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L’innovation numérique en trois tendances

Dix projets distingués par le Forum Netexplo, qui recense chaque année les dernières tendances de l’innovation, sont dévoilés aujourd’hui à Paris. Les prix seront remis début février.

Comment se repérer dans le déluge d’innovations qui caractérise la période actuelle ? L’essor des technologies numériques, l’engouement pour les start-up, la multiplication des incubateurs ou des Fab Lab, combinés à la montée en puissance des plates-formes de financement participatif (Kickstarter, Indiegogo…) font naître chaque jour des dizaines de nouveaux objets, concepts, logiciels ou services. Sans parler des centres de recherche, publics ou privés, qui, eux aussi, se chargent d’inventer le monde de demain. Dans cet immense réservoir, l’observatoire Netexplo sélectionne chaque année 100 innovations, dont 10 se voient remettre un grand prix.

Pour cela, ce cabinet basé à Paris s’appuie sur une vingtaine d’universités partenaires à travers le monde (HEC en France et au Canada, Stanford et Columbia aux Etats-Unis, KAIST en Corée du Sud, IIIT de Bangalore en Inde…). Cela permet de chercher les innovations au-delà de l’habituelle Silicon Valley, y compris en Amérique du Sud ou en Afrique.

Au-delà d’une simple remise des prix, la sélection annuelle est aussi l’occasion de mettre l’accent sur plusieurs tendances émergentes de l’innovation. Si les éditions précédentes avaient souligné au fil des ans la montée en puissance des réseaux sociaux, des applications, des capteurs, des outils de modélisation ou des objets ­connectés, l’édition 2016 est marquée par les progrès de la biologie de synthèse, l’accélération des plates-formes sociales ou économiques, et par les avancées de la robotisation et de l’apprentissage automatique. « Sur les 100 projets retenus, environ 70 correspondent à l’une de ces trois grandes familles », explique Julien Lévy, professeur à HEC Paris, chargé chaque année de détecter et d’analyser les tendances émergentes.

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La grande percée de la biologie de synthèse

Créer et cultiver des cellules vivantes, en modifiant leur ADN presque aussi simplement que l’on suit une recette de cuisine : c’est la vocation d’Amino, un kit de fabrication de matières biologiques pour les écoles et les particuliers. Conçu par une chercheuse canadienne du MIT Media Lab, Julie Legault, ce boîtier de la taille d’un gros tourne-disque contient tout ce qu’il faut pour devenir un parfait « bio-hacker » : centrifugeuse, capteurs, bioréacteur, etc. Sur le modèle des kits d’initiation à l’électronique et à la programmation Arduino, l’idée est de proposer différentes expériences à une communauté d’utilisateurs, en fournissant si nécessaire le matériel de base. Après une campagne réussie fin 2015 sur Indiegogo, les 50 premiers exemplaires d’Amino seront disponibles d’ici à l’été.

Pas question pour autant de transformer enfants et étudiants en Dr Frankenstein, se défend sa conceptrice : « Plus vous réaliserez des expériences par vous-même, plus vous comprendrez ce qu’est réellement la biotechnologie, et ce qu’elle peut faire de bien ou de mal, explique Julie Legault. Je fais le parallèle avec l’informatique dans les années 1980 : les ordinateurs étaient souvent vus comme effrayants, jusqu’à ce que des modèles bon marché permettent aux gamins d’apprendre à programmer. »

Pour Julien Lévy, « cette innovation illustre une idée commune aux bio-hackers et au mouvement transhumaniste : les frontières entre le biologique et le numérique sont de plus en plus floues ». Dans le même état d’esprit, les jurés de Netexplo avaient repéré un programme de production d’insuline « open source » ou une cellule capable de stocker des informations. Ils ont finalement distingué, parmi les dix lauréats, un nanorobot qui s’inspire d’une bactérie. Conçu par l’université Drexler de Philadelphie, il est destiné à naviguer dans les artères pour les déboucher sans chirurgie.

