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Design et leadership

Le design est devenu une discipline stratégique. Le designer doit désormais affirmer sa place de leader dans les organisations qui placent l’innovation au centre de leur stratégie.

S’il était quasiment impossible il y a encore quelques années de parler du design comme d’une discipline de management, il ne viendrait plus à l’idée de quiconque de le contester dorénavant. Les « business schools » du monde entier ont rendu service aux écoles et au design, en multipliant les formations de « design management » et de « design thinking », cet exercice de brainstorming et de créativité qui fait du « post-it » le support de la pensée complexe.
Le « design thinking » n’est pas « le design » en ce sens qu’il n’intègre pas la représentation ni la conception. Il n’en est qu’un moyen. Mais, il l’a fait délibérément sortir de sa gangue technique pour en faire une discipline de management transversal. Là où, naguère, les écoles de design ne voulaient pas voir l’évidence au prétexte que travailler avec les entreprises n’était pas noble, là où les écoles de management prétendaient se réserver la dimension leadership du management, le « design thinking » a fait sauter tous les verrous. L’avidité à s’emparer de la discipline par les programmes de « business » en a consacré la primauté et fait du designer un « manager » alors même que les écoles de design se défendaient de prétendre en former.


Le « design thinking » s’arrête à l’idée. Et que vaut celle-ci si elle n’est pas appliquée ? « Rien ! » aurait dit Marx pour qui la Praxis était au centre de la doctrine. En matière de design, l’idée ne vaut qu’à la condition qu’elle trouve une issue de laquelle il résultera un mieux pour la société. « Des idées, nous en avons tous, pour autant nous ne sommes pas tous designers ». Le « design thinking » n’est rien s’il ne s’accompagne pas d’un « design doing ». La thèse de Feuerbach « Les Philosophes jusqu’ici n’ont fait qu’interpréter le monde. Il s’agit maintenant de le transformer » pourrait s’appliquer au design. En d’autres mots, le design thinking n’est rien sans le design.

Le design est donc une discipline de management. Il s’agit pour le designer de mettre autour de la table des ingénieurs, des marketers, des financiers, des philosophes, des sociologues… des chercheurs, des techniciens, des cols blancs, des cols bleus… et de les faire travailler ensemble. Son rôle dans les organisations est en train de muter parce que celles-ci sont en train de changer de modèle. L’approche participative et collaborative prend le pas sur l’organisation en silos et les triangles hiérarchiques. Il convient de rendre les structures plus flexibles, plus adaptables au changement et à l’innovation, tout en maintenant la capacité aux décisions d’être prises. Cette évolution est en marche.

Il se pourrait même que le design en tant que discipline stratégique ait une prééminence sur la technologie dans les entreprises industrielles et sur le marché dans les entreprises commerciales. La spéculation sur les usages prendrait le pas sur l’innovation technologique et la prévision de marché. Si tel était le cas, les designers devraient assumer les positions de leadership qui leur seront proposées.

C’est la thèse défendue par Banny Banerjee, directeur du « Design for change Center » de Stanford University – lors d’une conférence récente au Polytechnico de Milan (5 juin 2015 lors du rassemblement Cumulus [*]). Il témoignait de cette nouvelle responsabilité du designer, jusqu’alors volontiers cantonné dans son rôle de concepteur et peu reconnu pour ses qualités de leadership. Car, c’est de cela qu’il s’agit : un bon designer, celui dont la responsabilité est de faire émerger l’innovation en travaillant transversalement avec des spécialistes d’autres disciplines, doit être un leader. Pas un leader qui commande, un leader qui entraîne, qui montre, qui donne vie aux idées nouvelles, les fait émerger et les rend objectives.

(*) Cumulus : association internationale d’écoles de design, Art et média.

Author : Christian GUELLERIN, Président de FRANCE DESIGN EDUCATION pour Les Echos