Revue de presse » *** Saint-Étienne : Cité du design, une bombe à retardement ?

*** Saint-Étienne : Cité du design, une bombe à retardement ?

Gestion financière opaque, méthodes managériales controversées, politique de ressources humaines défaillante, climat social délétère… Derrière la belle vitrine de la Biennale internationale design – qui a accueilli 200 000 visiteurs en 2015 -, la Cité du design de Saint-Étienne cache un fonctionnement vivement contesté. Au cœur du système, la personnalité décriée de son ex-directeur général, Ludovic Noël, qui a quitté son poste le 3 mars, soit six jours avant le lancement de la 10e Biennale (9 mars – 9 avril 2017).

Vendredi 6 janvier, 14h41. Ludovic Noël annonce, par mail, son départ imminent au personnel de la Cité du design et aux élus du territoire ligérien. Celui qui avait succédé en octobre 2011 à Elsa Frances à la direction générale de l’Établissement public de coopération culturelle (EPCC) Cité du design rejoint la région parisienne. Il part prendre la direction du capital humain du groupe de communication commerciale Altavia, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Dans son message, Ludovic Noël précise qu’il reste, jusqu’à début mars, aux manettes de l’établissement qui emploie 112 agents et chapeaute la Cité du design, la Biennale et l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne (Esadse). « D’ici là, je demeure bien présent et concentré sur toutes les activités de l’établissement, précise-t-il par écrit. L’ensemble du codir est également mobilisé pour assurer la continuité et j’ai une grande confiance dans sa capacité à assurer la transition. »

Mais, ironie du calendrier, la 10e édition de la Biennale internationale design de Saint-Étienne doit débuter le 9 mars, soit quelques jours seulement après le départ programmé de Ludovic Noël (il a quitté effectivement son poste le 3 mars, NDLR). En interne, ce choix inopportun nourrit l’inquiétude. « Ce n’est pas le meilleur timing, estiment les représentants FO de l’EPCC. Ludovic Noël fait sa carrière. Au final, cela n’étonne donc personne. La question est de savoir comment et à quel prix cette Biennale va se boucler. »

Question d’autant plus saillante que la nouvelle directrice de l’École supérieure d’art et design, Claire Peillod, ne doit arriver en poste que le 1er mars. Interrogé sur son départ, Ludovic Noël se veut pourtant rassurant : « Aujourd’hui, la biennale est construite. Nous sommes dans le montage de l’événement. Les grands choix ont déjà été faits. »

Eric Berlivet, vice-président de Saint-Étienne métropole et administrateur de l’EPCC, a commenté, sur son compte Facebook, cette décision :

« À quelques semaines de la 10e Biennale, il doit être l’occasion de remettre à plat certains fonctionnements de la Cité et de recentrer l’outil vers le développement économique. Ce nouveau départ est une véritable opportunité positive pour l’EPCC et son président, Gaël Perdriau (maire de Saint-Étienne et président de Saint-Étienne métropole, NDLR). »
Il y a quelques mois, l’élu avait déjà tiré la sonnette d’alarme « sur quelques dysfonctionnements de la maison ». Il s’était notamment interrogé sur la gestion financière de l’établissement public. « J’ai demandé des comptes détaillés, mais j’attends toujours des réponses », affirme-t-il. Volontiers « lanceur d’alerte », l’élu administrateur entend s’assurer que « l’argent public est bien utilisé » et que « la commande politique qui est faite à la Cité du design est bien mise en œuvre ». « Si l’on place de l’argent, ce n’est pas pour le plaisir. Il faut des retours en termes d’image et d’attractivité économique. »

Missions internationales

Certains administrateurs et agents de l’EPCC soulèvent notamment la question de l’utilité des déplacements à l’international de deux membres du comité de direction : Isabelle Vérilhac et Josyane Franc, respectivement directrice du pôle entreprises et innovation et directrice des relations internationales. « Dans une période difficile au niveau budgétaire, où des postes sont supprimés, certains membres de la direction multiplient les déplacements, déplore, sous couvert d’anonymat, une ancienne collaboratrice de l’EPCC. Certes, les missions à l’international sont nécessaires, mais nous ne disposons d’aucun indicateur de mesure de ce qu’elles rapportent. Nous n’avions aucun retour d’informations. »

La question de l’utilité réelle de ces déplacements a été posée en conseil d’administration par Eric Berlivet. « J’ai demandé le coût engendré par ces voyages, la manière dont ils sont préparés et pour quels retours, explique l’élu. Or, je n’ai pas eu de réponse précise, seulement des éléments partiels de la part du directeur. » « Personne ne sait mesurer précisément les retombées d’une mission à l’international », se défend Ludovic Noël. Et le directeur général de l’EPCC de souligner l’impact en matière de notoriété de la présence de Saint-Étienne – seule ville créative Unesco française de design – sur la Triennale de Milan, du 2 avril au 12 septembre derniers. « En cinq mois, 200 000 visiteurs sont passés sur notre espace à Milan. Tout cela pour un budget très modeste. En comparaison, combien coûte une campagne publicitaire internationale ? », interroge-t-il.

