Mort à la fast fashion, remise en question de la fourrure et du cuir, diversité des mannequins représentés…. Le luxe passe en mode detox à la recherche de modèles durables, quitte à sacrifier un peu de sa noblesse au profit d’enjeux moins glamours : l’humain et l’environnement. Enfin ?
En matière d’environnement, le « fashion faux pas » n’est plus une option. Et la Maison Chanel s’en souvient. En cause : le tollé causé par l’un de ses défilés en mars 2018. Pour présenter sa collection Automne-Hiver, la Maison de luxe avait fait défiler ses mannequins au Grand Palais, au beau milieu d’une forêt de chênes et de peupliers coupés pour l’occasion. En ligne, la marque avait soulevé l’ire des internautes et de la FNE (France Nature Environnement), une association luttant pour la protection de la nature. « Promotion de la diversité des forêts françaises, invitation au retour à la nature, volonté de se donner une image de marque écoresponsable… Quelles que soient les motivations de Chanel, c’est raté », décriait l’organisme.
… Ceci est un article de Margaux DUSSERT pour
« Balance ta mode » !
La morale de l’histoire est simple : surfer sur la tendance écolo ne suffit plus, surtout pas quand on est une marque de luxe. On le rappelle : le marché de la mode arrive en deuxième position dans la course aux industries les plus polluantes. 4 millions de tonnes de textile gaspillé chaque année pour 79 milliards de mètres cubes d’eau utilisés, rythme effréné de la fast fashion, effondrement d’usines délocalisées, cycles de production trop courts, accumulation des vêtements dans les placards… la mondialisation a eu raison du petit couturier mais aussi de la planète et de ses habitants les moins favorisés.
Heureusement, « la mode s’autocritique et possède une réelle capacité de réinvention », affirme Bénédicte Fabien, Directrice de la prospective chez Leherpeur Paris. Selon elle, nous arrivons à l’ère de « l’anti-fashion ». La mode embrasse des objectifs plus vertueux, sociaux et environnementaux, tant est si bien que la « glamourisation » de l’éthique deviendrait presque une nouvelle esthétique.
Cache-misère ou engagement réel, la réalité diffère en fonction des marques, mais le constat est là. Paradoxalement, ce sont les jeunes de « la génération Zara et H&M » qui préemptent le mouvement. 70% des 19-35 ans seraient d’ailleurs prêts à payer plus cher pour une cause qui leur est chère.
Environnement : l’urgence de « penser d’autres luxes »
« Réduire son empreinte environnementale, optimiser sa chaîne d’approvisionnement, recycler des produits en fin de vie, réduire les principaux postes d’émission de gaz à effet de serre… cela fait 26 ans que je travaille pour LVMH en tant que Directrice environnement, explique Sylvie Bénard, et le sujet est toujours aussi complexe pour un grand groupe ». Lancée en 2012, l’initiative LIFE de LVMH est un outil de mesure écologique intégré au groupe qui vise à renforcer sa « performance environnementale ». Même chose pour le groupe Kering qui intègre depuis quelques temps son propre index de mesures écologiques. Cette année, les Galeries Lafayettes lançaient aussi Go for Good, un nouveau programme de « mode responsable ». Bref, les grands groupes s’y mettent de l’intérieur.
Pendant ce temps, les Maisons de couture choisissent elles aussi leur(s) bataille(s). Versace, Gucci ou encore Burberry arrêtent la vraie fourrure, Lowe œuvre pour la défense des éléphants et Lacoste se place en porte-parole des animaux en voie de disparition. En témoigne sa récente campagne à succès « Save our species ». Certaines marques font même marcher la R&D à la recherche d’alternatives, notamment au cuir. Depuis 2013, Stella McCartney, instigatrice du luxe activiste, n’utilise que des matières écoresponsables comme l’Eco Alter Nappa, un matériau alternatif au cuir animal.
En vogue en ce moment, la tendance de l’upcycling qui consiste à donner une seconde vie à des vêtements inutilisés et dont Marine Serre, « nouvel espoir de la mode féminine » selon Les Echos, est l’une des principales instigatrices. On assiste également à l’émergence de labels premium comme la marque danoise Ganni ou l’Atelier Bartavelle, une marque de vêtements écoresponsable souhaitant initier « un nouveau luxe ». Basée à paris, la marque pense ses collections avec des créatifs (plasticiens, designers, danseurs, écrivains…) et des artisans.
Mais tout n’est pas rose et les moyens et techniques de production ne permettent pas encore de passer au « tout vegan » et au « produit zéro déchet ». Amélie Pichard, créatrice de mode indépendante, s’en désole. « Il y a encore un sentiment de grand écart entre tradition et innovation. Lorsque j’explore de nouvelles matières organiques et que je suis obligée de revenir au cuir animal, je me fais instantanément tacler sur les réseaux ». Si l’engagement se met en place, lentement, « il existe un mouvement batard entre les injonctions des consommateurs et l’industrie qui n’est pas encore prête », ajoute Alix Morabito, Fashion Director aux Galeries Lafayettes.
Mode et engagement humain : « oxymore ou réelles perspectives » ?
« Habitué à une parole descendante, ordonnatrice, le luxe se confronte à de nouvelles valeurs telles que l’humilité, le ralentissement, le respect, la diversité, le bien-être… », explique Bénédicte Fabien. Peu connu pour ses inititatives philantropiques, le secteur revient donc de loin. On peut d’ailleurs se demander si le terme « luxe éthique » ne relève pas plutôt de l’oxymore. Difficile, en effet, de différencier l’effet coup de com’ de l’engagement réel.
Ce que l’on observe en revanche, ce sont les exemples de marques qui communiquent sur leurs engagements. En mars dernier et dans le sillage de Gucci et Unicef, Balenciaga annonçait s’associer au Word Food Program pour « abolir la faim dans le monde d’ici 2030 ». Et tandis que Dior préempte le terrain des droits des femmes, Christopher Bailey, directeur de la creation chez Burberry, montrait son soutien à la communauté LGBT via des dons à différentes associations dédiées comme Albert Kennedy trust, Trevor Project ou encore ILGA.
Seules ou accompagnées des marques, les égéries montent aussi au créneau et affirment leurs engagements. En publiant des témoignages sur son compte Instagram, le mannequin Cameron Russell donne la parole aux femmes victimes d’agressions sexuelles dans le monde de la mode. Figure de proue du « body positivism », Emily Bador s’oppose quant à elle aux diktats de la beauté et invite sa communauté à assumer peau d’orange, poils et autre bourrelets jugés repoussants.
Passer du prêt à porter au prêt à durer, militer pour une mode inclusive… la transformation culturelle de l’industrie du luxe passe par bien des chantiers. Coup de com’ ou non, l’élan semble aller dans le bon sens. Reconnaissons-le, c’est plutôt une bonne nouvelle.
- Auteur de l’article : Margaux DUSSERT
- Source de l’article : https://www.ladn.eu/
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Vignette de l’article : © Brenna Huff (Unsplash)
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