Revue de presse » **** Splendeurs et misères du design thinking

**** Splendeurs et misères du design thinking

Telle entreprise “expérimente le design thinking”, “nous avons formé nos salariés au design thinking”, “le design thinking est une démarche d’innovation”…

L’engouement pour la “pensée design” semble être, depuis quelques années, le corollaire de l’injonction d’innovation qu’ont reçue les entreprises. Dans un tel contexte, les promesses du design thinking ont bénéficié d’un certain attrait – il allait rendre l’organisation plus créative et instaurer un climat propice à la collaboration.

Le designer Jean-Louis Frechin est l’une des rares voix critiques à l’encontre de cette démarche, qu’il oppose ironiquement au “design doing” :

Le « design thinking » est devenu un terrain de jeu pour consultants, avec pour conséquence l’abdication par les entreprises de leurs responsabilités de producteurs d’innovations utiles au profit de la gestion de leurs défis internes. Il va bien falloir apprendre à distinguer « design thinking » et « design doing » car nos grandes entreprises ne pourront pas se permettre de se passer du second pour renforcer leur attractivité et leur compétitivité hors coût.

Selon Jean-Louis Frechin, le design thinking est en réalité un chantier masqué de conduite du changement pour des organisations déboussolées par la “transformation numérique”. C’est une critique sévère. Elle est justifiée.

Le design thinking est une entreprise maladroite. Elle offre une vision déformée et tronquée de la démarche de design. Sa visée vulgarisatrice n’est pas fidèle et elle favorise les approximations. Un décalage avec la réalité des besoins se fait sentir.

Quelle est la finalité réelle du design thinking ? Celui-ci manque de clarté : s’agit-il de placer entre les mains des consultants et des dirigeants un outillage méthodo bien packagé ou de trouver un biais pour élever le design au niveau de la réflexion stratégique ?

Fondements et justification du design thinking

Il est intéressant de rappeler que les fondements du design thinking s’établissent dans l’architecture, avec l’ouvrage de Peter G. Rowe, Design thinking, publié en 1987 (MIT Press). En 2009, Tim Brown, patron de l’agence de design américaine IDEO, publie un ouvrage du même nom, où il note qu’IDEO ne répond plus seulement à des projets qui concernent des enjeux de design mais aussi des problématiques “business”. C’est selon lui ce qui justifie l’avènement du design thinking, un ensemble de principes applicables par un large éventail d’acteurs dans la résolution de problématiques variées.

Il faut donc sortir le design de l’univers clos du studio, le faire “remonter vers l’amont” (c’est-à-dire la stratégie) et il s’agit moins de faire du design que de penser en mode design. C’est en grande partie ici que le bât blesse. Le design thinking apporte moins de solutions concrètes qu’il n’aboutit à une impasse relativiste. Dès lors, les champs d’application du design paraissent infinis. Le design n’a pas vocation à résoudre tous les problèmes. Ce serait manquer d’humilité. Et dans le même temps, penser en mode design, n’est-ce pas une imitation du design ? Difficile de se résoudre aux séances de mind mapping, de brainstormings et aux ateliers post-it. Mobiliser un tel attirail méthodologique est illusoire. Qu’apporte de nouveau le design thinking ? Il reprend à son compte les principes du design centré sur l’utilisateur. Il reprend l’idéation, le prototypage, les tests… soit ce qui constitue la démarche de design.

Critique

Dans la vision de Tim Brown, tout le monde pourrait se saisir de la démarche design. On peut penser comme un designer, sauf qu’il n’existe pas une seule façon d’en appliquer la démarche. C’est comme si je pouvais me saisir de la médecine, de la biologie ou des sciences cognitives pour décréter résoudre des problèmes business.

Facteur aggravant, le design thinking, tel qu’il est perçu et présenté en France, apparaît comme une interprétation erronée du manifeste de Tim Brown. Le design thinking y est surtout représenté dans les cabinets de conseil et dans certaines structures… où il y a déjà des designers. C’est un paradoxe. On ne peut que constater que le design thinking n’a pas apporté les changements culturels et organisationnels promis.

Personnellement la démarche du design thinking me pose un problème d’honnêteté intellectuelle. C’est comme s’il suffisait de se revendiquer des méthodes du design pour accéder au graal de l’innovation. Cette approche, terriblement naïve, la France en a dressé une caricature. On peut ainsi en critiquer l’effet de mode dévastateur.

Les managers et les consultants n’ont plus qu’à imiter et reprendre à leur compte la démarche et la sensibilité du design pour devenir aussi pertinent que le designer mais sans le designer, sans le mode doing.

Le design thinking se réfère aux stratégies créatives que les designers utilisent pendant la démarche de design, c’est aussi une approche de résolution des problèmes, envisagée d’une façon plus vaste que dans la pratique professionnelle du design et appliquée aux entreprises aussi bien qu’aux questions sociales. Le design thinking pour les entreprises est l’usage de la sensibilité et des méthodes des designers (…) — notice Wikipedia.

Le design, une force de proposition

Pour reprendre Alain Cadix, ancien directeur de l’Ensci, les designers n’ont pas tous la même boîte à outils et tenter de standardiser la démarche de design, c’est sans doute l’appauvrir.

Comme Jean-Louis Frechin, nous opposons au design thinking le design doing. Le design n’a pas vocation à être un process pour épanouir la créativité des cadres qui s’ennuient dans les grands groupes. Davantage que du design thinking, que certains de ses promoteurs ont déjà déclaré obsolète, nous avons besoin de sensibilisation au design et d’une meilleure compréhension de ses apports. Une structure comme l’APCI, en a fait sa vocation depuis 30 ans.

Le design ne doit pas être réduit à une méthode de résolution des problèmes. C’est une force de proposition. Alain Cadix le formule très bien :

Le “problem solving” est, en effet, une entrée possible dans un processus d’innovation. Il en existe une autre : l’offre spontanée répondant à une vision et un dessein pour l’entreprise. Nous pensons que la véritable valeur du design se produit dans le doing. Nous pensons que le design est une affaire de professionnels.

Auteur : Benoît Drouillat, Head of UX @Oodrive & founder of *designers interactifs* sur https://drouillat.com/@bdrouillat

 

Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s !

***** Exceptionnel, pépite
**** Très intéressant et/ou focus
*** Intéressant
** Faible, approximatif
* Mauvais, très critiquable
(i) . Informatif