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L’avenir de la viande sera design

Risque de cancer, scandaleuses conditions d’abattage: carnivores, ne perdez pas espoir! Winston Churchill n’avait-il pas prédit l’avènement de la viande in vitro? Grâce aux progrès de la science et au design, elle sera bientôt dans vos assiettes –ainsi que la viande sans viande et la viande qui pousse sur les arbres.

De la viande sans douleur et sans risque sanitaire? Dans un essai publié en 1931 par le magazine Strand, Winston Churchill livrait sa vision de notre monde un demi-siècle plus tard, un monde dans lequel les microbes seraient utilisés, à la manière dont les boulangers fabriquent du pain à partir de levure, pour développer de la viande et ainsi «échapper à l’absurdité d’élever un poulet pour n’en manger qu’une escalope ou une aile», en faisant «pousser» lesdites parts en fonction des besoins ou des envies.

«La nourriture synthétique, sera, bien sûr, également utilisée dans le futur» sans pour autant renoncer aux plaisirs de la bonne chère, précise le futur Premier ministre britannique. Rien d’horrifiant dans cette utopie nutritionnelle, puisque «ces nouveaux aliments seront quasiment impossibles à distinguer des produits naturels, et que le changement sera apporté graduellement, échappant ainsi à l’observation.»

Avec trois décennies de retard, il semblerait que la vision de Churchill prenne forme. La viande synthétique existe et Bill Gates lui-même nous assure qu’il n’y a pas cru, la première fois qu’il a croqué un tacos fourré au poulet sans poulet:

«Comme la plupart des gens, j’imagine qu’on ne peut pas m’avoir facilement. Pourtant, c’est précisément ce qui s’est passé quand on m’a demandé de goûter un taco au poulet.»
Encore mieux que le Canada Dry, ce poulet avait l’odeur, la texture et le goût de la volaille, mais était entièrement composé de produits végétaux:

«Ce que j’étais en train de tester, c’était plus qu’un substitut de viande intelligent», s’engoue Gates, «c’était le goût du futur de la nourriture». Soutenue par Gates et Obvious Corporation (incubateur créé à l’initiative des co-fondateurs de Twitter, Evan Williams et Biz Stone), la start-up Beyond Meat a grandi et distribue désormais une quinzaine de références (substituts de poulet, de bœuf, boulettes ou croquettes) dans diverses grandes chaînes d’alimentation aux Etats-Unis.

Non, ce n’est pas nouveau. John Harvey Kellogg, dont le nom restera à jamais associé à nos petits-déjeuners, avait inventé une «viande sans viande» à base de végétaux dès 1896!
L’innovation récente réside essentiellement dans le fait que, comme Churchill l’avait envisagé, les consommateurs se sont progressivement faits à l’idée – et l’amélioration de la saveur, de l’aspect des aliments a joué un rôle favorable.

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Aux Pays-Bas, l’idée farfelue de Jaap Korteweg s’est transformée en success story: sa boucherie végétarienne (une première mondiale) installée à la Haye, lui vaut le prix de l’Entrepreneur de l’année. Peut-il, après les consommateurs hollandais, séduire le marché français avec son coq au vin sans coq?

Animaux d’un genre nouveau: Eating design

Beyond Meat ne s’adresse cependant pas à un public végétarien mais amateur de viande, avec l’espoir avoué de réduire de 25% la consommation mondiale de viande d’ici 2020.

A ceux-là, comme aux consommateurs qui font le vœu d’abandonner la viande mais éprouvent du mal à sauter le pas, la designer Marije Vogelzang propose une alternative: «Faked meat» est un projet initié par la designer culinaire au cours de ses études, qu’elle a ensuite développé. A la tête du département «Food non food» de la fameuse Design Academy d’Eindhoven, Vogelzang avait imaginé sa «fausse viande» en réaction aux substituts qui ont soudain déferlé sur le marché. Saucisses de tofu, côtelettes à base de protéines de pois chiches? «Autant inventer de nouveaux animaux!» Lointains cousins du dahu, quatre nouvelles créatures ont vu le jour, incitant les consommateurs à réfléchir sur leur façon de se nourrir.

Ainsi, les gourmets aventureux sauront désormais que le Ponti d’Europe se déniche au cœur de volcans, ce qui confère à sa chair une délicate saveur fumée. Sa queue rigide en fait un encas idéal, facile à manger avec les doigts. L’Herbast, lui, n’a ni queue ni tête. Il s’agit d’un animal herbivore (donc déjà assaisonné) plutôt carré et facile à découper: prêt à déguster!

Rêve de tout amateur de sushi, le Biccio se balade le long des côtes russo-japonaises, dans la partie nord de l’océan pacifique. Se nourrissant exclusivement d’algues, ce «poisson» est naturellement truffé d’anti-oxydants. On terminera sur une note sucrée: la chair du Sapicu, mignonne bestiole canadienne, est infusée du parfum des feuilles et du sirop d’érable dont il est friand. Caramélisé ou nappé de chocolat, c’est le dessert idéal, nous promet Vogelzang.

Non, ce bestiaire miraculeux n’existera pas. «Nous – en tant qu’humains, en tant que planète – sommes dépendants d’une alimentaire saine, d’un millier de façons. Je ne m’attends pas à ce que les designers sauvent la planète mais je constate que ce système d’alimentation a besoin de designers et de design thinking», expliquait l’Eating designer à Marcus Fairs.

