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Pierre Garner : le design des objets connectés

Pierre Garner est cofondeur d’Elium Studio, une agence de design produit française qui a 15 ans d’expérience. Depuis 6 ans il s’intéresse plus particulièrement aux objets connectés et collabore avec des sociétés comme Withings. Nous avons pu le rencontrer lors du SiDO, et il nous a donné sa vision du design produit pour les objets connectés.

Le design produit au service de l’application

Travailler sur le secteur des objets connectés oblige à modifier la manière de concevoir les produits et les services associés. Le designer doit réfléchir à un écosystème complet qui mêle produit et application. « L’objet sert à récolter des données, mais il faut arriver à les rendre lisibles, à les mettre en forme dans l’application, c’est l’intérêt pour l’utilisateur. Au final, c’est l’application qui porte le produit. La relation forme/fonction qui dans les produits classiques est un driver fort, est remise en cause puisque la fonctionnalité est en grande partie déportée dans l’application. L’objet doit donc incarner autre chose que la fonction pure, c’est la partie immergée, c’est un marqueur fort du service, il incarne le service. Il faut trouver de nouveaux moyens d’exprimer des fonctions.

L’évolution du design des objets connectés

Les premiers capteurs d’activité étaient une évolution du podomètre, le premier pulse était une petite boite noire à clipser ou mettre dans la poche. Au fur et à mesure du temps on s’est rendu compte que ce type de produit ne rendait pas les gens à l’aise pour plusieurs raisons :

La première est au niveau de l’image : avec les premiers bracelets connectés par exemple, on marquait son appartenance à une partie de la population. Mais, au bout de quelque temps, ils peuvent engendrer de la lassitude, les utilisateurs ont moins envie de l’afficher de manière ostentatoire. Ils ne se retrouvent pas dans le produit (design réflectif).

La seconde problématique concerne l’usage et plus particulièrement l’autonomie. On a l’habitude de recharger son smartphone, mais c’est en quelque sorte obligatoire, car il est devenu indispensable. Mais pour les bracelets connectés par exemple, la contrainte devient rapidement supérieure aux bénéfices pour une grande partie de la population. Au début on recharge régulièrement puis on oublie, une fois, deux fois, trois fois et dans certains cas on se dit que finalement on a plus besoin du bracelet.

Ces deux constats étaient au cœur de la réflexion de Pierre Garner et Withings lorsqu’ils ont collaboré sur l’Activité.

Withings-Activite

On devait dessiner un produit qui devait transcender ces contraintes. Nous avons choisi de créer un objet ancré dans l’univers de la mode et d’y intégrer toute la partie technologique, plutôt que de créer une tendance avec un objet technologique et essayer de le rendre à la mode. On a décidé de créer un modèle qui respecte les codes du monde de l’horlogerie, très facile à porter et qui valorise l’image. Nous avons également cherché des solutions pour avoir une autonomie suffisante et ne pas avoir à recharger sans arrêt. Par le design, on a réussi à dépasser ces contraintes-là.

Concernant la partie application, tout est traité en interne chez Withings. La société veut un écosystème cohérent, et une application qui puisse agglomérer toutes les données de ses produits (seules la Home et le Smart Baby Monitor ont une application dédiée, tous les autres produits de la marque se retrouvent dans HealthMate). » Il est facile d’imaginer aujourd’hui que le but de la société est de pouvoir, à terme, apporter une analyse complète en croisant les données de poids, d’activité, etc.

Less is More

Un gros focus à également été fait au niveau de l’interaction sur la montre. Est-ce qu’on optait pour un bouton couronne ? Un écran tactile ? Si oui, quelles fonctions sur l’écran et dans l’application ? Nous avons énormément échangé avec Withings et créé toute une série de scénarios. Lorsque l’on conçoit un produit de ce type, on peut faire énormément de choses. On s’est rendu compte que plus on voulait rajouter de fonctions, plus l’usage devenait complexe. Le plus dur ce n’est pas d’ajouter c’est d’enlever. Toute la difficulté du travail a été de simplifier au maximum l’interface, tout en gardant une expérience cohérente et qui fonctionne.

Pour citer un autre exemple, Apple travaille depuis l’iPhone 5 sur la Watch, et toute leur réflexion vise à intégrer un écosystème, une expérience globale. L’Apple Watch est un élément de l’écosystème Apple qui permet d’avoir une expérience globale cohérente, intelligible et simple.

La technologie doit s’effacer

Pierre Garner travaille avec d’autres sociétés de l’internet des objets comme Medissimo, Invoxia ou encore Optinvent. Pour chaque objet connecté, le design produit doit répondre à des contraintes différentes. Le parfait exemple est le pilulier connecté de Medissimo :

Normalement, les objets connectés s’adressent aux technophiles. Medissimo c’est l’inverse, les utilisateurs sont souvent polymédicamentés, âgés et parfois en déficience (visuelle notamment). Il fallait trouver une solution pour que cette technologie soit le moins visible possible. On est arrivé à un produit qui a une approche plus ergonomique qu’une approche d’image, et on ne pouvait en faire l’économie pour ce produit spécifique.

iMedipac

Dans un premier temps, les objets connectés se sont fait connaitre grâce à leur technologie, mais on est arrivé à des services qui avaient du mal à se placer en terme d’image et de positionnement, donc on s’appuyait sur la technologie pour les définir. Maintenant, il faut arriver à digérer tout cela, il ne faut pas se focaliser sur la technologie, qui ne reste qu’un moyen, et il faut l’intégrer dans des produits les plus justes, cohérents et discrets possible. C’est le meilleur moyen de facilité leur adoption. Le second moyen c’est la convergence des fonctions. Le prix des capteurs baisse, c’est là où il faut avoir une vision, car on peut avoir tendance à vouloir multiplier les fonctions. Je ne pense pas que l’on va se retrouver avec des maisons avec 60 objets qui ont une seule fonction. On voit que Sense a tenté une approche différente avec Mother, avec des capteurs reprogrammables, l’utilisateur en fait ce qu’il veut, mais le marché est-il assez mûr pour cela ? La démarche en tout cas est très intéressante…

Je trouve que des approches comme Home sont pertinentes, car les objets connectés peuvent embarquer des fonctions complémentaires, comme la mesure environnementale (visuelle, sonore, température, etc.). Ainsi on évite la multiplication des devices.

L’analyse de la data au service de l’utilisateur

Un des enjeux principaux qui commence à apparaitre de manière forte c’est de passer à la V2 ou la V3 de l’internet des objets. C’est bien de capter, de visualiser les datas, mais que fait on de ces données et comment l’objet accompagne l’utilisateur pour l’aider à changer son comportement ? Un capteur d’activité va peut-être vous inciter à changer votre comportement, mais sans vous donner de conseils précis, car il n’y a pas de corrélation entre les données. Il faut arriver à trouver le moyen pour que l’application soit proactive pour aider l’utilisateur à atteindre ses objectifs.

Un grand merci à Pierre Garner pour cette interview enrichissante, vous pouvez retrouver les différentes réalisations de son studio sur leur site officiel.

Author : http://www.stuffi.fr/