Véritable révolution technique et énergétique, l’arrivée des LED a stimulé la créativité des designers. Désormais, n’importe quel objet peut devenir une source lumineuse.
Demain sera lumineux. C’est du moins ce que semblent avoir promis les films de science-fiction depuis 2001, l’Odyssée de l’espace (1968), Blade Runner (1982) ou autres sagas Star Wars et Star Trek. Ces visions futuristes (et fictionnelles) de l’éclairage ont toujours été des sources d’inspiration pour les designers de la lumière. « Ces films font découvrir au grand public les choses incroyables qui se font dans le monde de la lumière, alors que, souvent, c’est une toute petite part de privilégiés qui y a accès à travers l’illumination d’un musée ou d’une soirée événementielle », estime Anne Bureau, designer lumière de l’agence bordelaise Wonderfulight.
Dans le monde réel, où en est le design de la lumière ? En septembre, le Salon parisien Maison & Objet marquait les esprits avec l’installation du collectif japonais Team Lab, dévoilant une lumière totalement programmable, signe d’une technologie avancée mais invisible pour l’utilisateur-spectateur. Leur « Forêt aux lampes résonnantes » proposait une expérience interactive autour de lampes en verre de Murano dont les couleurs évoluaient en fonction des mouvements du corps. Avec des lumières LED et des capteurs, ces artistes, architectes, mathématiciens, codeurs et graphistes avaient réussi à faire naître des halos personnalisés, offrant une vision à la fois poétique et futuriste.
Changement d’échelle et immense potentiel
Il faut dire que, depuis vingt ans, le monde de la lumière a connu une avancée déterminante : l’arrivée de la lampe à diode électroluminescente (LED). « Mais depuis, étonnamment, nous avons à peine “rayé la surface” du potentiel créatif de cette technologie dans l’architecture et le design. Jusqu’à présent, l’industrie de l’éclairage s’était essentiellement concentrée sur les formats de luminaires classiques – ampoules, lustres, suspensions, etc. Mais la LED a atteint une telle maturité que nous pouvons maintenant l’intégrer de façon inédite dans les surfaces qui nous entourent : murs, plafonds et sols », explique Brad Koerner, directeur de création pour Philips Luminous Patterns, branche de Philips Lighting consacrée à la recherche et développement sur ces supports lumineux.
En octobre, à la Dutch Design Week d’Eindhoven, Philips Lighting a ainsi présenté la pièce « Light Forest » réalisée avec les designers néerlandais BCXSY, une surface murale en bois recréant une lumière apaisante, proche de celle d’une forêt.
Le potentiel de développement de ce marché est immense, la LED ayant fait baisser à la fois les coûts techniques et la consommation énergétique. Résultat, alors que les scientifiques découvrent chaque jour les nombreux bienfaits de la lumière sur le sommeil, la peau ou même la douleur, les designers réfléchissent à envelopper hôtels, magasins, hôpitaux et bureaux de ces nouveaux modes d’éclairage qui promettent bonheur et meilleure santé…
Mais n’importe quel objet du quotidien peut devenir source lumineuse. Aux États-Unis, l’artiste lumière Leo Villareal et la designer Lisa Perry ont ainsi co-conçu « Scintillator », un sac à main-pochette de soirée brillant de 120 diodes LED. Une petite pièce de technologie faite en laiton et nickel et produisant une lumière codée et séquencée. Présenté en février lors de la New York Fashion Week, le sac (75 pièces numérotées vendues chacune 2 995 dollars) s’est arraché en boutique. « Qui ne voudrait pas porter un sac que vous pouvez allumer et éteindre ! », s’exclamait alors Lisa Perry. Pour Leo Villareal, plus habitué à éclairer des musées ou des ponts, c’est un changement d’échelle intéressant et la preuve que, demain, toutes les matières pourront certainement intégrer des diodes programmées.
Dans la même veine, l’artiste et plasticien français Yann Kersalé, connu pour la mise en lumière du MuCEM de Marseille ou du port de Saint-Nazaire, s’est lui aussi intéressé à la conception d’« objets lumières nomades », comme il les décrit. Pour la manufacture Baccarat, le créateur a associé son savoir-faire technique et le célèbre cristal pour dessiner le luminaire « Jallum », destiné à un usage intérieur ou extérieur. Basée sur un jeu de reflets, cette « carafe inversée » et transportable fait dire à Yann Kersalé, non sans humour, qu’on se sent presque « comme un pape dans son jardin, avec cette lampe à la main… »
La lumière stimule plus que jamais la créativité des artistes, designers ou concepteurs lumière. En parallèle d’un travail de scénographie pour le Perchoir Marais (sur le toit du BHV, à Paris), la jeune agence parisienne Light is More réfléchit aussi au développement d’objets inédits qui trouveront peut-être leur place en ville ou chez les particuliers.
Influencée comme tant d’autres par le maître en la matière, l’artiste américain James Turrell, dont les installations monumentales jouent avec la lumière et l’espace, Pauline David, architecte et designer lumière de Light is More, estime que « dans le monde urbain, et dans beaucoup de projets de scénographie lumière, l’humain est trop souvent mis de côté alors que la lumière fait directement appel à nos émotions intimes ». Parmi les futurs projets de l’agence, une balancelle « urbaine » basée sur un système lumineux à rechargement autonome, dont la luminosité se calerait sur le rythme cardiaque de celui qui se balance.
Auteure : Anne-Lise Carlo pour http://www.lemonde.fr/