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*** À Gand, l’invisible rendu visible

Jusqu’au 5 mars, le Design Museum de Gand célèbre l’intelligence de la main à travers l’exposition « Hands on Design ». Un mariage heureux et très tendance entre artisanat, design et industrie. À l’occasion de la huitième Triennale du Design…

Depuis 1994, la ville de Gand met à l’honneur la création belge à travers les différentes éditions de la triennale éponyme. Johan Valcke, directeur de Design Vlaanderen, société de promotion et de défense du design flamand et commissaire de l’événement du musée gantois, en a pris la direction dès les premières années, et initié ce dernier projet du ministère de l’Économie belge, en 2014. En visitant pendant deux ans plus de 120 ateliers de création et une trentaine de PME, il eut l’idée de révéler les « petites mains » œuvrant dans l’ombre, conférant à l’objet une grande qualité par sa fabrication partiellement hand made, la rentabilité étant assurée par la production industrielle. L’occasion de découvrir que l’artisanat, essence même de la création, est, au XXIe siècle, plus que présent, mais aussi hybride, high tech, au service d’un design résolument humaniste et écologique.

Johan Valcke, pourquoi avoir choisi la thématique du « faire manuel » en relation au design, pour la huitième édition de la Triennale du Design de Gand ?

« Hands on Design » s’avère être la suite logique des sujets précédemment abordés lors des différentes éditions. Entre 1994 et 2000, les trois premières manifestations levaient le voile sur le rapport des métiers d’art à la création design, puis sur le design industriel, graphique, et la communication. La Belgique découvrait alors qu’elle possédait de réels et nombreux talents dans tous ces domaines. Les manifestations suivantes ont mis en lumière, entre autres, la notion de beauté dans le design, le design social et de services. Enfin, cette année, nous rendons hommage au travail souvent imperceptible de la main, dans la production design. Tous ces thèmes se répondent et témoignent du foisonnement créatif du design belge. En 2017, nous souhaitons plus particulièrement valoriser l’implication de tous ceux qui collaborent, de près ou de loin, à la création de l’objet, depuis son concept jusqu’à sa réalisation finale, en passant par la maîtrise des outils de production de celui-ci. Cette année, la boucle est bouclée, car cette thématique fait écho à la toute première, abordée en 1994.

Lorsque nous pénétrons dans l’exposition, nous avons la sensation d’être au cœur même d’ateliers de création. Pourquoi ce choix de reconstituer une telle ambiance ?

Avec le studio design MaisonCaro créé par Caroline Van den Hole et la scénographe Bert Heytens, nous avons conçu cette manifestation comme une promenade au cœur de 22 arrière-boutiques et devantures de magasins. Du rez-de-chaussée au sous-sol du bâtiment, nous désirons rendre palpable l’atmosphère de ces pièces-ateliers où tout se joue, sans qu’on ne le sache vraiment. En d’autres termes, nous voulons donner corps à tous ces gestes et actes indispensables à la production. À ce sujet, l’hôtel de Coninck, écrin architectural bâti au XVIe et remanié au cours des siècles suivants, abritant le Design Museum Gent, s’est parfaitement prêté à cet exercice.

Que peut-on alors y voir ?

Quatre-vingt objets fonctionnels créés par 70 designers belges ! Ces derniers sont, pour la plupart, de jeunes créateurs, mais aussi des designers reconnus collaborant avec des entreprises. On y dévoile de minutieuses petites pièces, comme celles d’Ingrid Adrienssens, créatrice de bijoux ayant imaginé Select, un interrupteur doté de boutons émaillés pour le fabricant d’interrupteurs haut de gamme Lithoss, mais aussi, parmi d’autres exemples, des luminaires, tel Sundial chandelier de Maarten de Ceulaer pour la société Alton, s’inspirant des cadrans solaires, en passant par de nombreux meubles et accessoires. Des objets plus volumineux sont également à l’honneur, comme le fantastique bateau fait main C23 Avdventure Rowboat de Koen de Gezelle. Une production belge pléthorique, inventive, tissant de multiples relations entre l’artisan, l’industriel et le designer.

L’exposition met en lumière les différentes étapes de fabrication des produits. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à dévoiler les dessous de la création design ?

La présentation de prototypes, d’objets en cours de réalisation et de pièces finies met en exergue l’étendue de la chaîne de fabrication et démontre ainsi que l’homme intervient à toutes les étapes du processus de production. Ces objets attestent du faire de nombreux artisans-créateurs, comme du travail du personnel chargé du fonctionnement des procédés et des machines. Lors de mes visites en entreprise, j’ai remarqué la kyrielle d’activités exercées par une main-d’œuvre dont on ne parle jamais. Chez le fabricant de fauteuil en cuir Duret, des femmes contrôlaient et annotaient manuellement la bonne découpe des peaux au cutter, préalablement programmée par ordinateur. Ces cuirs servaient à la fabrication du canapé Yale conçu par le designer Sylvain Willenz. Plus loin, d’autres personnes élaboraient à la main la structure en bois ou s’occupaient du garnissage du sofa. Autre exemple de l’omniprésence de la main au sein de la création : la créatrice de chapeaux Els Robberechts a élaboré un présentoir miniature en argile, Hatdrop, pour la présentation de ses bibis et autres couvre-chefs. À partir de ce modèle artisanal, la société Bonami a conçu un grand prototype en polyester qui fut poncé à la main, afin d’obtenir le rendu souhaité. En rendant visible l’invisible, l’exposition est un hommage à la discrétion, au savoir-faire manuel intervenant à tous les degrés de fabrication.

