Alors que la ville cherche à se réinventer pour répondre aux attentes de plus en plus fortes de ses habitants tout en faisant face aux grands enjeux du XXIème siècle, le design de services apparaît comme une notion incontournable. Articulant nouveaux usages, technologies numériques et implication des acteurs, il permet déjà de concevoir les services de la ville de demain.
La Ville de Paris vient ainsi d’annoncer la création d’un écosystème autour de l’intelligence intelligente et durable, nouveau signe de l’engagement de notre Maire en faveur d’une Smart City humaine exemplaire sur la scène internationale. J’ai par ailleurs eu l’occasion de me rendre à Nantes, le 25 juin dernier, à l’occasion du premier anniversaire de la Chaire Environnements Connectés e l’Ecole de Design et ses partenaires. La Chaire a organisé une conférence dédiée aux Smart Cities et à la place qu’occupe le design dans leur conception et j’ai eu le plaisir d’être l’invité d’honneur.
J’ai pu rappeler la nécessité de concevoir et construire la ville de demain comme un écosystème associant municipalités, acteurs citoyens, associations, académiques et entreprises. J’ai également évoqué les notions de ville « astucieuse », « ingénieuse », « rusée », cette ville à la fois connectée et créative qui vient répondre aux aspirations des habitants tout en s’adaptant aux mutations d’un monde qui change. Dans ce cadre, la notion de design des services apparaît comme centrale car elle est au cœur de la transformation urbaine que nous devons accomplir. Ce sont en effet les nouveaux usages et services qui constituent le vecteur principal de cette transformation.
Quelques éléments de définition
Le design des services peut être défini comme une approche pratique et créative destinée à améliorer des services existants ou à en créer de nouveaux. Sa force : il est issu de la convergence de plusieurs disciplines. De même que l’innovation, de nos jours, n’est plus uniquement technologique, de même que l’inclusion sociale n’est pas seulement l’affaire des sociologues, de même, le design, désormais, n’est plus uniquement réservé aux objets. Le design des services associe ainsi des créatifs, des spécialistes des sciences humaines et cognitives (sociologues, économistes, anthropologues etc) et des experts en technologies numériques. Le design des services a en outre pour spécificité de partir de l’usager et d’inventer, à partir et en fonction de ses attentes et de son expérience, de nouveaux usages et services, plus appropriés que ceux qui étaient jusqu’ici imposés « par le haut » par les acteurs publics et privés (institutions, marques, entreprises etc). En ce sens, le design de services révolutionne notre manière de concevoir les différents services que nous utilisons en prônant une co-construction, une co-conception de ces derniers.
Ces éléments de définition permettent de comprendre en quoi, via le design des services, nous pouvons utiliser le meilleur de la technologie pour réinventer la ville et raffermir le lien social. Ce design d’un genre nouveau me paraît ainsi tout à fait indispensable pour construire de nouvelles manières d’appréhender les espaces urbains, que ce soit dans le domaine de la mobilité, de la formation, de la santé, des modèles économiques etc. Car la ville de demain a besoin de transdisciplinarité, de décloisonnement, bref de projets qui font bouger les frontières ! La rencontre entre cette notion de design des services et la notion de services publics, propre à la ville, ouvre ainsi la voie à un champ d’expérimentation majeur.
Zoom sur 3 projets
Je vous partage trois exemple que je trouve particulièrement intéressants dont vous trouverez plus des détails dans La plateforme http://www.designdeservices.org que je vous invite à visiter.
Les hubs, ou espaces de coworking, sont des espaces destinés aux travailleurs indépendants qui s’adaptent aux besoins de mobilité et de flexibilité de leurs membres. Espaces hybrides entre travail et domicile, ils proposent des services variés comme une plateforme web, un accueil organisé, du matériel et des compétences mutualisés. Il existe déjà plusieurs espaces de ce type dans le monde, eux-mêmes réunis au sein d’une communauté « ancrée localement et mondialement connectée ». Ces tiers lieux seront amenés à se développer au sein de la ville de demain car ils correspondent aux évolutions de la mobilité urbaine et du monde du travail, ainsi qu’à l’émergence de nouveaux modèles économiques collaboratifs. Les hubs sont conçus à partir des usages des indépendants : les espaces sont désignés de façon à répondre à leurs besoins contradictoires d’indépendance et d’interaction. L’accent est mis sur la convivialité afin de favoriser les échanges, la collaboration, l’émergence d’idées nouvelles.
Autre exemple bien connu, celui de la plateforme AirBnB. Les trois fondateurs du site, eux-mêmes designers de formation, ont inventé le concept parce qu’il venait répondre à un besoin qu’eux-mêmes avaient éprouvé : voyager à moindre prix et de façon authentique, en vivant une véritable expérience d’immersion chez l’habitant. Ce besoin est venu par ailleurs répondre à un autre besoin, celui économique pour les propriétaires. Le succès d’AirBnB tient ensuite au design de la plateforme, conçu dans l’objectif de proposer une expérience « effortless » à l’utilisateur (annonce gratuite, espace personnel, traductions, mise en relation directe etc). Afin que puisse s’instaurer une confiance solide des membres envers la plateforme, AirBnB a enfin misé sur la création d’un esprit communautaire. Chaque utilisateur a la possibilité de laisser des commentaires en toute transparence et de partager ses coups de cœur, ce qui permet de garantir de l’intérieur la qualité des prestations tout en donnant au service une identité forte, celle d’une communauté internationale de voyageurs.
La plateforme de services Skillshare, basée à New-York City, révolutionne quant à elle les pratiques de transmission des savoirs. L’idée : utiliser la puissance d’Internet pour diffuser la connaissance et faire grandir les compétences dans tous les domaines. Chacun peut devenir enseignant et partager son savoir soit localement et physiquement dans son quartier, soit en ligne auprès d’une communauté internationale d’élèves. Skillshare se distingue des plateformes de cours académiques online type MOOCs car elle s’adresse à des personnes non enseignants et leur permet de transmettre leurs savoirs. En termes de design, il a fallu inventer les modalités d’un nouveau service. Le format communautaire a là aussi permis d’améliorer la qualité du service fourni, chaque acteur ayant la possibilité de recevoir un feed-back sur sa participation. L’enjeu était ensuite de proposer un outil simple d’utilisation, non élitiste et dénotant néanmoins une image de qualité. Le nombre de formats de mise en page testés par la plateforme est d’ailleurs impressionnant, preuve que l’offre de service s’est construite par itération en fonction des pratiques des utilisateurs.
On le voit, le design de services est orienté vers une économie des usages. Il permet la rupture créative indispensable à la conception de la ville intelligente et humaine, durable et connectée de demain. C’est pourquoi il me paraît essentiel de démocratiser cette approche en renforçant la convergence entre les écoles de design, les lieux de création numérique et les unités de recherche en sciences humaines et cognitives.
Author : Carlos MORENO pour La Tribune
Vignette de l’article : Les hubs, ou espaces de coworking, sont des espaces destinés aux travailleurs indépendants qui s’adaptent aux besoins de mobilité et de flexibilité de leurs membres. (Crédit photo : Bureauxapartager.com)