Steak de cellules souches, sponsorisé par Google

Mais les animaux imaginés par Marije Vogelzang sont-ils plus insensés ou improbables que la prédiction de Winston Churchill en 1931?

La viande «cultivée» in vitro a bien vu le jour. En août 2013, le professeur Mark Post de l’Université de Maastricht (une future cause nationale?) présentait le tout premier steak hâché «né» en laboratoire, fruit de 5 années de recherche qui auront coûté environ 300.000€.

Le «Frankenburger» se fabrique en prélevant des cellules souches sur un muscle de boeuf. Plongées dans une substance nutritive, elles se développent pour créer des lamelles– ou plus concrètement, des fibres musculaires– qui s’étirent pour atteindre 3 cm de long sur 1,5 cm de large et 0,5 mm d’épaisseur. Un steak haché nécessite 3.000 lamelles de tissu musculaire additionnées de quelques centaines de lamelles de tissu adipeux.

Le laboratoire «Cultured Beef» a connu quelques soubresauts, faute de fonds. Un investisseur a donné le salutaire coup de pouce. Sergueï Brin, co-fondateur de Google, s’est engagé «par motivation personnelle, car il s’inquiète du bien-être des animaux», révélait Mark Post. Le projet au départ focalisé sur la viande de porc a finalement utilisé, à la demande du mécène, des cellules de bœuf:

«Finalement, c’était un bon choix, car les problèmes générés par l’élevage intensif de bovins sont plus importants.»
Des cellules souches prélevées sur une unique vache pourraient, en suivant la «recette» de Mark Post, générer 175 millions de burgers, pour lesquels il faudrait aujourd’hui élever puis abattre 440 000 bovins. Une pratique qui pourrait entraîner une réduction des gaz à effet de serre, épargner de grandes quantités d’eau et peut-être permettre d’utiliser autrement une partie des 70% des terres agricoles dans le monde exclusivement réservées à l’élevage industriel.

Selon le Programme des Nations unies pour le développement, rapportait Le Monde en avril dernier, d’ici 2080 «600 millions de personnes supplémentaires chaque année pourraient souffrir d’insécurité alimentaire». En 2009, un rapport de la FAO assurait que la consommation en viande en 2050 pourrait atteindre 470 millions de tonnes par an, deux fois plus qu’aujourd’hui.

D’ici 5 à 7 ans, la viande cultivée en laboratoire pourrait être disponible sur le marché. A l’heure actuelle, estime Mark Post, elle coûterait au consommateur 19€ le kilo –mais l’équipe de «Cultured Beef» espère en réduire le prix de vente. Et fait des émules: la semaine dernière s’achevait à Maastricht le 1er symposium international de la «Cultured meat».

Il reste encore à convaincre les consommateurs. Une grande majorité des personnes interrogées par l’équipe marketing du projet en reconnaît l’intérêt mais ne souhaite pas forcément y planter sa fourchette. Pour induire une évolution plus rapide des mentalités, Mark Post travaille avec des philosophes. «Pour l’instant, tout cela est très intellectuel, car nous n’avons rien de concret dans l’assiette. C’est un équilibre à trouver entre le refus impulsif et l’acceptation rationnelle que nous ne pouvons pas continuer ainsi.»

Un peu d’humour permettra peut-être, sinon l’acception, de dompter quelque peurs ?
Dans la même veine que Marije Vogelzang, l’équipe du restaurant virtuel «Bistro in vitro» invitait des designers à imaginer des recettes à base de viande in vitro. Viande séchée en rouleau, barbapapa de bœuf, mojito à la viande…

Demain, l’arbre à viande ?

Marije Vogelzang décrit son travail d’«eating designer» comme l’analyse de nos habitudes alimentaires à travers huit catégories: les sens, la nature, la culture, la société, la technique, la psychologie, la science et enfin l’action. Chaque performance culinaire de la designer incite au dialogue et à la réflexion.
Lors de la Paris Design Week en septembre 2015, elle présentait ses «Plant Bones» dans le cadre de l’exposition du collectif Thinking Food Design (à l’initiative de Marc Brétillot, pionnier et inventeur du design culinaire, et Earlwyn Covington) à la Galerie Joseph Braque. «Les archéologues du futur ont trouvé de curieux artefacts qui prouvent que nos successeurs mangeront de la viande qui pousse comme les plantes.»
Plutôt que fabriquer des substituts de saucisse ou de boulettes de bœuf à partir de végétaux, on les ferait donc directement pousser dans nos jardins? C’est un peu l’idée, puisque chaque «Plant Bone» possède une structure osseuse, ou quelque chose d’approchant, mais entièrement composée de cellulose, avec les mêmes qualités nutritionnelles que la viande –et pousse sur une plante, un arbre…
L’installation avait pour but d’inviter les spectateurs à imaginer des scénarios de vie pour chaque «plante-os»: mutation accidentelle, géniale hybridation, fruit de l’évolution naturelle, d’une catastrophe nucléaire? La conséquence logique de nos actions? Si seulement Churchill avait pu y mettre son grain de sel…

Author : Elodie PALASSE-LEROUX pour SLATE

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Photographie : Le PONTI de © Marije-Vogelzang

Vignette de l’article : HERBAST La «fausse viande» de la designeuse Marije Vogelzang