Ainsi pensée, l’exposition ne fait-elle pas l’éloge de la théorie du sociologue américain Richard Sennett, évoquant la « connaissance incarnée » dont il parle dans son livre, Ce que sait la main, la culture de l’artisanat ?

Effectivement, la vision de Sennett va à l’encontre de la distinction entre travail de la main et celui de la tête. Le sociologue élargit la notion d’artisanat à toute pratique nécessitant la présence humaine, à tout apprentissage généré par l’utilisation de matériaux et d’outils. Du dessin au produit abouti, en passant par le modèle informatisé et le prototypage, toutes ces étapes impliquent « la collaboration intuitive du corps et de l’esprit », selon ses propos. Ce que l’exposition tend à symboliser.

Qu’apportent certaines pièces de la collection permanente du musée aux côtés de ces objets design du XXIe siècle ?

En faisant dialoguer des objets iconiques avec la création actuelle, nous valorisons l’omniprésence pertinente du savoir-faire artisanal dans le design, que celui-ci soit historique ou actuel. Par l’éclairage posé sur l’aspect humain de la conception design, le public appréhende également les œuvres de la collection permanente de manière nouvelle et rafraîchissante.

Les artisans-créateurs d’aujourd’hui sont aux antipodes du cliché de « la vieille femme faisant du macramé dans sa cuisine », selon vos propres mots. Comment cela se traduit-il au sein de l’exposition ?

De nos jours, un designer-artisan est effectivement un créateur soucieux de l’environnement, qui utilise des matériaux naturels, semi-précieux, composites, unissant parfois ces derniers aux technologies high tech. Celles-ci leur permettent de produire des objets difficiles à fabriquer entièrement à la main, elles leur ouvrent de nouveaux champs du possible. Alex Schrijvers a conçu le sac Amours pour la société 3Dee à l’aide d’une imprimante 3D imitant à merveille le grain du cuir de saumon. D’autres s’inscrivent dans la lignée des objets Do It Yourself (DIY) et de l’open source. Le jeune créateur Cas Moor a dessiné le siège Honest Stool, dont les plans techniques sont téléchargeables sur son site Web. Ainsi, toute personne peut le produire. Cette année, l’éditeur de mobilier belge Bulo a également décidé de le fabriquer et de le commercialiser. De nombreux designers utilisent aussi des matériaux recyclés. Antoine Van Loocke a imaginé Antoku, un couteau dont le manche est fait de bois altéré. Kevin Oyen a collecté des résidus de presse industrielle pour élaborer Magic Bean, un siège 100 % éco conçu, soudé et poli à la main… Enfin, un produit design version 2017 porte souvent en lui des valeurs de partage et de responsabilité, comme le soulignent les créations textiles de Cathérine Biasino et Marie Mees. Le tapis Indigofera flat, produit par Van Caster, a été tissé par des artisanes népalaises, avec des couleurs végétales et un design choisis par les créatrices belges. L’argent gagné au Népal sert à éduquer les enfants sur place. La production design actuelle est révélatrice de cette prise de conscience environnementale, engageant de nombreux acteurs.

Comment comprenez-vous cette prise de conscience ?

Nous vivons dans un monde virtuel, rempli d’écrans et inondé de productions éphémères. « Créer » est une action caractéristique de l’être humain et ce depuis la nuit des temps. Les archéologues de la préhistoire ont identifié les créatures d’alors comme êtres humains, à partir du moment où ceux-ci ont fabriqué des artefacts. « Faire » fait partie de notre mémoire originelle, on ne peut pas vivre sans !

Design Vlaanderen s’est associé aux partenaires Fedustria, fédération belge de l’industrie du textile, du bois et de l’ameublement, et UNIZO, Union des Entrepreneurs Indépendants en région flamande, afin de soutenir le projet Fuse, au sein de l’événement. De quoi s’agit-il exactement ?

Dans le cadre de cette exposition-vente, le projet Fuse finance et produit en exclusivité de nouveaux objets issus de la collaboration de sept trios ou duos – artisans/designers/entreprises ou créateurs/entreprises – ayant travaillé étroitement ensemble. Cette initiative permet de stimuler la nouvelle génération de créateurs arrivant sur le marché.

« Hands on Design », jusqu’au 5 mars. Design Museum Gent, Jan Breydelstraat 5, 9000 Gent, Belgique. www.designvlaanderen.be et www.designmuseumgent.be

Source : https://fr.artmediaagency.com

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Pertinence et intérêt de l’article selon designer.s !

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