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Ne confondons pas invention et innovation !

Que penser du rapport des entreprises françaises à l’innovation ? Faut-il partager la vision pessimiste d’une « panne de l’innovation » en France ou nuancer le diagnostic ?

En 2015, la France n’était classée que 21ème dans l’indice mondial de l’innovation établi par l’INSEAD, et seulement 10ème dans le tableau de bord de l’Union européenne de l’innovation, dans la catégorie des « suiveurs de l’innovation ». Pourtant une étude de Thomson Reuters publiée cette même année place au contraire la France sur la 3ème marche du podium mondial de l’innovation derrière le Japon et les États-Unis, et la sacre championne européenne. Face à ces données contradictoires, que penser finalement du rapport des entreprises françaises à l’innovation ? Faut-il partager la vision pessimiste d’une « panne de l’innovation » en France ou nuancer le diagnostic ?

Thomson Reuters prend seulement en compte l’innovation technique via l’étude des brevets déposés (leur nombre, le degré d’innovation de rupture qu’ils représentent, etc.) quand le classement de la Commission européenne se fonde quant à lui, outre la pure technologie, sur des critères beaucoup plus sociétaux (conditions d’investissement et de financement, collaboration et entrepreneuriat, impact économique, etc.). Ces différentes compréhensions et traductions du terme « innovation » expliquent le bilan contrasté de l’innovation française. La déduction est assez aisée : nous avons en France une compréhension partielle de ce qu’est l’innovation. Sont davantage valorisés les critères techniques (classement Thomson Reuters), sans parvenir à développer une culture globale de l’innovation (classement de la Commission européenne).

Invention vs innovation

Thomson Reuters situe 10 entreprises françaises dans le top 100 mondial des entreprises qui déposent le plus de brevets, sans compter la constellation de TPE/PME et de startups innovantes qui voient le jour… Si l’innovation technique n’est pas problématique en France, quel est alors le problème ?

Il réside dans le fait qu’en France nous avons confondu invention et innovation. Le pays regorge d’entreprises aux idées innovantes, hélas, la majorité de l’innovation ne concerne pas la science pure ; c’est la créativité dans les usages qui permet de différencier les entreprises performantes. L’innovation est autant une affaire d’entrepreneurs que de chercheurs. En témoigne l’exemple du géant américain Apple qui ne dispose d’aucune technologie maison mais a su, à partir des inventions des autres, innover. Avant le Macintosh, il y avait le Star de Xerox, en 1981. Avant l’iPhone il y avait le Nokia Communicator, en 1996. Avant l’iPad, il y avait le tabletPC de Microsoft, présenté en 2000. Mais Apple a innové sur d’autres aspects qui ont conduit à faire accepter ces produits par le marché à une tout autre échelle.

Un département R&D qui invente vs une entreprise entière qui innove

Pour donner une chance à l’innovation dans les entreprises françaises, il faut donc aller plus loin que la simple invention. Non, il ne suffit pas d’investir des milliards dans un pôle R&D pour être une entreprise innovante. Non, il ne suffit pas d’avoir un lab pour faire de l’innovation une valeur ancrée dans la culture d’entreprise. Il est temps d’innover réellement, c’est-à-dire de ne pas circonscrire le champ de l’innovation à un département ou à une structure mais de l’ouvrir à l’entreprise tout entière. On ne peut pas se contenter de demander à quelques-uns d’inventer des technologies nouvelles en espérant que le reste va suivre. Si innover, c’est inventer puis valoriser les inventions, il faut embarquer les collaborateurs, inciter tous les métiers à collaborer en les engageant dans une vision tournée vers le futur.

Pour ce faire, la première étape de l’innovation consistera à repenser les modèles d’entreprises aux structures encore trop classiques, figées et processées. Il s’agira de les faire évoluer vers des structures plus agiles qui laissent plus de place à la créativité inventrice mais aussi et surtout à la collaboration, pour passer du stade de l’invention au stade de produit innovant répondant à des besoins du marché.

Aider la France à monter sur le podium des pays les plus innovants c’est accepter que l’innovation soit un processus complexe dans lequel chacun des acteurs qui composent le système doivent être convoqués. Et parmi les quelques entreprises françaises qui ont réussi à innover ou se lancent dans l’aventure, comme La Poste qui a dû faire face à l’érosion progressive du courrier traditionnel face au digital, il est frappant de constater à quel point le mot d’ordre est celui-ci : un innovateur seul n’est rien dans une organisation. Tout l’écosystème interne doit converger vers cet objectif commun ultime.
Car oui, l’innovation est l’affaire de tous.

Author : Emmanuelle DUEZ et Marianne URMES pour La Tribune

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