateformes. L’esthétique est en quelque sorte devenue plus importante que le service. Cette frontière qui n’aurait pas dû être franchie a été enjambée par certains groupes de la Silicon Valley. Aujourd’hui, la mission du designer est claire, il doit trouver de nouvelles solutions pour ramener du sens dans la technologie, et il doit le faire en amont de chaque innovation.

Avez-vous des exemples de ces «nouvelles solutions»?

Pour préparer mon rapport annuel sur le design dans la tech, je voyage beaucoup à la rencontre de petits designers qui, à leur échelle, agissent pour une technologie moins intrusive. Je me souviens par exemple de deux designers originaires du Pays-Bas qui ont imaginé une sorte de «muselière» connectée pour enceintes intelligentes. Elle ressemble à une petite coque qui se pose sur une Google Home par exemple et qui vous obéit à la voix. Si vous lui dites que vous ne voulez plus recevoir de notifications pendant une période définie, cette petite coque est capable de faire taire votre enceinte immédiatement. Je pense aussi à cette professeure de Brooklyn qui apprend à ses élèves le fonctionnement des publicités ciblées sur Facebook dans des cours dédiés pour qu’ils comprennent comment et pourquoi le réseau social récolte leurs informations personnelles. Je veux remettre l’humain et ses capacités aux avant-postes. L’année dernière, je m’étais inquiété des progrès de l’intelligence artificielle notamment dans l’in
dustrie du design. J’avais fait une enquête et je m’étais rendu compte que les machines pourraient remplacer les meilleurs talents en 5/10 ans. Cette année, j’ai décidé de répondre à ces chiffres inquiétants en allant aux contacts des meilleurs esprits, et je dois vous dire que cela m’a rassuré.

Quel profil doit avoir un «designer tech» en 2019?

J’estime qu’il existe aujourd’hui trois différentes caractéristiques dans le design numérique: le design classique, celui qui tourne autour des produits physiques ; le design en tant qu’idéologie, c’est-à-dire le message que l’on souhaite transmettre quand on fabrique un produit ou une interface web et enfin le design dit de «conception», qui s’intéresse à l’expérience utilisateur. En 2019, le designer doit avoir dans sa besace ces trois compétences et s’intéresser plus particulièrement à la dernière, le design de «conception». Car c’est celle qui touche aujourd’hui le plus de monde. Imaginez si vous travaillez chez Facebook, chacun de vos gestes en tant que designer peut avoir des conséquences sur des milliards d’individus. C’est l’idée principale de ce qu’on appelle l’éthique par le design, une notion qui va devenir capitale dans les prochaines années.

À l’échelle de la discipline, il faut aussi encourager une ouverture dans les nouveaux profils recherchés et j’en sais quelque chose (John Maeda a été directeur de la Rhode Island School of Design, établissement de renommée mondiale dans le secteur, NDLR) . Je rencontre encore trop de gens talentueux qui viennent notamment de pays pauvres, sans formation au préalable, et qui n’arrivent pas à franchir les portes des grandes entreprises tech. Le risque d’une «tech bubble» dans la Silicon Valley est réel et c’est d’ailleurs pour ça que j’ai décidé de ne plus y habiter. Lorsqu’on y travaille, on a tendance à répondre à des codes et des habitudes pour faire plaisir à un petit nombre d’individus alors que le design est aujourd’hui un sujet planétaire au vu du poids qu’ont pris les GAFA dans nos vies.

Pouvez-vous nous citer une entreprise qui selon vous respecte cette mission «éthique» du design aujourd’hui?

À titre personnel, je pense que Microsoft a aujourd’hui de l’avance sur les autres avec son programme «Inclusive Design» qui vient notamment en aide aux personnes atteintes de handicap. Elle avait frappé un grand coup il y a deux ans en présentant une manette de jeu Xbox (propriété de Microsoft) adaptée aux personnes tétraplégiques ou amputées. Et elle a formé de grands talents comme la designeuse Kat Holmes, qui vient de partir chez Google en tant que directrice du pôle design dédié à l’expérience utilisateur. Microsoft a fait de l’accessibilité par le design une priorité et aura forcément une place de choix dans mes prochains rapports.

 

 

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Cet article a été sélectionné par designer.s dans le cadre de sa veille éditoriale et intégré à sa revue de presse européenne francophone !

Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s :

***** Exceptionnel, pépite
**** Très intéressant et/ou focus : Et John MAEDA sera présent à la biennale de design de Saint-Etienne 2019
*** Intéressant
** Faible, approximatif
* Mauvais, très critiquable
(i) . Informatif