Les designers découvrent de nouveaux logiciels développés à partir de l’intelligence artificielle. Leur défi sera surtout d’intégrer l’IA dans nos objets du quotidien.
Et si la prochaine révolution pour le design consistait à réussir le dialogue entre l’humain et la machine ? C’est l’ambition de l’éditeur de logiciels américain Autodesk. A partir du mois de janvier, il proposera au sein d’un de ses outils, Netfabb Ultimate, un nouveau service appelé « design itératif ». Le principe : le designer ne commence pas par esquisser un objet, mais par exprimer des contraintes telles que le matériau utilisé, les forces qui s’exercent, le mode de production, etc. « L’ensemble des contraintes sont alors envoyées via le cloud au système de design itératif, qui va effectuer l’ensemble des calculs et vous proposer en retour cinq ou six solutions possibles, explique Mark Davis, responsable des recherches sur le design d’Autodesk. Le designer choisit la solution qu’il préfère, adapte sa demande et la renvoie à nouveau via le cloud jusqu’à obtenir une solution qui lui convienne. »
Sous le nom de code « Project Dreamcatcher », le système a nécessité cinq ans de recherches, au cours desquelles il a notamment été testé sur une nouvelle forme de chaise imprimable en 3D ( « Les Echos » du 3 juin 2014 ), une cloison d’A320 en collaboration avec Airbus ( « Les Echos » du 3 décembre 2015 ) ou le châssis tubulaire d’une voiture de sport. Au-delà du design industriel, le système peut aussi servir à l’architecture – Autodesk s’en est servi pour planifier l’aménagement de ses bureaux à Toronto.
Ces domaines où l’intelligence artificielle dépasse déjà l’homme.
Pour Mark Davis, l’arrivée de cet outil n’est qu’une première étape. « A partir de 2020, nous pensons qu’un tel système pourrait prendre en compte des aspects esthétiques et que, à terme, il sera possible de créer uniquement à partir d’une description. » Il mise pour cela sur les progrès d’une nouvelle catégorie d’algorithmes, les « generative adversarial networks » (GAN). Mis au point en 2014 par un chercheur de Google, Ian Goodfellow, les GAN utilisent les réseaux de neurones pour générer des images de synthèse qui paraissent réalistes pour les humains. « Il s’agit d’une évolution importante et le design doit se saisir de cette technologie, car on ne voit pas de grande avancée humaine sans nouveaux outils, estime Jean-Louis Fréchin, président de l’agence NoDesign. Le seul danger, c’est que les ingénieurs puissent s’imaginer pouvoir modéliser la création avec cette idée qui traîne toujours de pouvoir se débarrasser des créateurs. »
Objets relationnels
Avec l’intelligence artificielle, les designers font face à un deuxième défi d’une autre ampleur. « Quel monde va émerger de cette IA intégrée à nos objets du quotidien ? La véritable rupture est là : jusqu’à présent les objets étaient uniquement fonctionnels. Ils deviennent relationnels. On ne se sert plus d’eux, mais eux nous servent. Bien ou mal, tout dépendra notamment du designer », analyse Dominique Sciamma, ancien chercheur en intelligence artificielle et directeur de Strate Ecole de design.
« L’intelligence artificielle est une technologie très diffusante et interactive. Le rôle du designer va être fondamental pour imaginer et comprendre les nouveaux usages et éviter le travers classique d’une approche uniquement technique », précise Nathanaël Ackerman, directeur de l’initiative France IA, créée à l’issue du rapport « France intelligence artificielle » rendu au précédent gouvernement fin mars.
Les produits intégrant de l’intelligence artificielle fleurissent déjà. Il s’agit notamment des agents conversationnels permettant d’échanger en langage naturel, à l’image de Siri pour Apple, de l’Assistant pour Google ou d’Alexa pour Amazon. « D’un point de vue général, la qualité est encore sommaire. Cela me fait penser aux premiers sites Web des années 1990 », remarque Nathanaël Ackerman. Mais tous ces outils progressent rapidement.
Pour son logiciel de développement d’applications vocales, la jeune société Smartly a pris le contre-pied et s’adresse directement au designer. « Toute la technologie a été masquée, car une application vocale incarne la marque. Et nous disons aux entreprises de ne pas confier leur développement aux programmeurs, qui ont une vision fonctionnelle, mais aux designers, dont l’approche est centrée sur l’utilisateur », assure Hicham Tahiri, son fondateur.
Interaction et complexité
Un investissement dans le design d’autant plus indispensable que ces applications vont être d’une complexité croissante : susceptibles de dialoguer entre elles, de proposer de nouveaux modes d’interaction et d’apprendre du comportement de l’utilisateur. C’est le cas de Rango et Wizigo, deux applications primées par l’Observeur du design 2017 qui permettent aux aveugles de se diriger dans la rue. La première peut fonctionner seule. Grâce à un capteur à ultrasons posé sur sa canne blanche, la personne détecte les obstacles un peu comme si elle utilisait un sonar urbain. Associé à Wizigo, un logiciel de géolocalisation, l’utilisateur peut programmer son trajet, voire envisager des déplacements sur des parcours inconnus. « L’apport du design est majeur. Au-delà de la technologie, 90 % de l’efficacité de la solution est liée à la qualité de l’interaction. Dans une première version, nous avions, par exemple, donné beaucoup trop d’informations, ce qui créait un climat anxiogène », analyse Hugues de Chaumont, président de GoSense, retenu par Paris 2024 pour développer une solution d’accessibilité à l’occasion des JO.
Dès lors, l’enseignement du métier de designer va évoluer, prédit Dominique Sciamma : « Le designer du XXe siècle était expert dans les outils et les procédés de fabrication. Au XXIe, siècle, une partie de cette production sera automatisée et son rôle ira encore davantage vers sa capacité à lire le monde en s’appuyant sur les sciences humaines et l’interdisciplinarité. »
Marianne numérique
L’ambition de France IA était avec son concours UtopIA de lancer un projet fédérateur autour de l’intelligence artificielle. « Ce serait une réalisation marquante qui symboliserait cette révolution industrielle et inspirerait tous les acteurs. Une sorte de tour Eiffel du XXIe siècle », résume Nathanaël Ackerman. L’une des idées proposées étant de développer une « Marianne numérique » – en fait un agent conversationnel qui serait capable de renseigner les citoyens sur leurs démarches administratives. Une ambition importante, estime Jean-Louis Fréchin. « Les grands projets humains sont portés par des rêves et l’on ne peut promouvoir l’intelligence artificielle en ne parlant que de productivité. Ce pourrait être le rôle de la France, qui a beaucoup de compétences et un rôle à jouer pour promouvoir une intelligence artificielle humaniste. »
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Auteurs : Benoit Georges / Chef de serviceFrank Niedercorn / Journaliste pour Les Echos
Vignette de l’article : Exemples de chaises imprimables en 3D conçues dans le cadre des recherches d’Autodesk sur le « design itératif ». – DR
Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s !
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(i) . Informatif