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La durable parade au festival de design d’Hyères

Les jeunes designers ont l’écologie dans la peau. C’est ce que reflètent les travaux primés le 5 juillet à Hyères, pour le dixième festival international de design.

Ils ont été élevés avec la conscience aiguë que notre planète est un monde fini. Et ils le montrent, par leurs travaux exposés tout l’été à la Villa Noailles, à Hyères (Var), dans le cadre du festival Design Parade 2015. Vases en propolis d’abeilles, sèche-cheveux en bambou, luge pliable en frêne et plastique recyclable, abat-jour en coquilles d’arachide made in Burkina Faso, toiture de tongs usagées… : plus de la moitié des dix jeunes créateurs, récemment sortis de l’école ou même encore étudiants, ont cherché à renouveler les objets du quotidien à moindre coût pour la planète.

Dans cet esprit, la jeune Ying Chang, installée à Londres et finaliste du Design Festival, s’est intéressée aux nouveaux usages, d’où ce bureau-table-stockage alimentaire qui, telle une « plate-forme personnalisée » à base de grilles à assembler, est une réponse à l’exiguïté grandissante des logis dans les villes.

Le bambou, « arbre du pauvre »

« Raréfaction des ressources naturelles, explosion démographique… Le mode de vie occidental, basé sur la surconsommation, est remis en question », affirme Catherine Tsékénis, directrice de la Fondation Hermès. « On constate ici un retour – mais dans la modernité – de pratiques plus respectueuses de l’environnement, qui existaient autrefois », précise ce membre du jury du festival, qui a eu la lourde charge de départager les participants pour un Grand Prix.


Sans surprise, il est allé à Samy Rio, de l’Ecole nationale supérieure de création industrielle (Ensci-Les Ateliers) de Paris, pour son travail sur le tube de bambou comme alternative aux profilés de plastique. Le jeune Français a su démontrer que cette herbe géante et prolifique, « l’arbre du pauvre » en Asie et Amérique du Sud – une fois le matériau lissé, découpé, torsadé, muni de joints étanches, gravé, etc. – pouvait être utilisée pour fabriquer des appareils électriques, du sèche-cheveux aux enceintes.

« Nous avons privilégié celui qui sait se servir d’outils de manière personnelle, mais aussi qui trouvera le meilleur profit dans le Prix : une résidence de recherche d’un an à Sèvres, cité de la céramique, ainsi qu’au Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques de Marseille et une bourse de la galerie Kreo », s’est félicité Pierre Charpin, président du jury. Il expose lui-même à la Villa Noailles un quart de siècle de créations : des pièces en série limitée (pour la galerie Kreo), des objets manufacturés (pour Roset). Sans compter une trentaine de dessins préparatoires qui sont autant d’œuvres graphiques que l’on aimerait accrocher à son mur.

Le jury, cette année, a été unanime. « La luge pliable du tandem germano-helvétique Max Frommeld & Arno Mathies est le travail le plus abouti, mais le fruit de designers qui ont déjà trois ou quatre ans d’expérience, d’où cette double mention spéciale du jury et de l’agence Eyes on Talents, détaille Philippe Jousse, directeur de la galerie Jousse Entreprise et membre du jury 2015. Il y avait aussi cette performance de l’Allemand Philipp Weber autour du soufflage de verre, et les personnalités intéressantes d’Anne-Charlotte Piot et de Maureen Barbette, qui ont travaillé sur des théâtres miniatures pour ranger les objets précieux aux yeux de chacun. Nous avons choisi le projet le plus pertinent, en ce sens où Samy Rio a proposé une banque de formes en bambou pour une production semi-industrielle. » Le public, lui, a opté pour les tuiles en tongs, récupérées dans les décharges de Ouagadougou et transformées en toiture par le Français Christophe Machet.

Toiture en tongs recyclés par Christophe Machet, Prix du Public 2015

Depuis 2006, date de la première édition du festival Design Parade à la Villa Noailles, dix jeunes talents ont été primés, avec l’appui financier depuis trois ans de la galerie Kreo, celle-là même qui édite les designers contemporains les plus en vue, des frères Campana à Marc Newson. « Ce festival dédié à la jeune création n’a pas d’équivalent en design dans le monde. C’est un révélateur de jeunes talents et, grâce à lui, des pointures telles Ronan & Erwan Bouroullec, Konstantin Grcic, Jasper Morrison, Pierre Charpin… sont venues ici ! », rappelle le galeriste Didier Krzentowski, fondateur de Kreo.

Le design s’enracine à la Villa Noailles

L’audace de Jean-Pierre Blanc, directeur de la Villa Noailles, est payante. Malgré la canicule, le goudron qui fond dans les rues de Hyères et les moustiques qui attaquent à la nuit tombée, la Villa Noailles, qu’il a contribué à réveiller de son sommeil il y a vingt ans, attire un monde hétéroclite de la culture et des arts. De la discrète Pascale Mussard, directrice artistique d’Hermès – de la ligne d’objets « petit h » – à Bernard Chauveau, l’éditeur d’estampes et de livres d’exception, en passant par David Caméo, le nouveau directeur général des Arts décoratifs. Ou l’écrivain Alexandre Mare, auteur avec l’historien Stéphane Boudin-Lestienne d’une passionnante exposition « Collage » (dans la Villa), sur les quarante deux ans de scrapbooking de Marie-Laure de Noailles. Le lieu se veut laboratoire d’idées et déclencheur de vocations. Et le design commence à y prendre racine.
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Comme dans ce restaurant les pieds dans l’eau, le Marais, où le propriétaire David Pirone a convié Antoine Boudin, Grand Prix Design Parade 2009, à repenser le mobilier de plage. Ce designer de 28 ans dont le Palais de Tokyo et la maison Hermès avaient présenté, en 2014, le travail autour de la canne de Provence, autre graminée géante, s’en est donné à cœur joie : du bain de soleil à la desserte, tout provient à 80 % directement de Provence, en acier, toile à bateau et « mauvaise herbe »… locale.

Design Parade jusqu’au 27 septembre. Villa Noailles, Hyères. Tous les jours sauf mardi, de 14 heures à 19 heures. Le vendredi : nocturne de 16 heures à 22 heures. Entrée libre.

Author : Véronique LORELLE pour lemonde.fr

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Vignette de l’article : Les pièces en bambou de Samy Rio, Grand Prix Design Parade 2015. Crédit photo : Lothaire Hucki