La nouvelle révolution des plates-formes

Popularisé par le bitcoin et d’autres monnaies virtuelles, le protocole informatique « blockchain », qui permet des transactions sécurisées sans passer par une base de données centralisée, a donné naissance à des centaines, voire des milliers de start-up qui ambitionnent de révolutionner le monde de la finance. Parmi celles-ci, Netexplo a choisi une entreprise israélienne, Colu, qui a adapté la technologie pour l’appliquer non seulement aux monnaies, mais à tous les actifs numériques : billetterie, coupons de réduction, titres de propriété, etc. « Nous utilisons notre propre version du protocole, appelée “Colored Coins”, pour ajouter des informations adaptées à différents scénarios », explique David Ring, cofondateur et responsable de la R&D de Colu. Un autre lauréat, Bitland, utilise la technologie « blockchain » pour créer un cadastre virtuel au Ghana.

Mais toutes les plates-formes distinguées dans l’édition 2016 ne passent pas par « blockchain ». Le projet sud-africain Aweza utilise, par exemple, le smartphone pour proposer des traductions entre les 11 langues officielles du pays. Quant à la start-up Wonolo (pour « work now locally »), basée à San Francisco, elle a adapté au monde des ­entreprises un modèle qui a fait le succès d’Uber ou de TaskRabbit : donner accès en temps réel à un vivier de travailleurs indépendants (15.000 sont référencés sur le site), immédiatement disponibles. « Nos clients sont des professionnels de la logistique ou de l’e-commerce qui ont besoin de main-d’œuvre temporaire, explique AJ Brustein, cofondateur de Wonolo. C’est l’employeur qui fixe le prix, mais le candidat est libre de l’accepter ou pas : le pouvoir est du côté du travailleur », affirme-t-il, en mettant en avant un salaire horaire supérieur au salaire minimum, « de l’ordre de 15 dollars de l’heure. » Fondé par deux anciens employés de Coca-Cola dans le cadre de l’incubateur du groupe, Wonolo a levé 2,2 millions de dollars en mars 2015.

Robots : vers l’émancipation des machines

La troisième tendance mise en avant cette année est sans doute la plus fascinante : comment les progrès de la robotique et de l’intelligence artificielle laissent entrevoir un monde où les machines n’auront plus besoin de l’homme pour se perfectionner. Le Todai Robot Project, lancé en 2011 par l’Institut national d’informatique du Japon, vise ainsi à développer une intelligence artificielle capable de réussir les tests d’entrée à l’université de Tokyo. En novembre, ce logiciel a obtenu une note supérieure à la moyenne (511 points sur 950), mais encore insuffisante pour être accepté – un objectif que ses concepteurs pensent atteindre en 2021.

L’apprentissage automatique ­concerne également les objets physiques. Netexplo a ainsi distingué l’entreprise allemande Ascending Technologies, dont les drones volants sont capables de reconnaître et d’éviter les obstacles sans aucune intervention humaine – une prouesse qui lui a valu d’être acquise par Intel début janvier. Tout aussi futuriste mais beaucoup plus loin de la commercialisation, un chercheur de l’université d’Oslo (Norvège) a mis au point un robot imprimé en 3D qui apprend de ses erreurs et s’adapte aux différentes modifications de son environnement. « L’idée est que le robot trouve seul la façon de se déplacer la plus efficace possible », explique Eivind Samuelsen, l’étudiant à l’origine du projet. A terme, le robot pourrait même concevoir de nouvelles pièces mieux adaptées, et pourquoi pas les imprimer en 3D.

Enfin, l’édition 2016 va décerner un prix à un projet de robotique moins spectaculaire, mais particulièrement utile : la prothèse IKO, mise au point par un ingénieur colombien pour dédramatiser le handicap chez les enfants. Compatible avec les jouets programmables Mindstorms de Lego, la main artificielle IKO peut être transformée à volonté pour devenir une pince, un tractopelle… ou même un vaisseau spatial. L’idée est que son propriétaire puisse s’amuser, mais aussi développer de nouvelles fonctions, par exemple avec l’aide du club de sciences de son école. « Nous prévoyons de tester dix prototypes de notre prothèse à partir de la fin avril », indique son inventeur, Carlos Arturo Torres.

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A noter qu’à partir du jeudi 28 janvier, les internautes pourront voter pour le Grand Prix de l’innovation digitale : www.netexplo.org

Le Forum Netexplo se déroulera les 10 et 11 février prochains. La première journée aura lieu à l’université Paris-Dauphine. La seconde se déroulera uniquement en ligne.

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Author : Benoit GEORGES pour Les Echos

Vignette de l’article : Compatible avec les jouets programmables Lego Mindstorms, la prothèse pour enfants IKO Creative Prosthetic System peut être transformée à volonté. – IKO