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Design olfactif : quand la chimie nous mène par le bout du nez

Les odeurs rappellent des souvenirs, le parfum éveille des sentiments, les senteurs provoquent des émotions. Le marketing l’a bien compris et s’est emparé du sujet : le design olfactif est dans l’air du temps.

Odeurs de gazon, de houblon, de transpiration. En ce mois de juin, l’Europe vibre au rythme de l’Euro 2016 de football. Pour l’occasion, La Poste édite le timbre officiel de la compétition. À première vue, rien d’original. Pourtant, en approchant ses narines de la vignette, le parfum de l’Euro monte au nez. Des effluves de bière et de sueur? Non. Un arôme bien plus léger de «gazon fraîchement coupé» selon la société. À l’instar de La Poste, d’autres entreprises utilisent les odeurs pour communiquer avec leurs clients. «Le marketing olfactif fait partie intégrante des stratégies des marques pour attirer l’attention sur un produit ou créer un attachement avec le client», certifie Bruno Daucé, chercheur en marketing olfactif à l’Université d’Angers.

En jouant sur les senteurs, les entreprises espèrent stimuler les actes d’achat ou provoquer des émotions positives chez leurs clients pour les fidéliser. Qui, en entrant dans un cinéma aux douces odeurs de pop-corn, n’a jamais eu envie d’en acheter? Bruno Daucé témoigne: «Les cinémas ne font pas juste cuire du pop-corn car il faudrait en produire en permanence et les stocks seraient trop importants. Du coup, ils répandent directement la molécule responsable de l’odeur du pop-corn grâce à des diffuseurs.» Le cinéphile ne respire donc pas l’odeur du beurre mélangé au maïs grillé mais bel et bien une molécule répondant au doux nom de 2-acétyl-thiazoline.

De l’odeur à l’émotion

La perception de l’odeur du pop-corn commence dans l’organe de l’olfaction: le nez. Roland Salesse, chercheur en neurobiologie olfactive à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), décrypte: «Au fond des fosses nasales, sur la paroi supérieure, se trouvent les récepteurs olfactifs. Ce sont des protéines, situées à l’extrémité des nerfs, où viennent se fixer les molécules odorantes.» En entrant en contact avec la 2-acétyl-thiazoline, le récepteur olfactif spécifique de cette molécule se réveille. Au niveau de sa membrane, des ions, des éléments chimiques chargés électriquement, sont alors échangés. Cette excitation soudaine va provoquer un signal électrique qui pourra être pris en charge par les neurones. «Ce processus, appelé dépolarisation membranaire, permet de transformer le message chimique de la molécule odorante en un message électrique décodable par le cerveau», éclaircit Roland Salesse.

En 200 millisecondes (ms), le signal est acheminé, grâce aux nerfs olfactifs, dans la boîte crânienne au niveau des bulbes olfactifs. C’est au sein de cette structure que se forme la carte d’identité olfactive du pop-corn. Néanmoins, l’acquisition de l’odeur est encore inconsciente pour le gourmand. Le message poursuit ensuite sa route en direction de l’amygdale et de l’hippocampe, deux structures qui font appel à la mémoire et aux émotions. «On déclenche des processus émotionnels et des souvenirs avant même d’en avoir conscience et c’est seulement un peu plus tard que l’on traite l’odeur de façon consciente», résume Roland Salesse. À ce moment, le signal termine son court voyage de 400 ms au niveau du cortex orbitofrontal situé entre le nez et le front. Il semblerait, selon le chercheur, que les odeurs peuvent influer sur nos comportements car elles agissent directement sur le cerveau en activant les zones liées aux émotions et à la mémoire.

Tous manipulés ?

«Qui maîtrise les odeurs, maîtrise le coeur des hommes». Jean-Baptiste Grenouille, le héros du Parfum, roman de Patrick Süskind, voulait créer un parfum lui permettant d’influencer les hommes et de les dominer pour se faire aimer d’eux. Dans la réalité, la manipulation olfactive est plus subtile. La réglementation interdit la tromperie du consommateur. Si un supermarché diffusait de bonnes odeurs de tomate pour vendre des légumes sans saveur, elle serait dans l’illégalité. De la même manière, un magasin de chaussures ne peut pas diffuser une odeur de cuir s’il ne vend pas de chaussures dans cette matière. «Si c’était le cas, la limite réglementaire serait dépassée. Si un citoyen ou une association de consommateurs venait à porter plainte, le tribunal se saisirait du dossier», garantit Bruno Daucé.
Les constructeurs automobiles n’hésitent pas à flirter avec cette limite. Après avoir joué sur la vue et les différentes nuances de couleurs, l’ouïe et le bruit du moteur ou le toucher et le grain du volant, ils s’attaquent à l’odorat. Les ingénieurs agissent sur les molécules des plastiques ou des tissus pour rajouter des parfums et séduire le futur acquéreur. Roland Salesse tempère: «Il est possible d’intervenir sur l’état d’esprit mais ce n’est pas une voie pharmacologique. Les concentrations qui passent dans le sang sont tellement minimes que c’est plutôt un effet psychologique.» Et de conclure, l’air amusé: «Il ne faut pas oublier que nous avons un cerveau raisonnable qui nous freine… Et aussi un porte-monnaie!»

Zoom sur le LOGOLF
Isabelle Parrot est enseignante-chercheuse à l’Institut des Biomolécules Max Mousseron à l’Université de Montpellier. En parallèle, elle a cofondé la société Arthur Dupuy, spécialisée dans la création de logos olfactifs. Elle est la consultante scientifique de la start-up.
Qu’est-ce que le LOGOLF ?
Isabelle Parrot.- C’est la contraction des mots «logo» et «olfactif». Le concept vise à créer des parfums uniques qui traduisent les marques de manière olfactive. Le but est d’appliquer cette identité olfactive sur différents supports: vaporisateurs, aérosols, papiers, tissus, cosmétiques, bougies, goodies.
Pouvez-vous nous donner un exemple de vos réalisations ?
Isabelle Parrot: Nous travaillons avec la société Tohapi, spécialiste du camping et du mobil-home. Nous sommes partis sur le parfum raffiné de l’orange amère que nous avons rendu plus enfantin grâce à des arômes d’orangettes. Ce logo olfactif sera diffusé à l’accueil des campings et proposé dans des packs cosmétiques ou des sprays d’ambiance. En décembre, les clients recevront un porte-clés odorant pour leur donner envie de revenir.
Et ça marche vraiment alors ?
Nous avons des indications positives. Nous collaborons avec des chercheurs pour évaluer le comportement en réponse aux odeurs. Par exemple, la municipalité de Montpellier nous a demandé de créer l’odeur de la ville pour la diffuser dans le tramway. Nous allons étudier si cette ambiance olfactive a un impact social en fonction des quartiers traversés.

Author : Louis Grilletfigaro et Basile Perrin-Reymond pour http://sante.lefigaro.fr/

Vignette de l’article : Photo Basile Perrin-Reymond

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