La problématique des missions à l’étranger n’est pas la seule à être posée. D’une manière générale, l’opacité de la gestion financière de l’EPCC est régulièrement mise en cause en interne. « En conseil d’administration, la présentation de la stratégie de la Cité du design n’est jamais basée sur une évaluation précise, témoignent les représentants FO. Nous ne disons pas qu’il y a des gaspillages. En réalité, nous ne savons pas. Ce que nous voulons, c’est un état des lieux, opération par opération. »

« Pokerface »

Au-delà des sujets financiers, c’est la légitimité même du directeur général qui est contesté. Tout d’abord en matière de design. « Ludovic Noël n’est pas designer et cela constitue un problème, souligne un professionnel stéphanois qui a tenu à rester anonyme. Il n’a aucune vision de cela. Il ne sait pas vraiment de quoi il parle. Selon moi, tout ce qui touche aux expositions et à l’École supérieure d’art et design ne l’intéresse pas vraiment. Il donne l’impression de transformer un établissement public à vocation culturelle et design en agence conseil. »

Le directeur général de l’EPCC est également vertement critiqué pour ses compétences managériales. « Auparavant, il dirigeait un pôle de compétitivité (Imaginove, NDLR), une petite structure comptant seulement quelques personnes, explique une ancienne collaboratrice de la Cité du design. Je pense que la marche était un peu haute et qu’il est arrivé en limite de compétence. » Ludovic Noël est dépeint comme un personnage ambivalent. Celui que certains surnomment en interne « Pokerface » est présenté comme un homme souriant, mais « ne supportant pas la contradiction ». Une ex-collaboratrice le définit comme un « anti-manager égocentré », dur et n’accordant aucune reconnaissance aux agents de la Cité du design. Un autre dénonce « un management paternaliste et très infantilisant », consistant essentiellement à diviser pour bien régner.

Malgré ces critiques, Ludovic Noël a été reconduit pour un contrat de trois ans en 2014, quelques semaines après l’élection de Gaël Perdriau à la mairie de Saint-Étienne. « Il aurait dû passer devant le conseil d’administration pour présenter un projet d’établissement, mais cela n’a pas été fait. Sa reconduction a été tacite », s’étonnent les représentants FO. D’aucuns estiment que le directeur de l’EPCC joue habilement sa partition auprès des élus, qui sont également les financeurs de l’établissement (lire encadré). Nombreux sont en effet ceux qui lui reconnaissent de grandes qualités relationnelles, un esprit brillant et séducteur. « Ludovic Noël est très intelligent et il possède une grande maîtrise de la psychologie, estime Eric Berlivet. Il sait très bien parler, mais cela ne fait pas tout. Nous n’avons pas besoin d’un commercial, mais d’un manager d’équipe. »

Climat interne

Le vice-président de Saint-Étienne métropole se montre d’ailleurs favorable à la réalisation d’un audit managérial de l’EPCC. Car le climat social s’est nettement dégradé depuis deux ans. Ironique quand on sait que la prochaine Biennale, baptisée « Working promesse », traitera des mutations dans le monde du travail…Les agents contestent de manière virulente la direction des ressources humaines qui multiplierait les erreurs (sur les fiches de paie, les formations, etc.). « Les RH ne sont pas à la hauteur d’un établissement d’une telle envergure », affirment les représentants FO. Mais le climat interne de l’EPCC a été particulièrement dégradé par les projets de mutualisations un temps envisagés entre la Cité du design et le musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Étienne.

« Ont été évoquées une éventuelle fusion avec la bibliothèque de Carnot, des expositions communes et des mutualisation de services avec le musée d’Art moderne, témoigne une ancienne collaboratrice de la Cité du design. Ces changements impliquaient le non-renouvellement de certains CDD ou des changements de missions. Nous avons été menés en bateau pendant près d’un an. Cela a généré beaucoup de rumeurs et de tensions dans l’établissement. »
Finalement, la situation économique de l’EPCC s’est soldée, début 2016, par une restructuration qui a principalement touché le service production, dont le directeur a été licencié et les effectifs diminués de moitié (de huit à quatre agents). Les projets de fusion n’ont pas abouti à ce jour. Toutefois, le président de Saint-Étienne métropole et de l’EPCC, Gaël Perdriau, envisage encore de mutualiser les salles d’exposition et les effectifs de production avec le musée d’Art moderne et contemporain. Toujours est-il que l’ambiance délétère au sein de l’établissement a poussé plusieurs agents, et notamment des cadres, à démissionner, parfois sans même avoir l’assurance d’un nouvel emploi. Plus grave encore, comme l’atteste une source, des cas de burn-out ont été constatés.

Un modèle économique à trouver

L’EPCC Cité du design, dont le budget de fonctionnement pour 2017 s’élève à 7,8 millions d’euros (hors Biennale), est financé en quasi-totalité par les collectivités, dont 90 % par Saint-Étienne métropole. Gaël Perdriau résume à grands traits : « Un maire (Michel Thiollière, NDLR) a créé la Cité du design sans trop savoir ce qu’il y aurait dedans, et son successeur (Maurice Vincent, NDLR) a créé l’EPCC sans modèle économique. »
À son élection à la mairie de Saint-Étienne, ce dernier constate que l’établissement enregistre chaque année un déficit structurel épongé par une subvention exceptionnelle. « Le déficit d’un million d’euros était repoussé chaque année, précise-t-il. Nous l’avons intégré dans les comptes puis réduit progressivement. Aujourd’hui, il est quasiment absorbé. » Avant la fin de son mandat, l’édile souhaite que l’EPCC puisse participer au financement de ses charges de fonctionnement grâce au déploiement d’une offre de services payante auprès des entreprises. « La Cité du design doit être au service des entreprises tout au long de l’année, affirme Gaël Perdriau. L’objectif est de les accompagner, de leur première démarche à l’intégration du design dans le processus d’innovation. » Chaque année, la Cité du design sensibilise ainsi 400 entreprises, dont une centaine est accompagnée.

Auteur : Yann PETITEAUX pour http://acteursdeleconomie.latribune.fr

Vignette de l’article : Crédits : Laurent Cerino/ADE

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